Chapitre 7
Sagitta, Douzième Royaume, Forêt de Tyrion.
Incrédule, Satia était encore aux côtés de son ami Lucas lorsqu’une main la saisit sans ménagement pour la remettre sur ses pieds.
–Lâchez-moi !
–Occupez-vous d’elle, grogna le Commandeur Éric en la propulsant vers deux soldats accourus en renfort.
Les deux hommes la récupérèrent et la jeune femme se débattit en vain. L’impérial lui tordit les bras dans le dos pendant que l’autre lui liait les poignets.
–Retournons au camp, ordonna le Commandeur des Maagoï tout en rengainant.
Il ramassa sa cape blanche rayée de noir et la drapa sur ses ailes, trop aisément repérables, surtout si d’autres Massiliens venaient s’enquérir du sort de leur compagnon.
–Et pour le Mecer ? osa demander l’un des soldats.
–S’il n’est pas encore mort, il ne va pas tarder à l’être. Emmenez la prisonnière.
–À vos ordres, Commandeur, répondit le soldat en saluant.
*****
Satia marchait mécaniquement, un pas après l’autre, encore sonnée par l’attaque soudaine et son dénouement brutal. Elle n’arrivait pas à le croire. Lucas, mort ? Sa poitrine se soulevait encore avant qu’ils ne l’entrainent. Elle voulait s’accrocher à ce fol espoir, que contre toute attente il ait survécu.
Mais qu’il soit en vie ou pas, avec une telle blessure, elle ne pourrait compter que sur elle-même pour s’en sortir. La pensée était terrifiante. Jamais elle ne s’était retrouvée si seule.
Un premier soldat ouvrait la marche ; le deuxième était derrière elle. Elle ne pouvait que deviner la présence du Commandeur en arrière-garde silencieuse. Où la conduisaient-ils ?
La jeune fille essaya de dégager ses poignets, en vain. Les liens étaient trop serrés. Le désespoir la gagna.
Abattue, elle se résigna à se laisser guider sans résister. À quoi bon, de toute manière ?
Ils marchèrent un long moment ; le soleil commençait à décliner derrière les arbres aux branches dénudées. Les impériaux ne parlaient pas, concentrés. Celui devant elle scrutait les alentours en permanence, sa main ne s’éloignant jamais trop de son épée. Comme s’il cherchait quelque chose, mais quoi, elle aurait été bien en peine de le dire. Peut-être avaient-ils marqué leur chemin pour ne pas s’égarer dans une contrée qui n’était pas la leur ?
Le temps s’écoulait au rythme de la marche de ses geôliers. Satia avait soif mais n’osait pas se plaindre, et ses bras liés dans son dos devenaient douloureux, en plus de rendre son équilibre précaire sur le sol irrégulier. Elle avait déjà glissé à de nombreuses reprises, et seule la poigne du soldat l’avait empêchée de s’étaler sur le sol. Elle s’imaginait déjà le bleu qui s’afficherait demain sur son bras.
La fatigue gagnait la jeune fille, et elle ne put réprimer un bâillement tandis que ses guides silencieux s’enfonçaient toujours plus profondément dans la forêt de Tyrion, suivant un itinéraire bien éloigné des sentiers qu’elle connaissait. Elle avait bien tenté de prêter attention à la direction générale qu’ils suivaient, mais avec les tours et détours qu’ils avaient fait, conjugués à l’absence du soleil qui s’était voilé sous une épaisse couche de nuages, elle n’avait aucune idée de l’endroit où ils se trouvaient. Se rapprochaient-ils de la Porte ? Les impériaux n’en restaient normalement jamais bien loin. Comment le Souverain avait-il pu laisser tout ceci arriver ? C’était absolument intolérable.
Certes, Sagitta était un royaume plutôt paisible avec une armée réduite, surtout comparée au neuvième royaume Massilia ou au quatrième Déoris, mais quand même, la présence de soldats impériaux si près de la capitale n’aurait pas dû passer inaperçue !
Le ciel orangé se teintait de mauve lorsqu’elle aperçut une rangée de palissades. Un camp. Les impériaux avaient bâti un camp en plein milieu de la forêt de Tyrion, sans être inquiétés ! Tout à sa stupéfaction, elle s’était immobilisée. Une bourrade de l’un de ses geôliers manqua de la faire trébucher, et elle avança. La construction était sommaire, réalisa-t-elle en voyant deux cabanes de bois qui côtoyaient plusieurs tentes impeccablement alignées. Tout était pensé pour le camouflage. Un feu brûlait sans fumée au centre de l’enceinte, et des buches s’empilaient le long des murs. L’ensemble était propre et ordonné ; le Commandeur Eric maintenait une discipline de fer.
