Danse mortelle
Loin au sud du continent, là où nul personne n'avait mis les pieds, se trouvait un désert balayé par des vents violents. Les tempêtes de sable étaient courantes dans cette région si inhospitalière qu'on racontait que même les animaux n'avaient pu y créer un semblant de vie.
Les quelques rares explorateurs, issus des premières colonisations, qui s'aventurèrent sur cette terre aride ne revinrent jamais auprès de leur famille. Dès lors, on prit l'habitude de ne plus évoquer cette région où la mort régnait en maître.
Mais très vite, on dut se rendre à l'évidence : lorsqu'une première armée de guerriers, avides de sang et de meurtres surgit des dunes de sable et fondit sur les royaumes alentours, il ne fut plus possible de prétendre qu'il n'y avait pas âme qui vive sur cette terre.
Rapidement, le royaume des Sables – comme on le nomma – conquit tous les territoires frontaliers sans rencontrer de résistance capable de le vaincre. Dès lors, il devint le plus puissant Empire alors même que nul Homme ne sut comment la première pierre qui créa cet empire fut posée.
On chuchotait alors, tard le soir au coin du feu, que le royaume des Sables fricotait avec la magie. Il n'y avait nul doute possible : les princes qui s'étaient succédés avaient fait appel aux dons de sorcières pour connaître une telle extension et une telle richesse. Peut-être avaient-ils même signé un pacte avec le Diable ou toute autre espèce démoniaque. Les enfants qui écoutaient ces histoires firent des cauchemars toute la nuitd durant.
Le royaume était dirigé par un Prince. Monarchie absolue, il détenait le pouvoir de vie et de mort sur chacun de ses sujets et était considéré comme l'homme le plus puissant en ce bas monde.
Il régnait sur son pays sans bouger de son palais de Jade, situé en plein cœur de la capitale. Construit à la naissance du royaume, le bâtiment était une merveille d'architecture : entièrement fait de cette pierre très dure, il brillait comme un phare en pleine nuit sous les lueurs des torches. Il était le témoin de la puissance et de la prospérité du territoire sur lequel il régnait.
Ce soir-là, c'était la fête au palais de Jade. Le Prince organisait une somptueuse réception pour son seul plaisir. Hommes et femmes qui possédaient une place importante au sein de cette société y étaient conviés et devaient s'y rendre. Se faire inviter et nourrir par le Prince était considéré comme une marque de prestige et de bienveillance indéniable de la part de cet homme si puissant. Qui plus est, ces soirées étaient une aubaine pour les familles nobles : avec un peu de chance, on pourrait présenter sa fille au Prince. Et qui sait...
On disait qu'il était d'une beauté hypnotisante. Aucun homme ne rivalisait avec ses traits si précis et sa prestance qui se dégageait de tout son être. Mais il était également homme de peu d'indulgence. Un regard de sa part pouvait signer votre arrêt de mort, exécuté sur-le-champ par un de ses gardes. Autant dire qu'il était impensable de vouloir le contrarier.
Ce soir-là, donc, se déroulait une fête dans la demeure du Prince. Ce dernier était assis sur des coussins de velours agencés tels qu'ils formaient un siège confortable à même le sol. Légèrement en hauteur par rapport à ceux de ses invités, il dominait la salle de réception. Il jouait négligemment avec une grappe de raisins qu'un de ses serviteurs lui avait apportée sur un plateau d'or. Ses longs cheveux bruns cascadaient sur ses épaules musclés jusqu'en bas de ses pectoraux. Il était habillé d'un gilet sans manches fendu sur le devant pour exposer aux yeux de tous sa musculature avantageuse, rehaussé de broderies. Il avait été créé à partir de la matière la plus douce qu'on pouvait trouver. À cela s'ajoutait le traditionnel pantalon bouffant attribué à son rang. Comme le voulait les coutumes, il était pieds nus. Enfin, un léger maquillage remodelé habilement ses traits et ses ongles.
