Chapitre 44

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Iwar, Septième Monde, demeure du Commandeur des Maagoï….

Éric se rendit dans son salon où l’attendait sa mystérieuse visiteuse. Ses bottes noires claquaient sur le sol en pierre polie des couloirs et les esclaves se prosternaient sur son passage, redoutant que sa colère s’abatte sur eux. Éric ne les voyait même pas.

Écartant la tenture qui en dissimulait l’accès, il entra dans le salon, et la dame se leva précipitamment. Elle s’inclina dans une profonde révérence.

–Seigneur Commandeur, fit-elle, je suis Esbeth de Nienna.

–Ma Dame, répondit ce dernier tout aussi formellement en s’inclinant.

Taliel arriva avec un plateau chargé de douceurs colorées et d’une carafe de punch glacé. L’esclave déposa sa charge sur la table basse et remplit deux verres avant de se retirer. Eric savait qu’il resterait à portée de voix en attendant que ses services soient de nouveau requis.

Ils échangèrent des banalités d’usage jusqu’à ce qu’Éric s’agace.

–Trêves de plaisanteries. Quelle est la raison de votre présence ici ?

Dvorking n’avait-il plus confiance en lui pour lui envoyer une experte de l’espionnage ? Esbeth trempa ses lèvres dans le breuvage glacé et prit son temps pour formuler sa réponse.

–L’Empereur Dvorking, Orssanc lui prête sa force, se demande pourquoi vous n’avez pas encore pris une épouse, Seigneur Commandeur.

Éric faillit s’étrangler en avalant.

–En quoi cela vous concerne-t-il ?

–Je fais partie de la Famille de Nienna, étant la nièce du Seigneur Nel. Vous êtes le favori de l’Empereur. Est-ce si anormal que je m’intéresse ?

Le Commandeur dévisagea longuement la femme en face de lui. Son visage harmonieux était maquillé avec soin, et un trait de noir soulignait son regard de braise. Sa bouche était peinte d’un rouge incarnat, et une touche de fard sur ses yeux illuminait son teint. Elle portait une robe aussi noire que sa chevelure, qui mettait en valeur sa taille fine et ses formes voluptueuses. Son charme était indéniable, et il rendrait assurément plus d’un Seigneur jaloux.

Eric était toujours resté loin des femmes des Familles, préférant des esclaves pour assouvir ses penchants. Esclaves dont la durée de vie s’écourtait dès lors qu’il croisait leur chemin. Réduire au silence une Dame de la noblesse ne passerait pas autant inaperçu et attirerait immanquablement l’ire de l’ensemble des Neuf Familles.

Il avait trop d’expérience sur les vendettas familiales pour prendre le moindre risque de concevoir un héritier qui serait ensuite utilisé contre lui.

L’offre était tentante… mais risquée. Il n’avait nulle envie de s’assurer d’une lignée, et se demandait surtout ce qu’Esbeth recherchait au travers de cette proposition.

Les habitants de Nienna n’affichaient jamais ouvertement leurs intentions, ils étaient plutôt spécialistes des coups en douce… Que cachait cette proposition ? Il n’avait perçu qu’une lueur calculatrice dans son regard.

–Les femmes n’ont que peu d’importance pour moi, finit-il par répondre. Je ne suis pas comme ces hommes qui cèdent à tous leurs caprices. Une femme est une ennemie redoutable qui intrigue dans votre dos. Je n’ai guère le temps pour ces mesquineries au service de l’Empereur.

Esbeth eut un petit rire.

–Mes frères ne m’avaient donc pas trompée. Vous êtes décidément… intéressant. Votre dévouement envers l’Empereur, Orssanc lui prête sa force, est exceptionnel.

–J’ai choisi le maître que je sers, et ma loyauté lui est totale.

–Nombreux sont ceux qui ne vous portent pas en leur cœur, parmi les Neuf.

–Qu’entendez-vous par cela, Dame Esbeth ? demanda-t-il en fronçant les sourcils.

–Vous êtes seul, Seigneur Commandeur. Et le seul en qui l’Empereur Dvorking ait toute confiance. Ne pensez-vous pas attirer les convoitises ? Un accident est si vite arrivé….

Éric se leva.

–Des menaces ? dit-il en se rapprochant d’elle. Comme vous l’avez si bien rappelé, Dvorking me fait confiance. Et même les Neuf ne sont pas à l’abri de sa colère.

–La sienne, ou la vôtre ? contre-attaqua-t-elle. L’Empereur n’est pas immortel….

–Vos propos frôlent la trahison, Dame Esbeth.

Elle ne répondit pas, préférant prendre quelques gorgées de son breuvage.

Le Commandeur ne put s’empêcher d’admirer son calme et son courage. Oser pénétrer chez lui, seule ! Non qu’elle soit désarmée pour autant : les Nienniens étaient connus pour leur habileté au combat à mains nues. Des combattants d’exception, mais qui ne rivalisaient pas avec l’entraînement des Maagoïs. Où Esbeth voulait-elle en venir ?

