Chapitre 6
La portière du conducteur s'ouvre aussitôt et je reconnais Nate qui se précipite vers moi.
_ Je ne t'ai pas vu dans le noir. Ca va ? s'inquiète-t-il alors que je hoche la tête.
Mon père sort sur le perron, hurlant mon nom tandis que je tourne la tête vers lui en même temps que le brun qui me fait face.
Je lis de la colère sur le visage de papa et secoue la tête, reportant mon attention sur Nate.
_ Tu peux m'emmener quelque part ? je lui demande, ne trouvant pas d'autre choix, puisque mes clefs de voiture sont dans la maison.
_ Ouais, viens, me répond-il en acquiesçant.
Il me fait signe de monter en voiture et je prends place à côté de lui sous les remontrances de mon père qui avance tant bien que mal jusqu'à nous.
_ Qu'est-ce qu'il se passe ? me demande le brun alors que nous nous éloignons.
_ Rien.
_ Tu veux que je te dépose où ?
_ A l'hôtel, si ça ne te dérange pas.
_ Tu ne vas pas dormir là-bas quand même ? m'interroge-t-il, interdit.
_ Je ne passerai pas la nuit chez moi, je lui dis en secouant la tête. Et merde, je n'ai rien pour payer ! je râle. Je suis partie trop vite.
_ Viens chez moi.
_ Quoi ? je demande, interloquée. Non !
_ Tu ne peux pas payer une chambre à l'hôtel et tu ne veux pas dormir chez toi, rétorque-t-il en tournant sur la gauche. Tu ne vas quand même pas passer la nuit dehors. Il est déjà minuit passé.
_ Je peux toujours appeler Romane, je reprends en tapotant mes poches. Enfin, ça serait mieux si j'avais mon téléphone, je souffle.
_ Tu connais son numéro ?
_ Je ne connais déjà pas le mien alors, celui des autres... je laisse trainer. Et je ne peux clairement pas débarquer en pleine nuit chez elle.
_ Emma, tu peux dormir chez moi. Je sais que tu n'en as pas envie, mais...
_ Fait chier, je largue avant de soupirer. D'accord, je suis trop crevée pour réfléchir, je réplique avant de bâiller, ma main devant ma bouche.
Nous arrivons rapidement chez Nate et il me laisse entrer après avoir ouvert la porte de son appartement.
Je regarde tout autour de moi, gênée d'être ici, alors qu'il pose ses clefs dans un petit bol posé sur le meuble à gauche de la porte d'entrée.
_ Tu veux boire quelque chose ?
_ Je veux bien, je réponds en le suivant à la cuisine.
Son appartement est assez spacieux et bien agencé. Nate m'invite à m'assoir sur une chaise de la cuisine tout en cherchant de quoi nous rafraîchir dans le frigo.
Il attrape ensuite des verres et s'installe face à moi après les avoir remplis de coca. Le brun sort son paquet de clopes de sa poche et m'en tend une. Je le remercie avant de l'allumer avec une allumette.
Je ne sais pas ce que je dois faire. Où poser mon regard, quoi lui dire. Je suis tellement méfiante avec lui.
_ Emma.
_ Tu as compris ce qu'il se passe ? je lui demande en même temps.
_ Je pense.
Je relève la tête, croisant son regard.
_ Je ne dirais rien à personne.
Je hoche la tête puis tire une grande bouffée sur mon bâton de nicotine.
Le silence s'installe, mes yeux fixant mon verre, mes mains autour. Je ne me sens clairement pas à ma place. J'aurais dû refuser son invitation et tout de même tenter d'aller chez Romane. Même chez n'importe lequel de mes amis finalement. Mais je n'y ai même pas songé un seul instant.
Je ne sais plus ce que je dois faire concernant mon père. Je n'ai pas envie de le laisser tomber, mais si la situation reste telle qu'elle est, je ne vais bientôt plus pouvoir gérer quoi que ce soit.
