Chapitre 41
Iwar, Septième Monde.
Le Commandeur des Maagoï, Éric aux Ailes Rouges, était arrivé tôt le matin avec sa navette personnelle pour juger des progrès des nouvelles recrues. Son second, le sous-commandeur Ralf, s'était personnellement occupé d'organiser les rafles sur les Douze Royaumes. Des adversaires pour les futurs Maagoïs. Ceux qui n'arriveraient pas à battre ces faibles ne seraient jamais dignes d'être de vrais guerriers.
La discipline était stricte, les blessés restaient livrés à leur propre sort. Les portions de nourriture étaient inférieures au nombre de soldats. Il fallait se battre pour tout : Iwar était un véritable enfer.
Les hommes dormaient dans des abris, constitués de quatre murs blanchis à la chaux, d'un toit de chaume et d'un sol en terre battue. Ces "carrés" habitables, appelés blocs, ne mesuraient que quelques mètres de côté. À chaque bloc étaient affectées trente recrues. Et quinze rations étaient distribuées une seule fois par jour pour chaque bloc.
La journée commençait avec le lever du soleil, par des exercices d'endurcissement, de sélection ; des courses d'orientation dans les forêts avoisinantes, des combats, une activité sportive intense. Éric visitait régulièrement les lieux, surveillant soigneusement chaque recrue. Il notait ceux qui possédaient une étincelle de haine dans leurs yeux. Tous ceux qui le haïssaient, il les désignait pour les sacrifices de l'Arkom Samuel, ou pour nourrir les créatures de l'Empereur.
Pour conserver son titre, il ne devait accepter que ceux qui le craignaient - qui ne risquaient pas de tenter de briguer sa place. Il jeta un coup d'œil à Ralf, son second qui le suivait à quelques pas de distance. Ralf était en train de devenir dangereux. Il n'avait jamais apprécié qu'un ex-Massilien, pour lui un esclave, vienne prendre la place à laquelle il était destiné. Mais il savait qu'il n'aurait jamais le dessus dans un combat. Il ne lui restait alors plus que deux armes, la ruse et la rumeur. Ralf n'attendait qu'une chose : qu’Éric perde son crédit auprès de l'Empereur.
Le Commandeur n'entendait pas lui laisser une telle opportunité. Les Maagoï n'avaient aucun sens de l'honneur. La force était la seule règle à laquelle ils obéissaient. Et pour ce que l'on ne pouvait obtenir par la force, il y avait les complots et les guets-apens. Cependant ses ennemis n'étaient pas qu'au sein des Maagoï. De nombreux Seigneurs lui enviaient sa place privilégiée, et le fait qu'il ait la confiance de l'Empereur Dvorking, Orssanc lui prête sa force. Il avait déjà reçu de nombreuses propositions de corruption : il avait tué tous les messagers. Il avait tout renié de son passé, délaissant l'honneur pour la gloire, pour le pouvoir. Sa loyauté allait à l'Empereur, et son héritage Massilien ne lui permettait pas d'en changer. Il avait choisi de vouer sa vie à cet homme exceptionnel, dont le pouvoir était infiniment plus grand que celui d'un Djicam ou même d'un Souverain.
Des échos de pas précipités arrivèrent jusqu'à ses oreilles. Il sentit Ralf se tendre.
–Laisse. Je m'en occupe.
–Comme vous voudrez, Commandeur, répondit le Maagoï avec une légère inclinaison de tête.
Éric posa négligemment sa main sur la garde de son épée. Qui venait le défier ici, sur son domaine, sur Iwar ? Les pas se rapprochaient. Il écouta attentivement. Seulement quatre personnes. Quelle que soit la personne qui les avait envoyés, elle s'était montrée négligente. Il avait déjà survécu à des attaques portées par huit assassins d'élites. Avec de la chance, certes, mais tout de même.
