Le pélican et le poisson lune
Le pélican et le poisson lune
Il coursait sur l'écume et ses lueurs mouvantes
Le sillage du poisson. Porté par l’air marin,
Projetant sur les eaux son ombre menaçante,
Il plongea dans la vague pour saisir le butin.
Le poisson lune voguait, poussant sa forme ronde
Sans hâte et sans souci. Tout à coup percevant
Le reflet de l'oiseau à la surface de l'onde,
Il fuit d’un coup de queue au fond de l'océan.
Notre oiseau trop pressé, pour la troisième fois
Tenaillé par la faim fit mauvaise fortune.
Il claqua son grand bec, manqua de peu sa proie,
Ne put rageur que voir filer le poisson-lune.
Perché sur un piquet, ruminant son dépit,
Le pélican pestait de tant de maladresse.
Dans un bouillon de bulles, le poisson lune jaillit,
Ses ouïes et ses branchies frétillant d’allégresse.
Le Pélican, furieux, injuria l'arrogant
Qui sans vergogne venait à lui, le provoquer.
- « Un jour prochain c'est sûr, j'en fais mien le serment,
Tu me rassasieras, rempliras mon souper. »
L’espiègle poisson lune s’amusa du défi :
- « Viens donc alors me voir quand la nuit tombera.
Je flotterai sur l'eau, à cet endroit précis.
Je ne plongerai pas … mais tu m’auras pas ! »
Le pélican surpris de ce curieux langage,
S’envola jusqu’au soir, rongé par l’impatience.
Quand, dès l’obscurité, il revint sur la plage,
Il découvrit sur l’eau, ravi, sa récompense.
Balloté par le sac, tremblant dans le courant,
Tel un trésor caché qu’un démon malicieux
Avait subtilement volé au firmament,
Un disque d’or dansait, caressé par les cieux.
Notre oiseau au grand bec, partant en représailles,
Fondit sur cette proie offerte à son assaut.
Il plongea, replongea, mais son bec en bataille
N’emportait chaque fois que du vide et de l’eau.
C’est au petit matin, impuissant, quand la lune
Lassée de tant d’ assauts remonta son image,
Qu’il entendit la voix du drôle de poisson lune,
Montant du clapotis, glosant d’un tel mirage.
« Retiens bien mon ami : la mer est notre alliée.
Elle protège les siens des appétits d’ailleurs.
C’est pourquoi elle se pare de si trompeurs reflets.
Ce qu’elle offre à ta vue n’est ni vrai ni un leurre.
Méfie toi des images rendues par le miroir
Pour mieux nous endormir ou mieux nous alerter.
Quand il nous donne à voir ce que nous voulons voir,
Le sage seul scindera mensonge et vérité. »
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