Mon sommeil est perturbé depuis un moment, je ne parviens pas à récupérer complètement, ne dormant pas suffisamment. Ce qui fait que tout me parait encore plus compliqué.
Sans oublier le retour de Nate. Ma tête est embrumée, au point d'avoir oublié rien qu'une fraction de seconde que je suis dans sa cuisine, face à lui.
Mon regard se pose sur lui et je me redresse un peu sur ma chaise.
_ Pourquoi tu faisais ça au juste ? je m'enquiers en soufflant la fumée de ma cigarette.
_ Je ne sais pas. J'avais peut-être besoin de me prouver quelque chose.
_ Pourquoi moi ?
_ Je ne sais pas.
_ Donc, tu fais les choses sans savoir pourquoi ?
_ Je sais que ce n'est pas une excuse, mais j'étais un gamin.
_ Sauf que tu as continué jusqu'au lycée, Nate, je murmure, malgré moi.
_ J'avais pris l'habitude.
Je prends une bouffée de nicotine, recrachant ensuite un petit nuage blanc et fronce les sourcils.
_ Même des élèves qui habitaient Lafayette, au lycée, s'y mettaient. Je ne les connaissais pas et pourtant, ils m'insultaient et se foutaient de moi, je continue avant de boire une gorgée de soda. Est-ce que tu te rends compte ce que c'est d'être persécuté du matin jusqu'au soir ? De se sentir tellement petit que c'est impossible de se défendre ? je m'enquiers, tombant à nouveau dans son regard. Les profs voyaient tout, mais ils ne réagissaient pas. Ils se comportaient comme s'il n'y avait rien de mal, je souffle. Parfois, j'avais l'impression que j'exagérais, que je prenais peut-être les choses trop à cœur. Mais non, c'étaient eux qui n'en avaient juste rien à foutre, je lui raconte. Mes parents ont voulu prendre les choses en main. Mais tout le monde disait que ce n'était que des histoires de gosses.
Je bois ce qu'il reste de mon verre et fume ma clope, voulant me laisser une pause dans mon récit. Aucun mot ne sort de la bouche de Nate. Il m'écoute simplement. Et j'espère qu'il prend en compte tout mon déballage.
Tous ces souvenirs sont encore bien trop douloureux pour moi. Ca faisait un bon moment que je ne m'étais pas remémoré autant de choses de mon passé.
_ Je ne pouvais pas changer d'établissement, c'était bien trop loin d'Arcadia, je reprends, écrasant mon mégot dans le cendrier. Alors, j'ai continué à subir tes attaques. On ne s'habitue jamais à ça, tu peux me croire, je dis tout bas. Quand on a fini le lycée et que j'ai su que tu allais à l'université de Bâton-Rouge, c'était une délivrance. Ma vie a totalement changé parce que tu n'étais plus dans les parages.
Je sens mes larmes monter et je serre la mâchoire, tentant de me calmer.
_ J'avais l'impression que je pouvais enfin respirer et vivre, je lâche, une larme dévalant ma joue contre mon gré. Quelqu'un qui n'a jamais subi ça, ne peut pas se rendre compte du mal que ça fait. Et des séquelles que ça laisse, je lâche, étant un peu tendue. Quand je suis allée à l'université, je me suis jurée que je ne vivrais pas la même chose. Je me suis affirmée, alors que pourtant, je n'avais plus confiance en moi depuis longtemps. C'est toujours le cas d'ailleurs. J'essaie de repousser mes limites, je continue. Et quand j'ai su que tu étais là...
Je me tais, fuyant son regard.
_ Je n'ai plus envie de t'en vouloir, Nate. Parce que ça voudrait dire que je ne suis pas passée à autre chose, je glisse. Et je crois finalement, que je ne suis pas encore prête à oublier.
_ Je suis vraiment désolé, murmure-t-il. C'est vrai, Emma, je m'en veux. Et avec tout ce que tu viens de me dire...