–Étiez-vous présent au mariage du Seigneur Evan d’Arian, Seigneur Commandeur ? demanda-t-elle.

–Non, j’étais en mission, répondit Éric, surpris par ce changement de sujet.

–L’Arkom en personne a prédit leur avenir dans les entrailles fumantes de deux esclaves, dit-elle en fixant son regard sur son verre.

–Étrangement, poursuivit-elle, les mots de feu sont sortis de nombreuses fois : incendie, tout brûle…Les regards étaient fixés sur les esclaves agonisants et les jeunes mariés, mais j’ai remarqué les visages fermés de l’Arkom et de l’Empereur, Orssanc lui prête sa force.

–Et….Quelles conclusions en avez-vous tiré, Dame Esbeth ?

Elle se sentit exulter. Enfin il réagissait comme elle le désirait. Il possédait un esprit froid et calculateur ; elle commençait à mieux cerner son caractère, et comprenait désormais pourquoi Dvorking le choisissait comme confident. Il semblait incorruptible, mais elle ne s’avouerait pas vaincue !

–Je pense que tout ceci indique que la prophétie va bientôt se réaliser, Seigneur Commandeur, répondit-elle avec sérieux.

Il éclata de rire, à son grand dam, et elle se mordit les lèvres. Avait-elle commis une erreur ?

–Vous parlez bien de la prophétie de l’Arkom, formulée il y a plus de quatre ans ? finit-il par répondre après s’être calmé.

–Bien évidemment. Dois-je vous la rappeler ? « Le feu consumera le feu - Le sang sera violet - L’union de la descendance de Félénor - Avec le rougeoiement perpétuel -Engendrera la lumière de l’éternité ». Les flammes représentent sans aucun doute possible les phénix. D’après les rumeurs, l’Iko Idril aurait réussi à percer leur secret. La flotte du Seigneur Gnor de Meren est semble-t-il déjà partie à l’assaut de la Fédération. Sans sa Barrière, elle tombera facilement. Et je n’y vois rien de drôle, ajouta-t-elle avec humeur.

–Pour être franc, j’ai du mal à croire toutes ces histoires. Ce qui compte dans un combat, c’est la force qui réside dans l’épée, dans le bras qui la manie, et dans l’esprit qui la conduit. Les prophéties… Tout est-il vraiment écrit à l’avance ? Et si oui, quel intérêt ont les Dieux à nous l’annoncer ? La prophétie parle aussi de « sang violet » il me semble… quel rapport avec les phénix ?

Un sourire naquit sur les lèvres carminées d’Esbeth.

–Ne me dites pas que vous n’avez pas percé ce mystère !

–Je ne me suis pas penché sur le sujet…

–Nous avons dû éplucher nos plus anciennes archives pour en trouver trace, mais avec vos origines massiliennes, j’aurais pensé que…

–Je ne suis plus Massilien, Dame Esbeth, coupa Éric d’une voix glaciale.

Elle pâlit, et se maudit pour sa bévue qui risquait de lui coûter cher.

–Pardonnez-moi, Seigneur Commandeur.

Il balaya ses excuses d’un geste de la main.

–Continuez donc votre…théorie.

–Et bien, reprit-elle nerveusement en lissant l’un des plis de sa robe qui n’en avait nul besoin, tout cela remonte très loin, apparemment jusqu’à Félénor le Maudit…et Edwin le Massilien qui sauva sa descendance d’une mort certaine.

–La Fédération connaît-elle l’existence de cette prophétie ?

–Il apparaît, toujours selon nos recherches, que le secret se soit perdu au fil des siècles et que seule la Seycam Massilienne soit encore au courant.

–Étrange que je n’en ai rien su, murmura Éric à moitié pour lui-même. Pourquoi toutes ces confidences ? Il est rare que des Nienniens partagent une information gratuitement.

–Avoir pu vous rencontrer est tout ce que je désirais, fit Esbeth en se levant pour prendre congé. Est-ce trop demander que de pouvoir vous revoir ?

Éric prit le temps de réfléchir avant de répondre. Une petite discussion ne l’engageait à rien, et les informations qu’elle lui avait délivrées méritaient vérification et réflexion. Les Neuf étaient-ils au courant et avait-il été sciemment maintenu dans l’ignorance ? Le Commandeur n’aimait pas les manœuvres politiques mais savait que les ignorer pouvait lui être fatal.

De plus, il avait l’impression qu’elle lui cachait quelque chose d’important… quoi exactement, il n’eut su le dire. Impossible de mettre de doigt sur l’origine de cette sensation. Pour une fois, il pourrait joindre l’utile à l’agréable.

–Ma porte vous est ouverte, Dame Esbeth, finit-il par dire.

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