Le Commandeur se retourna lentement vers ses adversaires. Essayer de l'attaquer par derrière était une bonne chose, mais il fallait faire preuve d'un peu plus de discrétion. Ils essayaient de se déplacer comme des Maagoï ayant parfaitement leur place ici, sauf qu’ils n'étaient pas autorisés à pénétrer dans cette zone. Seuls Ralf et lui-même le pouvaient. Ils avaient commis une erreur de débutants en ne se renseignant pas sur les lieux. Ils seraient des adversaires pitoyables. Il ne leur laissa pas le temps de s'approcher plus avant. Il dégaina lentement la lame sombre en Kloris. Le cristal grinça en frottant contre le fourreau métallique. Des reflets jouaient sur la lame polie. Un sourire carnassier étira ses lèvres.
Éric avait une grande envie de se dérouiller les épaules. La chasse était ouverte.
Il s'élança sur les quatre hommes, surpris d'être percés à jour. Bondissant sur le premier, il lui ouvrit la gorge d'un coup d'épée, puis recula d'un pas pour éviter la charge d'une deuxième attaque, déséquilibrant son adversaire, qu'il assomma d'un rapide coup de coude dans la nuque. Il ne l'acheva pas immédiatement : les deux autres étaient plus dangereux pour l'instant. Passant sous la garde d'un de ses adversaires, il lui enfonça son épée dans le cœur, tout en dégageant d'un coup de pied le dernier attaquant. Faisant volte-face, il l'acheva rapidement, avant qu'il ait le temps de réagir.
Il ne restait plus que le dernier homme, toujours inconscient. S'approchant, Éric lui décocha un violent coup de pied dans les côtes pour le réveiller.
–Lève-toi, vermine.
L'homme gémit de douleur, mais n'obéit pas. Éric l'attrapa par le col et le mit debout, la lame noire contre sa gorge.
–Parle tant que tu le peux encore. Qui t'as envoyé ?
–Je … ne …trahirai…pas …mon…Seigneur… réussit à articuler difficilement le prisonnier.
–Alors meurs.
L'homme eut un spasme quand le Commandeur l’égorgea, et ses derniers mots se perdirent dans un gargouillis. Il s’effondra, le regard déjà vitreux.
Éric n'eut pas besoin de nettoyer son épée : le cristal avait déjà absorbé le sang versé, et sa couleur noire se paraît de reflets rubis.
Il rengaina, examina soigneusement chaque cadavre afin de trouver un indice sur le commanditaire de cet acte. Il n'en fut rien : aucune trace. Pestant, il chargea Ralf de se débarrasser des corps.
–Rédige un rapport sur cet incident. Je le veux demain sur mon bureau.
–Oui, Commandeur, marmonna Ralf.
Lorsqu'il était dans cet état, le Commandeur n'aimait pas être contrarié.
Éric aux Ailes Rouges bondit dans les airs en direction de sa demeure, bien plus loin au sud. Un sentiment d'urgence le poussait à rentrer. Un instinct qu'il ne s'expliquait pas, mais qu'il suivait toujours. Cela lui avait déjà sauvé la vie à plusieurs reprises.
Éric gardait peu de souvenirs de son enfance, mais suffisamment pour savoir qu'il avait toujours été plus sensible aux émotions des animaux que les autres enfants du même âge. Il montrait une forte sensibilité au Wild, pas suffisamment pour avoir le Don, mais plus que les autres.
Nyx, commanda-t-il, sois prêt dès mon arrivée.
Je serai prêt, fut la réponse qui lui parvint.
Éric fut satisfait. Le Wild lui permettait de soumettre aisément toutes sortes de créatures. Il ne comprenait pas comment les Massiliens pouvaient donner leur confiance à un animal, et surtout lier leur vie à la leur. Pourquoi ne tiraient-ils pas avantage de ce pouvoir ? Éric avait toujours su faire la part des choses. Il n'avait jamais accepté une union totale, au point de lier son existence avec celle d’un animal. Nyx était son douzième Compagnon. Un lien qu’il avait forgé récemment après s’être débarrassé de son drai’kanter. Alios avait échoué trop souvent.
Éric se souvenait encore de la correction magistrale qu'il avait reçue à huit ans après s'être lié pour la première fois. Un premier contact avec une petite musaraigne.
Aide-moi, avait-elle dit.