Plus loin, avait été dressé le banquet pour les invités. Enfin, la pièce était surveillée par de nombreux gardes, on aurait pu dire toute une armée. Il y avait plus de guerriers que de sujets réunis.
Une fois tous les invités arrivés et au fur et à mesure que les heures passèrent, les langues se délièrent et une tranquille atmosphère s'installa. Mais tous surveillaient leurs moindres faits et gestes, gardant un œil sur le Prince, n'hésitant pas à l'imiter pour s'attirer ses bonnes faveurs. Personne n'osait lui parler.
Très vite, on fit entrer les danseuses pour divertir la noblesse. Habillées de légères tenues en tissus de soies, de sorte qu'elles ne cachaient que leur intimité mais dévoilaient leurs formes généreuses, elles entamèrent des danses traditionnelles. Néanmoins, un voile camouflait leur visage, ne laissant apercevoir que leurs yeux. C'était une tradition : l'identité des danseuses du Prince était gardée secrète.
Chacun fut charmé par leur beauté sauvage et leurs danses envoûtantes. Certains hommes, peu scrupuleux eurent envie de se joindre à elles, et pas seulement pour se trémousser avec elles. Mais un regard jeté au Prince les en dissuada immédiatement : les toucher entraînerait irrémédiablement leur décapitation sur la place publique. Les danseuses du Prince étaient des êtres intouchables et étaient traitées comme des reines. Leur corps était un temple, leur vertu un trésor inviolable. Elles étaient et devaient rester vierges de tout contact répugnant.
Les danses s'enchaînaient pour le plus grand plaisir des invités lorsqu'une des danseuses se détacha du lot. Elle ondulait le bassin au rythme de la musique entraînante tout en se rapprochant du Prince, suivie quelques pas plus loin par ses sœurs. Le Prince leva alors ses yeux azur sur elle et posa la mangue qu'il était en train de goûter. Il s'essuya la bouche d'où dégoulinait du jus orangé du revers de la main. Son regard glissa sur le corps de la belle déesse, remonta jusqu'à son menton camouflé par le voile violet et accrocha ses yeux. S'ensuivit alors une danse sensuelle dont le simple but était de charmer le Prince. Ce dernier se laissa prendre au jeu et se laissa faire. Sentant ce qu'elle voulait faire, il écarta ses jambes croisées pour lui laisser le champ libre. La danseuse enjamba alors ses cuisses fermes et vint bouger ses hanches sans jamais toucher sa peau. Le Prince, charmé, se laissa tenter sous le regard ébahi des convives, qui n'avaient jamais vu une telle scène se produire.
Alors que la musique atteignait son apogée et que le Prince était au sommet de l'excitation, son pantalon ne pouvant plus dissimuler son sexe qui se dressait sans aucune honte, la danseuse plongea son regard dans le sien. D'un mouvement de poignet si rapide que personne ne put apercevoir son geste, elle dégaina des voiles de tissus qui la couvraient une dague. Dans le même élan, elle projeta la lame contre la gorge découverte du Prince. Sous les yeux horrifiés des invités et de la garde royale, l’arme perfora la peau ébène du Prince.
Le geste violent de la danseuse détacha le voile qui lui couvrait le visage et au même moment un jet de sang gicla sur son menton. Le Prince eut un hoquet de stupeur, non pas à cause de la blessure mortelle qu'il reçut mais en apercevant les traits masculins de la danseuse.
Elle lui sourit, peu préoccupée que son secret soit percé à jour. Elle ouvrit les lèvres et lâcha dans un souffle ces quelques mots :Elle lui sourit, peu préoccupée que son secret fut percé à jour. Elle ouvrit les lèvres et lâcha dans un souffle ces quelques mots :
— Vä sha Enfier, sandtra dei raisfja Prishka.*
* Va en Enfer, Prince du royaume des Sables.
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