Deux soldats surveillaient l’entrée, et elle en vit plusieurs autres qui patrouillaient aux alentours ainsi qu’au sein même du camp. Ses espoirs de fuite et de secours furent douchés. Il ne s’agissait pas de n’importe quels soldats ; tous arboraient les étoiles des Maagoïs sur leur uniforme gris. Presque malgré elle, Satia chercha l’intérêt de l’Empire des Neuf Mondes à envoyer ses meilleurs guerriers dans ce coin perdu… L’idée saugrenue qu’ils soient en train de créer une base avancée la fit presque rire ; avant qu’elle ne réalise qu’elle avait peut-être vu juste. Elle frissonna. La perspective faisait froid dans le dos.
Ils s’arrêtèrent enfin ; la jeune femme ne sentait presque plus ses jambes, et sa gorge était si sèche qu’elle rendait sa respiration rauque. Satia fut poussée dans l’un des baraquements. Elle trébucha et reprit son équilibre de justesse, évitant de s’étaler dans la poussière. Ses yeux mirent de longues secondes à s’habituer à la pénombre. Elle put ensuite distinguer plusieurs formes qui se précisèrent ; d’autres personnes, réalisa-t-elle. D’autres prisonniers.
Elle se laissa glisser au sol, abattue. Tout se révélait de beaucoup plus grande envergure qu’elle ne l’avait pensé de prime abord. Quel était le but de tout cela ?
Personne ne chercha à lier conversation avec elle. Elle se demanda depuis combien de temps ils attendaient là pour avoir ainsi perdu tout espoir. Ils devaient être une bonne douzaine, si elle ne se trompait pas dans ses estimations.
Malgré la précarité de sa situation, une partie d’elle était soulagée : ce n’était pas spécifiquement pour elle que l’Empire avait déployé sa puissance. Son secret était encore sauf.
Restait à savoir pour combien de temps.
*****
–Le voilà !
Les deux Massiliens survolaient la forêt de Tyrion depuis plusieurs heures, guidés par leurs Compagnons. Retrouver quelqu’un dans la masse dense des arbres et des fourrés, même dépourvus de feuilles, était loin d’être une sinécure.
Le duo d’Émissaires se posa précautionneusement dans une petite clairière de quelques mètres de diamètre.
Une trace sanglante tranchait sur le tapis de feuilles mortes qui couvrait les lieux, menant à un jeune homme assis contre le tronc d’un arbre, qui ouvrit les yeux comme ils se précipitaient vers lui.
–Lucas ! Comment te sens-tu ?
–Douloureusement vivant, articula le jeune homme d’une voix blanche.
Son uniforme gris était barbouillé d’écarlate, et la tâche la plus large s’étalait sur son ventre.
–Fais voir, ordonna l’Émissaire Matthias.
Il écarta doucement le vêtement de son confrère.
La plaie sur son abdomen était la plus préoccupante, même si quelque chose chiffonnait Matthias. La balafre était impressionnante, mais finalement peu profonde, n’ayant touché que les muscles et épargné les organes. Elle était bizarrement trop étroite pour un coup de taille ; pourtant une estocade aurait dû lui traverser le corps et le contraindre à une agonie lente et certaine. Un point important lui échappait. Lucas était bien trop faible pour à peine plus qu’une éraflure ; vu les trainées sur le sol, il avait perdu une belle quantité de sang. Et il doutait que Lucas lui confie quoi que ce soit ; le jeune homme était bien trop secret.
Matthias soupira. Tant pis, il continuerait d’espérer qu’un jour le jeune homme s’ouvre enfin et comprenne que les Mecers formaient un groupe soudé où la confiance était de mise.
La coupure sur sa cuisse était importante et nécessitait également quelques points. Lucas avait eu de la chance que l’artère ne soit pas touchée.
–Tes blessures doivent être recousues. Je prépare un feu et je m’occupe de nettoyer cette entaille.
–Très bien.
L’Émissaire se redressa et Luor le rejoignit. Il avait fouillé les cadavres des éclaireurs en quête d’indices sur leur présence en plein cœur de la forêt de Tyrion, à quelques heures à peine de la capitale des Douze Royaumes.