Il avait gagné sa confiance avec des gâteaux chipés aux cuisines. Avant de l'envoyer jouer avec le gros chat de la cuisinière. Et de sentir les crocs du chat s'enfoncer dans sa nuque. Il se rappelait encore le frisson d'exaltation qui l'avait secoué. Avant que son père ne lui fasse de sévères remontrances. Ivan n'avait jamais compris qu'il détenait le pouvoir. Il avait refusé de voir qu’Éric ne se conduisait pas comme un Massilien l'aurait dû.
Lucas avait été éduqué dans le respect des valeurs massiliennes. Leur père savait très bien qu’aucun autre ne serait capable de le vaincre. Seul Aioros avait eu son niveau ; mais ils avaient vécu leur jeunesse ensemble, et son cadet était bien trop sentimental. Un défaut majeur qui convenait très bien au Commandeur.
Ils ne s’étaient retrouvé qu’une seule fois, sur le champ de bataille. Un Massilien aux Ailes Rouges à la tête des Maagoïs ? C’était intolérable. Il se souvenait encore de la tête déconfite d’Aioros quand il avait découvert qu’il ne s’agissait pas de n’importe quel Massilien, mais de son frère ainé ; celui dont il avait été le plus proche.
Éric aurait pu le tuer, cette fois-là, si leur père ne s’était pas interposé. Harcelé de toutes parts, le Commandeur avait dû fuir en catastrophe. Une de ses rares défaites.
Lucas était le seul de ses frères à ne l’avoir pas connu lors de ses années massiliennes. Raison pour laquelle Ivan l’avait choisi pour cette tâche, certainement. Mais il avait commis une erreur en lui cachant la vérité, et Éric comptait bien profiter de cette faille.
Lucas ne le tuerait pas, maintenant qu'il savait. Il en était certain.
Dire qu’Éric avait voulu sa mort toutes ces années. Un Mecer inexpérimenté qui l’avait blessé ? Inacceptable.
Sauf que l'Empereur lui avait révélé l'identité de cet homme. Éric ne l'avait pas cru, au départ. Un membre de la Seycam devait avoir les ailes entièrement blanches. Il n'avait eu besoin que d'un seul combat pour comprendre que les plumes noires et marron n'étaient qu'un subterfuge. Quelle en était la raison ? Pourquoi se cacher ? Ivan avait-il cherché à le protéger ?
Trop de questions sans réponse… Il lui tardait de pouvoir y réfléchir dans le calme de sa demeure.
Le Commandeur se concentra sur les alentours comme il arrivait à proximité de son domicile.
Sa taille était importante, même si elle n'atteignait pas les proportions de celles des Neuf Familles. Sa forme restait sobre, un grand rectangle comportant un large patio en son centre. Il avait beau avoir renié Massilia, il aimait toujours les grands espaces et détestait avoir l'impression d'être enfermé. Aucune porte chez lui, toutes les pièces donnaient sur le patio. Il possédait une dizaine d'esclaves qui s'occupaient de l'entretien de la maison. Presque un luxe pour un homme vivant seul, mais il était le Commandeur des Maagoï et se devait de tenir son rang.
À son habitude, il se posa au milieu du patio, soulevant les feuilles des arbustes alentour. Un esclave se précipita pour l’accueillir.
–Seigneur Commandeur, annonça Zem, tout en se prosternant, une Dame vous attend dans le petit salon.
–Quel est l'imbécile qui l'a laissé entrer ? gronda Éric, le regard noir.
–Elle… elle avait une lettre, Seigneur Commandeur, balbutia l'esclave, terrifié.
Éric soupira. Une lettre. Croyait-elle l’impressionner avec un moyen de communication si rudimentaire ?
–J’espère que vous vous êtes occupés d’elle convenablement, continua Éric.
–Taliel lui a apporté des rafraichissements, Seigneur Commandeur. Selon lui elle est du Neuvième Monde.
Les renseignements, donc, songea Éric, intrigué. Une manœuvre osée ; les habitants de Nienna préféraient toujours agir en sous-main.
Agissait-elle sur ordre de l’Empereur ou de sa simple initiative ? Dvorking ne brillait pas par sa confiance.
–Dites-lui que je suis arrivé et que je la recevrai bientôt.
–À vos ordres, Seigneur Commandeur, fit Zem en s’inclinant.
