Naissance
L’homme était penché sur sa coupe de vin, sans la boire. Devant lui, un ménestrel s’évertuait avec peu de succès d’alléger son humeur. Son chant était plaisant et le son de sa viole était joli assez ; pourtant le comte Cador n’en était pas apaisé, car son esprit était trop préoccupé d’un évènement sur lequel il n’avait aucun pouvoir.
Une femme apparut et l’homme sortit brusquement de son apathie.
– Est-ce fait ?
– Messire, clama la femme avec une mine réjouie, vous avez un fils !
– Seigneur, quel bonheur ! cria le ménestrel bien fort, craignant qu’on ne l’oublie.
Le comte lui versa quelques marcs et donna congé au jongleur qui le remercia abondamment.
– Seigneur, je chanterai votre gloire et celle de votre fils.
***
– Comment est mon épouse ?
– La délivrance a été difficile, messire, mais enfin la Vierge l’a assistée à mes côtés. Elle est en bonne santé.
Ils marchaient côte à côte dans les corridors ; Cador jeta un regard rapide autour de lui et murmura à voix basse :
– Vous avez fait comme je vous ai demandé. Qu’en est-il vraiment ?
– Messire, répliqua la ventrière d’un air un peu contrit, c’est une fille. Une enfant belle comme le jour.
Ils étaient parvenus devant la chambre de la parturiente : Cador s’apprêtait à pousser le battant. Voyant son geste, la femme s’insurgea.
– Messire, vous ne devriez pas !
– Qu’importe.
Il ouvrit. La comtesse Eufémie disparaissait presque entre les tentures et sous les courtines, mince silhouette gisante après une grande épreuve. Elle prouva pourtant qu’elle était vive en tournant la tête aussitôt qu’elle entendit entrer son époux.
– Ma mie, je suis si fier de vous. Vous vous êtes battue plus vaillamment que mes meilleurs chevaliers.
– Cador, doux ami, vous a-t-on dit ?
– On m’a dit. Où est notre enfant ?
– Ici, messire, fit la ventrière en apportant ce qui sembla de prime abord n’être qu’un gros paquet de linge.
Cador le reçut dans les bras et aperçut une frimousse fripée, les yeux obstinément clos, ses petits poings à hauteur du menton. Le père s’émerveilla de la petitesse des ongles déjà parfaitement formés. Il défit juste assez les langes pour avoir confirmation de l’annonce de la ventrière, puis les replaça avec soin.
– Elle est splendide, déclara-t-il. Et peut-être sera-t-elle notre seule enfant.
Des larmes apparurent dans les yeux de l’accouchée. Elle n’était plus si jeune et le couple était resté sans fruit pendant si longtemps.
– Hélas ! Elle sera déshéritée comme je le fus.
– Notre roi a été bien cruel en vérité, en punissant ainsi toutes les femmes par la faute de deux d’entre elles. Non, ma mie, notre enfant ne subira pas ce sort, et héritera de ce comté après moi. Je l’ai fait annoncer comme un fils : ainsi le ménestrel répandra-t-il la nouvelle de son avènement ; ainsi nous l’habillerons et l’élèverons. Il s’appellera Silence, et silence nous devrons garder, tous les trois, sur le secret de sa naissance.
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