–Rien de concluant, avoua-t-il en battant le briquet. Leurs uniformes les désignent comme des éclaireurs en mission de reconnaissance, mais à part ça…
–Ils n’étaient pas seuls, intervint Lucas avec difficulté. Des Maagoïs sont là également.
–Oh, ça, c’est moins commun, murmura Matthias. En nombre suffisant pour te mettre dans cet état ? Je pensais que tu aurais été de taille contre eux.
–Ils ne sont venus qu’après, continua le jeune Émissaire. Le Commandeur était présent. Trop fort pour moi.
Luor, qui s’était rapproché, laissa échapper un sifflement.
–Éric aux Ailes Rouges !
–Lui-même.
–Tu as de la chance d’en avoir réchappé. Il est étrange qu’il n’ait pas terminé le travail. Le Commandeur n’est pas connu pour être magnanime.
–J’aurais dû mourir, avoua Lucas.
Matthias, qui était en train de nettoyer la blessure avec un linge propre, s’interrompit.
–Comment ça, « tu aurais dû » ?
Le visage de son vis-à-vis se ferma instantanément, et l’Émissaire retint un juron bien senti avant de reprendre sa tâche en silence. Luor ne s’embarrassa pas d’autant de précautions et croisa les bras, déterminé.
–Tu nous dois des explications, Lucas. Mon Compagnon a clairement senti la détresse du tien lorsqu’il a été contacté via le Wild. Tu étais aux portes de la mort, à deux doigts de pénétrer dans les Jardins d’Eraïm. Ta blessure est à peine plus qu’une éraflure, rien qui ne justifie une telle urgence. Par Eraïm, nous sommes frères d’arme ! Ne peux-tu nous accorder ta confiance ?
L’Émissaire s’était enflammé en parlant, et Lucas eut bien de la peine à reconnaitre le Luor cynique et méprisant qui lui avait accordé un duel quinze jours auparavant. Luor s’était-il enfin ouvert, résigné à ne pas s’approcher du Troisième Cercle, le Dévouement ? Lui s’était-il renfermé à ce point depuis qu’il était devenu Émissaire, depuis qu’il était lié à un phœnix ?
Face à son silence, Luor s’était détourné, rageur. Le jeune homme baissa la tête. Il les décevait ; plus, il se décevait lui-même…
–Merci à vous d’être venus, murmura Lucas. Vraiment. J’aimerai… certains secrets ne m’appartiennent pas.
Matthias interrompit son ouvrage et posa une main sur son épaule avec un sourire sincère.
–Ne t’en fais pas. Je sais que ta position n’est pas facile à tenir. Nous saurons attendre… le temps qu’il faudra. N’est-ce pas, Luor ?
Ce dernier marmonna une vague réponse inintelligible.
–Merci, répondit Lucas, touché bien plus qu’il ne l’aurait cru.
Ta culpabilité est-elle si lourde ? commenta Lika.
J’ai cru mourir.
Je ne te laisserais pas périr si facilement.
La certitude qu’il perçut par le Wild l’ébranla.
Tu n’avais pas encore ressenti toute la puissance du lien qui nous unit ? fit doucement Lika.
Je crois que je commence à peine à en comprendre l’importance…
Tu as encore beaucoup à apprendre, approuva l’oiseau de feu.
J’en ai conscience. J’ai une question.
Je t’écoute.
Comment arrives-tu à masquer ta présence aux Compagnons tout en les contactant ?
Les phœnix sont à l’origine de la création du Wild. C’est une entité qui vit sans nous désormais, mais nous en maitrisons les subtilités depuis des siècles. Je ne peux masquer ma signature totalement, mais je sais la modifier.
Ce secret est-il vraiment utile ?
Plus que tu ne l’imagines. Ce n’est pas un hasard si je me suis rapprochée de toi. Une menace pèse sur l’avenir de la Fédération.
Quelle menace ? s’inquiéta le jeune homme.
J’aimerai pouvoir t’en dire plus, mais l’avenir reste flou. Satia est l’une des clés. Elle ne doit pas tomber dans les mains de l’Empire.
Ce n’est pas nouveau, et ton avertissement vient un peu tard, ironisa Lucas.
Elle n’a pas encore quitté Sagitta. Tu dois faire vite.
Je ferai mon possible.
–Et voilà ! annonça Matthias en inspectant son travail d’un œil critique.