*****
Sagitta, Douzième Royaume, Palais de Valyar…
Satia fouillait rapidement son armoire, cherchant ce qu'elle pouvait emporter dans le petit sac ouvert sur son lit. Des vêtements confortables pour le voyage. Quel était le temps sur Mayar ? Une forêt tropicale couvrait une partie du continent principal. Si ses souvenirs étaient bons, le Temple n’était pas très loin de la Porte ; moins d’une journée à cheval. Avec un temps chaud et humide, il était inutile de s’encombrer de fourrures. Elle risqua un coup d'œil dans son petit salon. Ils étaient tous là à l'attendre. Elle devait se dépêcher. Une couverture pour la nuit. Une brosse à cheveux et un petit nécessaire à couture. Et la dague que son père lui avait léguée. Elle la passa à sa ceinture, fourra le reste dans son sac et rejoignit les autres.
–Je suis prête, dit-elle.
Le Djicam Ivan, sur le qui-vive, semblait penser que tout pouvait arriver. Lucas était là également ; assis, ce qui était inhabituel. Et bien pâle. Deux coups furent frappés à la porte, et Ivan avait déjà commencé à tirer son épée avant de reconnaître Mickaëla. Satia le sentait très nerveux ; elle était inquiète. Le Djicam de Massilia avait toujours été calme.
–Dionéris veut te voir, mon enfant, fit la Grande Prêtresse d'une voix douce.
–Veille sur elle, répondit Ivan comme les deux femmes s’éclipsaient.
Il reporta son attention sur Lucas.
–Tu y arriveras ?
–Il le faudra bien, murmura le Messager. Matthias n’est pas dans les parages ?
–Non, malheureusement. Je t’adjoindrai bien quelques Mecers mais Mickaëla craint que leur départ ne soit visible. Et je ne sais plus en qui avoir confiance si le Wild est compromis.
Lucas acquiesça.
–Je ferai au mieux, dit-il en desserrant le col de son uniforme.
S’il avait l’impression d’étouffer, qu’en était-il réellement pour Lika ? Le poison leur interdisait tout embrasement. Les survivants de la première vague, prévenus par leurs pairs lors de leur brève agonie, s’étaient rassemblés pour unir leurs forces et trouver un moyen de survivre.
Pour l’instant, ils ne faisaient que retarder l’inéluctable. Et s’il en croyait les pensées de Lika, ils n’avaient toujours pas trouvé de solution.
Combien de temps leur restait-il ?
Combien de temps lui restait-il ?
Avec effort, il se leva. Inutile de rester assis à se lamenter alors que tant de préparatifs restaient à faire. Lucas s’apprêtait à quitter la pièce quand le Djicam le retint.
–Lucas… je suis désolé de t’imposer tout ça.
–J’ai choisi ma voie, père. Notre sacrifice ne sera pas vain.
Le Djicam posa les mains sur ses épaules.
–Tu fais honneur à la Seycam. Je suis fier de toi.
–Merci, murmura le jeune Massilien, la gorge nouée.
Il luttait pour refouler les larmes qui perlaient à ses paupières, mais la digue qui retenait ses émotions céda dans l’étreinte de son père.
–Ta mère aurait été si fière de toi… Le destin se montre bien cruel avec notre famille.
Lucas ne put qu’acquiescer mentalement tandis que les larmes brûlaient ses yeux et dévalaient ses joues. Que n’aurait-il donné pour rester ainsi, pour garder ce sentiment de sécurité dans les bras paternels ? Mais il n’était plus un enfant, et le devoir l’appelait. Satia comptait sur lui. Lika avait besoin de lui.
À regret, Lucas se détacha, essuya ses yeux rougis, recomposa son expression. Il était un Messager, après tout.
–Avec votre permission, père… Itzal devait me retrouver dans les écuries.
–Je t’accompagne.
–Merci, répondit le jeune homme en s’inclinant par réflexe, surpris et ravi de la proposition.
*****
Satia suivit la Djicam de Mayar jusqu'aux appartements du Souverain. Domaris se leva à leur entrée : des larmes brillaient dans ses yeux. La rechute de Dionéris avait surpris tout le monde, même les Guérisseurs de Soctoris. Il aurait dû aller mieux.
–Eraïm te garde, ma fille, murmura-t-elle avant de les laisser seules avec son époux.
