Petit couac
- Arrête avec ton trombone ! claironna Pascale dans la cuisine étriquée.
- Qu'est-ce que tu me chantes-là ? s'estomaqua Marius, assis sur une chaise en bois.
Son long instrument, tenu entre ses mains, surplombait la table de toute sa longueur. Lui qui se félicitait intérieurement d'avoir réussi d'une traite un morceau rempli de notes et pauvre en silences.
- Ton boucan, en permanence et surtout toujours dans la cuisine qu'est pas assez encombrée, peut-être.
Elle appuya son propos en montrant le peu d'espace restant pour circuler entre les meubles. Il fallait dire que la cuisine était non seulement petite, mais le mobilier provenant d'héritages divers en imposait par sa seule présence.
- Ah, râla Marius, je t'ai déjà dit que l'acoustique était la meilleure dans cette pièce.
- Qui s'en soucie, t'as pas de public ! Marius rougit, sa fierté de membre d'orchestre de village touchée.
- D'abord, si, tu es là, ça fait un public. De philistin, je le regrette, mais je fais avec ce que j'ai sous la main.
D'une œillade, il lui fit regarder son tablier râpé et taché.
- De deux, il faut bien que je m'entraine ! Et ici, avec l'acoustique, je m'entends mieux et je peux m'améliorer.
Piquée au vif par le commentaire muet sur son fidèle tablier, Pascale se fit plus grinçante pour rendre le coup. Elle pinça son nez sans y penser comme à chaque fois qu'elle était vexée.
- Pour s'améliorer, il faudrait déjà avoir du souffle. Tu crachotes dans ton trombone et je croirais entendre un canard asthmatique.
- Entendre ça, alors que je n'ai fait aucun couac lors du dernier bal ! C'est un comble. Et ta voix nasillarde qui me perce les oreilles dès que tu t'échauffes !
Pascale devint livide, ce qui lui donnait des airs de fantôme avec ses mains pleines de farine. Ses narines frémirent tandis qu'elle préparait sa riposte.
- Et môssieur qui gonfle ses joues comme un écureuil qui fait ses réserves. T'en as le ventre, aussi. Sans parler des miettes que tu sèmes, je me demande comment ton instrument n'en est pas bouché !
- Je prends grand soin de mon trombone, que j'astique et ramone régulièrement.
- Ah, si tu pouvais en faire de même avec autre chose, insinua Pascale à voix basse.
- On s'y voit même dedans et… Qu'as-tu dit ?
Un pli se forma sur son front tandis qu'il essayait de faire du sens dans ce qu'il avait à peine entendu.
- J'dis qu'y a qu'à ton trombone qu'tu arrives à sortir des sons.
Se sentant insulté sur un autre terrain sensible que sa musique, Marius commença un mouvement de bras, lequel tenait toujours l'instrument. Pascale l'arrêta d'un geste brusque.
- Que tu fasses du bruit, je m'y suis habituée. Non, le problème c'est que tu gesticules !
- Je gesticule ?
Marius écarquilla ses yeux comme ceux d'un poisson.
- Mais oui ! s'exaspéra-t-elle. Quand tu joues, tu balances et ton corps et ton trombone. Résultat, tu jettes de la table tous mes ustensiles et mes ingrédients !
Marius baissa les yeux et remarqua le carnage sur la nappe : des œufs cassés en dehors de leurs bols, de la farine détrempée avec du poivre et un bout de gras de lard étalé. Sur le sol trainaient les cuillères, saladiers et casserole originellement prévus pour préparer le repas.
- Ah, je vois. Ma chérie, il y a longtemps que nous n'avions pas été au restaurant, n'est-ce pas ?
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