–Du bon travail, commenta Luor. Tes points sont parfaitement réguliers.
–Mon père était couturier, rétorqua l’Emissaire qui remballait son matériel. Je me dois de lui faire honneur.
Luor l’aida à bander les deux blessures ; puis les deux Émissaires empoignèrent Lucas et l’aidèrent à se remettre sur pieds.
Livide, le jeune homme tituba sur des jambes tremblantes, et se serait écroulé si les Mecers ne l’avaient soutenu.
–Ça va aller ? risqua Matthias.
–Il faudra bien, répondit Lucas derrière ses dents serrées.
Les larmes de Lika l’avaient sauvé d’une mort certaine ; si la magie des phœnix avait réparé les dégâts causés aux muscles et aux organes, elle utilisait essentiellement l’énergie du principal concerné.
Il se sentait aussi faible d’un nouveau-né et maudissait son impuissance.
Luor fouilla dans sa besace et lui tendit deux biscuits.
–Mange, tu dois reprendre des forces.
Lucas le remercia ; il n’en avait pas eu conscience jusque-là mais il avait une faim dévorante. Il reconnut sans peine le goût prononcé du zif, une noix originaire des hauts sommets de leur planète natale, réputée pour ses effets fortifiants. En quelques minutes il se sentit revigoré et son visage reprit des couleurs. Bien sûr, l’effet serait temporaire ; seul le repos reconstituerait véritablement ses forces.
Les trois Émissaires partagèrent un moment de silence.
Aucun d’eux n’avait encore osé aborder le sujet brûlant de la disparition de la jeune femme.
–Je vais la chercher, dit finalement Lucas en se dégageant.
Sa démarche était encore vacillante et les deux Émissaires du Deuxième Cercle échangèrent un regard.
–Nous t’accompagnons, déclara Matthias.
Leur jeune confrère se retourna sans parvenir à masquer sa surprise.
–Quel est ton plan ? demanda Luor.
–Je…
–Tu ne croyais quand même pas que nous allions te regarder agir sans lever le petit doigt ? continua-t-il en croisant les bras.
–Mais…
–Tous pareils, ces jeunes. Tu es encore un gamin, renifla l’Émissaire.
Lucas serra les poings. S’il n’y avait pas eu Satia, s’il avait eu du temps, il lui aurait fait ravaler ces paroles sur le champ.
–Némo a localisé leur camp, les interrompit Matthias.
La colère de Lucas s’évapora instantanément, remplacée par une sourde détermination. Bientôt il pourrait libérer Satia des Maagoï. Il entrouvrit ses ailes, prêt à l’envol.
–Où ?
–Laisse-moi terminer. Le camp est abandonné.
Luor jura. Ils arrivaient trop tard.
–Ils avancent à marche forcée vers la Porte.
–Ils fuient ? s’étonna Luor.
–Ils se replient, corrigea Matthias. Le Commandeur est loin d’être un imbécile. Il sait que Lucas est un Émissaire, et que par conséquent, des renforts ont été appelés. Les Maagoï ont tout à perdre à rester immobiles alors qu’ils ont été localisés.
–Mais il va être difficile de les rejoindre avec ces branchages, commenta sombrement Lucas.
–Pas forcément, murmura Matthias.
Son regard se fit vague tandis qu’il communiquait avec son Compagnon.
–Ils ont des prisonniers. Ils se déplacent lentement. Oui. Nous allons pouvoir les intercepter.
–Où ?
L’urgence perçait dans la voix de Lucas.
–Près du lac Eriol. Quand ils sortiront de la forêt. Avant la Porte.
–Alors ne perdons pas de temps, conclut Luor. Allons-y.
*****
Satia avançait mécaniquement, sans même sentir les branchages qui fouettaient ses bras et ses jambes. La forêt autour d’eux était calme ; seul le pas des prisonniers troublaient le silence qui précédait le crépuscule.
La jeune femme était épuisée ; elle n’avait pu que se reposer quelques minutes avant que le camp des Maagoïs ne soit pris d’effervescence. Des soldats étaient venus leur donner à boire, puis avec des ordres secs et des gestes brusques s’étaient occupés de lier leurs bras à une même corde. Satia avait pu compter quatre cordées comme la sienne, et ne se faisait guère d’illusion quant à ses chances de s’échapper. Les nœuds étaient bien trop serrés, et si elle ralentissait le rythme, l’à-coup tirait sur ses poignets, déjà malmenés. Elle aurait bien motivé ses compagnons de cordée, mais comment espérer fuir à neuf dans une forêt avec cette longueur de corde qui les entravait ? Il y avait trop d’obstacles… La seule solution aurait été de réussir à couper ce lien qui les retenait prisonniers, mais sans arme, comment faire ?