Satia frissonna. Mickaëla se retira dans un coin de la chambre, et Satia s'approcha du lit sur lequel reposait Dionéris. Il était pâle, bien plus que Lucas, et épuisé. Tous ses repères s’écroulaient les uns après les autres. Satia refusait de croire que le Souverain ne se relèverait pas, comme le prétendaient certaines rumeurs.
–Je suis là, dit-elle.
Il ouvrit les yeux, avec un certain effort.
–Ma fille, il te faut partir, murmura-t-il.
–Ivan me l'a expliqué.
–Bien…ne donne pas ta confiance à n'importe qui….apprends à contrôler ton pouvoir…
–J’apprendrai, promit la jeune femme. Ne vous épuisez pas en vain. Reposez-vous.
–Non…attends…tu dois savoir…
Une quinte de toux l'interrompit et il continua :
–Je ne suis pas malade…c'est Damien.
Damien. Elle eut un mouvement de recul. Ce nom maudit.
–Je n'ai aucune preuve, mais je le sens. Il m'empoisonne, je vois son sourire grandir de jour en jour. Prends garde, il t'envie, et je me meurs. Je ne serais bientôt plus là pour te protéger. Prends soin de toi. Prends soin de la Fédération.
Il reprit son souffle, épuisé par sa longue tirade. Attrapant sa main, il lui dit :
–Va, maintenant. Pars avec ma bénédiction. Que le souffle du phénix te protège.
La gorge nouée, Satia murmura :
–Eraïm vous garde, Dionéris. Merci pour tout.
Puis elle se retira, secouée. Une main compatissante se posa sur son épaule.
–Je m'occuperai de Dionéris le temps de ta formation, dit la Grande Prêtresse. Quoi qu'il arrive, l'Assemblée te soutiendra.
*****
Les deux femmes retrouvèrent le reste du petit groupe dans les écuries du Palais. L’Envoyé Itzal avait rejoint Lucas et le Djicam. Il tenait dans ses bras ce qui ressemblait à un gros chaton noir, et à ses côtés se trouvait un grand félin…bleu clair avec des rayures dorées…un tylingre ?
–Vous voilà enfin, fit Ivan. Il n'y a plus de temps à perdre.
–Nous partons, confirma Satia.
Lucas était déjà en selle, chose assez inhabituelle pour un Massilien, mais il maîtrisait son noir comme un cavalier confirmé.
Itzal tenait son propre cheval par la bride en le considérant avec appréhension. Le dernier, un bai, était chargé avec les sacs, équipements et nourritures dont ils auraient besoin au cours de leur voyage. Satia se dirigea vers sa jument noire et monta en selle.
–Allons-y.
Laria fit soudainement irruption, s'attirant tous les regards.
–Je vous accompagne, déclara la Guerrière de Perle tout aussi brusquement.
Les deux Djicams se consultèrent du regard avant d'acquiescer. Satia fut soulagée d'avoir la jeune femme avec elle. Une autre présence féminine ne serait pas de trop. L'Atlante enfourcha rapidement sa monture, une jument baie brune avec laquelle elle ne semblait avoir aucune difficulté. Comme d'habitude, sa tenue était légère. Satia comprenait très bien pourquoi Itzal était rouge jusqu'aux oreilles : sa jupe – si on pouvait l'appeler ainsi - dévoilait entièrement ses jambes, et sa chemise n'était constituée que d'une étroite bande de tissu entourant sa poitrine.
–Bien. Vous allez traverser la forêt de Tyrion pour rejoindre la Porte de Sagitta. Si Eraïm est avec vous, dans deux jours vous arriverez sur Mayar.
Le Djicam Ivan se tourna vers Lucas.
–Eraïm te garde, mon fils. Si tu as besoin de quoi que ce soit…
–Le temps d'arriver à la porte et je volerai de nouveau. Je ferai ce qui doit être fait, répondit le jeune Massilien, déterminé malgré ses yeux rougis.
À son soulagement, sa voix resta ferme. Pour le moment, il se contenterait de petites victoires.
Ivan regretta que son bras en écharpe ne lui permette pas de les accompagner. Mickaëla lui sourit :
–Il reste du travail à accomplir ici. Soyez prudents, mes enfants. Qu'Eraïm vous protège.
Lucas ouvrit la marche et Satia lui emboîta le pas, suivie par Itzal et Laria.
Les deux Djicams les regardèrent disparaitre dans les premières lueurs de l’aube.
–J'espère que nous ne commettons pas une erreur, murmura Ivan en fronçant les sourcils.
–Elle a besoin d'apprendre à maîtriser son pouvoir, Ivan, répondit Mickaëla.
–Je sais. Mais il ne sert à rien de se voiler la face : Dionéris est mourant. L'Empire nous presse de toute part : d'abord les Strators… puis s'en prendre directement aux phénix. La Fédération va avoir besoin d'une présence forte. Si Satia n'est pas là au bon moment…
La Grande Prêtresse acquiesça.
–Il en sera selon la volonté d'Eraïm.
Son regard s'assombrit.
–Mon ami, il ne faut pas prendre les Strators à la légère. Leur attaque prouve que l'Empereur, ou l'Arkom, sont au courant du rôle de protection de la Seycam de Massilia. Ta famille est affaiblie. Je ne crois pas aux coïncidences.
–Tu as raison, comme toujours. Nous devons être prudents. Le traître est toujours là. Et nous n'avons toujours aucune nouvelle d'Alcor. Je suis inquiet.
–La situation est préoccupante. Gardons sur nous l'attention de Dvorking, afin de leur permettre d'échapper quelque peu au danger.
*****
Soctoris, Huitième Royaume…
Une brise légère se frayait un chemin parmi les arbres. Le soleil brillait, une douce chaleur se répandait sur chacun de ses membres. Une main enserrait la sienne. Saskat. Elle souriait, ses cheveux blonds tombaient en cascade sur ses épaules. Vêtue d'une robe légère, elle tentait de l'entraîner plus profond dans la forêt. Pourquoi résistait-il ? Elle était si belle. Ce collier de velours rouge… il ne se souvenait pas lui avoir offert. Qui le lui avait donné ? Ses souvenirs affluèrent soudain.
–Saskat ! cria-t-il tout en se redressant.
Haletant, il regarda autour de lui, désorienté. Un rêve ? Où était-il ? Des bandages lui enserraient le torse et la jambe gauche. Non, ce n'était pas un rêve. Saskat était morte. Il avait été pourchassé. Oréa.
La porte s'ouvrit, et il leva la tête.
–Oh.
Une toute jeune fille se tenait dans l'encadrement, portant un plateau.
–Vous êtes enfin réveillé, dit-elle avec un air joyeux.
Elle déposa le plateau sur la petite table près de son lit.
–Où suis-je ? demanda-t-il.
–À Ankaren, sur Soctoris, répondit-elle.
S'approchant, elle posa une main fraîche sur son front.
–Vous n'avez plus de fièvre, nota-t-elle avec satisfaction. Vous pouvez manger, dit-elle en désignant le plateau. Je vais chercher Maître Guimar.
Elle partit aussi rapidement qu'elle était venue, laissant Altaïr perplexe. Soctoris ? Le Septième Royaume ? Comment était-il arrivé ici ?
Altaïr était toujours en train de se poser des questions lorsqu'un homme entra.
–La petite n'a donc pas menti, dit-il d'entrée. Je suis Guimar, le Guérisseur Initié qui dirige ce lieu. Comment vous sentez-vous ? Avez-vous mal quelque part ?
–Je vais très bien, merci. Comment suis-je arrivé ici ?
–L'impatience de la jeunesse… soupira Guimar. Vous pouvez remercier la petite Sanae, jeune homme. Elle vous a trouvé inconscient dans le froid.
Altaïr reporta son attention sur la frêle jeune fille et inclina la tête.
–Vous ne vous souvenez pas de votre arrivée ici ? reprit Guimar. Un Vénérian sur Soctoris, ce n’est pas courant, si loin d’une Porte. Qui êtes-vous ?
–Je suis Altaïr sey Alcantriz, fils d’Alcor de Vénéré, maugréa-t-il.
–Le fils du Djicam du Troisième Royaume ? commenta Guimar, surpris. Où est votre escorte ?