Les Maagoïs les encadraient, attentifs à leurs moindres gestes. Il n’était pas question de ralentir la progression du groupe. Le Commandeur Éric les avaient prévenus qu’il ne tolèrerait aucun retard.
Une fine branche fouetta sa joue, et Satia porta immédiatement ses doigts sur la coupure. Quelques gouttes de sang perlaient. Elle paniqua un instant avant de se ressaisir. Les soldats n’avaient rien vu. Elle posa ses doigts humides sur la corde, et les battements de son cœur accélérèrent comme une nouvelle possibilité lui apparaissait. C’était sa chance. Étalé, le liquide sécha en quelques secondes. Pas n’importe quel sang ; son sang, violet, issu des phœnix, qui possédait l’étrange propriété de s’enflammer une fois sec, ne laissant que des cendres en souvenir. Certes, il n’y avait là que quelques gouttes, et la flammèche qui naquit fut minuscule. Elle entama à peine la corde, pourtant fine, avant de s’éteindre. Mais cette simple flamme avait redonné de l’espoir à la jeune fille. Elle était la dernière de sa file. Elle pouvait brûler cette corde. Et ensuite… elle n’osait encore y penser. Ils se rapprochaient de la Porte ; elle n’avait pas beaucoup de temps.
La plaie de sa joue avait déjà cessé de saigner ; peut-être que si elle frottait suffisamment son doigt sur la corde ? Elle n’avait rien à perdre à essayer.
La douleur apparut rapidement ; l’espoir avait un prix. Il lui fallut de longues minutes pour que l’abrasion soit suffisante pour faire perler le sang ; goutte à goutte, dissimulant son ouvrage au creux de ses mains, elle entreprit de brûler les brins.
*****
Le Commandeur des Maagoïs jura et fit signe à l’un de ses soldats d’approcher.
–Lieutenant Ralf, faites accélérer la colonne, et placez vos hommes en alerte.
–Nous sommes suivis ? s’enquit le Maagoï.
–Repérés, temporisa Éric. La Porte doit être atteinte avant la nuit.
–Personne n’a vu l’ennemi…
–Regardez mieux, fit le Commandeur en pointant le ciel.
–Ce n’est qu’un rapace, répondit crânement le Maagoï. Inutile de sursauter au moindre oiseau…
–C’est un faucon des cimes, imbécile ! cracha Éric aux Ailes Rouges. Les hauts sommets massiliens sont leur habitat naturel. Qu’il soit ici témoigne de la présence de Mecers ! Maintenant arrêtez de perdre du temps et obéissez !
Le lieutenant ravala sa réplique devant le courroux de son supérieur. Non seulement celui-ci était plus jeune que lui, mais en plus il appartenait à une race d’esclaves ! Jamais il n’aurait dû être nommé à la tête des Maagoïs. Ralf veillerait personnellement à ce qu’un remplacement soit effectif au plus tôt.
–Je m’en occupe tout de suite, Commandeur.
Ralf sentit peser sur lui le regard de son supérieur tandis qu’il remontait la colonne et transmettait ses ordres. Malgré lui, il frissonna. Le Commandeur n’était pas réputé pour sa clémence. Il devrait se montrer prudent et chercher d’autres alliés de poids pour précipiter sa chute.
Une odeur suspecte de fumée remonta à ses narines comme il gagnait la fin du convoi. Étrange… un incendie lointain, peut-être ? Non, en hiver et avec les sols gorgés d’eau, c’était peu probable. Par acquis de conscience, il vérifia les cieux ; nul panache noir. Seuls s’amassaient de lourds nuages anthracite. Le lieutenant jura entre ses dents. Ce serait un miracle s’ils atteignaient la Porte avant que la pluie ne leur tombe dessus.
Il reporta son attention sur l’arrière-garde. Oui, l’odeur était plus prégnante par-là, plus précisément… La corde qui liait la dernière prisonnière au reste du groupe était constellée de tâches noirâtres.
Ralf s’autorisa un sourire. La gamine cherchait-elle à s’échapper en utilisant sa magie ? Le Commandeur Éric aurait bientôt un nouveau problème à gérer.
Annotations
Versions