Le regard d'Altaïr s'assombrit soudain. Son père. Sa mère. Saskat. Tous tués. Tous morts.
–Ils ont tué tout le monde, dit-il d'une voix rauque. Tout a brûlé. Je retrouverai ceux qui ont commis ces actes atroces. Je les retrouverai et je les tuerai tous.
Maître Guimar eut un reniflement de mépris.
–La vengeance, hein ? Tuer ces hommes ne fera pas revenir ceux qui sont morts. Ce n'est pas une solution.
–Alors je devrais rester là à ne rien faire ? s'indigna le jeune homme. Hors de question.
–Je vois la noirceur grandir en ton cœur, Altaïr. Mon art consiste à guérir vos folies. Si c'est ce chemin que tu souhaites emprunter, tu partiras dès que possible. La vengeance est un poison qui ronge l'âme, et je n'ai nulle envie que mes élèves soient pervertis par ton contact.
–Et je n’ai nulle intention de rester ici, rétorqua Altaïr. Nos intérêts concordent donc. Combien de jours ?
Maître Guimar fronça ses sourcils broussailleux.
–Compte encore quelques jours de repos. Tu as interdiction de te lever avant demain. Maintenant, mange. Je repasserai dans la soirée.
Il quitta rapidement la pièce, sans laisser le temps à Altaïr de protester. Le Vénérian jura tout bas. Pourquoi attendre le lendemain pour se lever ? Il se sentait suffisamment en forme pour faire quelques pas.
Altaïr repoussa ses couvertures, s'assit au bord du lit. La tête lui tourna un instant. Non, il n'était pas aussi faible !
–Oh non, je vous en prie, ne vous levez pas ! s'écria Sanae.
–Pourquoi donc ? rétorqua Altaïr. Je me sens très bien.
–S'il vous plaît… je vous en supplie, il me battra s'il apprend que je vous ai laissé faire !
Interdit, Altaïr considéra la fillette avec stupeur. Le vieil homme comptait la punir s’il n’obéissait pas ? C’était perfide et lâche.
Mais efficace, reconnut-il de mauvaise grâce. Il était piégé. Altaïr soupira avant de ramener les couvertures sur lui.
Sanae remplaça le plateau sur la petite table, et s'installa sur un tabouret adjacent.
–Le Maître dit qu'il vous faut manger.
–Très bien, puisqu'il le faut.
Son air désabusé fut trahi par le bruit de son estomac. Un sourire apparut sur le visage de la jeune Soctorisienne.
–J'étais sûre que vous auriez faim.
Le jeune homme avala rapidement le bol de soupe, se brûlant la langue dans sa hâte. Il attaqua la viande, délicieusement juteuse, accompagnée de petits légumes qu'il ne connaissait pas, mais qui se révélèrent succulents.
Sanae ouvrait de grands yeux, dévorée par la curiosité.
–Est-ce que… est-ce que je peux vous poser une question ? demanda-t-elle avec hésitation.
–Bien sûr, répondit Altaïr entre deux bouchées. Si je le peux je répondrai.
–Je n’avais jamais vu de Vénérian. Vous êtes moins différents de nous que ce que j’imaginais.
Altaïr sourit.
–Chaque Royaume a ses particularités, oui.
–Et votre spécialité, c’est quoi ?
–Tu l’as appris à l’école, non ? Vénéré est le Royaume des forêts. Nous exploitons plusieurs essences, nous apprenons à nous y déplacer et repérer. Notre forêt est la plus ancienne de la Fédération, tu sais. Elle est belle, sauvage et encore mystérieuse.
–Elle recouvre tout, c’est ça ? demanda-t-elle, s'imaginant difficilement un monde recouvert d'arbres.
Une forêt entourait certes Ankaren, mais Sanae avait grandi au milieu des plaines de Poris.
–Oui, confirma Altaïr.
–Comme j'aimerai voyager…dit-elle d'une voix rêveuse.
–Tu voyageras assez lorsque tu deviendras Guérisseuse Novice, et ce n'est pas en baillant aux corneilles que tu y arriveras !
Sanae sursauta au son de la voix de Guimar.
–Pardonnez-moi, Maître…
–File, il reste du travail aux cuisines.
*****
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