_ Ca va, j'acquiesce.
Je passe volontairement à un autre sujet, discutant tous les deux de nos études et je lui apprends pourquoi j'ai dû arrêter les miennes.
Je reste un peu en retrait, toujours autant suspicieuse et encore un peu en colère. Je ne sais même pas pourquoi je réponds aux questions qu'il me pose. C'est plutôt sympa de sa part de m'héberger pour la nuit, mais j'ai réellement cette drôle de sensation qu'il a quelque chose derrière la tête à se montrer aussi gentil avec moi.
J'évite son regard le plus souvent, je me sens minable quand il est là. Je me sens comme lorsque j'étais son souffre-douleur. Il me donnait l'impression d'être insignifiante, de ne pas mériter de vivre. C'était tellement horrible.
Je frotte mes mains l'une contre l'autre, ayant de mauvais frissons et la tête en feu.
_ Est-ce que ça va ? s'enquiert-il.
Je rassemble mon courage et le fixe de mes yeux. Son regard n'est plus le même qu'avant, il n'a plus ce regard moqueur ou mauvais. Ce regard de fouine.
_ J'ai mal à la tête, je mens. Ce n'est rien.
Je lui pose ensuite quelques questions, sans réellement m'en rendre compte.
Il a suivi des études pour être gérant d'un garage automobile, mais ça ne l'intéresse finalement pas, préférant mettre les mains dans le cambouis. Il avait trouvé un bon poste à Bâton-Rouge, là où il a étudié. Il était resté là-bas à cause d'une fille qu'il a rencontré à l'université. Et quand ils ont rompu, Nate a décidé de revenir à Arcadia pour être avec sa famille et ses amis.
J'essaie de me détendre au maximum tout au long de notre conversation. J'arrive à m'adoucir de plus en plus et lui pose d'autres questions.
Je me surprends à sourire à certains moments. Je me rends compte que rien que dans sa façon de parler, ce n'est plus le même. Il a mûri, c'est certain. Ce n'est plus ce gamin insupportable et méchant. Du moins, c'est l'impression que j'ai, même si je reste sur mes gardes.
Je suis certainement trop méfiante à son égard, peut-être qu'il a vraiment changé après tout. Le seul problème, c'est que je n'arrive pas à être totalement détendue face à lui. Je m'attends toujours à un coup de poignard, à un coup bas, une insulte ou quelque chose qui me ramènerait à mon enfance, quand il était ignoble avec moi.
Le pire dans tout ça, c'est que s'il s'en prenait de nouveau à moi, je sais que je serai incapable de répondre. J'aurai l'impression de retourner en enfance. Je n'ai jamais su me défendre comme il aurait fallu que je le fasse et j'ai l'impression que ça serait toujours le cas aujourd'hui.
Je me rends compte que je scrute son visage depuis de longues secondes alors que son regard est posé sur moi. Je fronce les sourcils et inspire longuement.
_ Tu essaies de lire en moi ?
_ Si seulement je pouvais, j'acquiesce.
_ Je comprends que tu ne me fasses pas encore confiance.
_ Tu as l'air tellement différent, je lui dis. Ca m'énerve de me poser autant de questions.
_ Est-ce que tu veux que je te raconte certaines choses sur moi avec lesquelles tu pourrais m'attaquer ?
_ Tu es sérieux ? je demande étonnée.
_ Ca pourrait te rassurer. Puisque j'ai bien compris que tu penses que j'attends le bon moment pour m'en prendre à toi.
Je me lève, me frottant le visage et tourne le dos à Nate, regardant son salon.
Je l'entends se lever à son tour et je lui fais face.
_ Emma, si tu veux me pourrir, fais-le.
_ Non, ça ne changerait rien. C'était il y a des années que j'aurais dû le faire. Ca n'a plus d'importance maintenant.
_ Pourquoi ? Tu te demandes si j'ai vraiment changé alors, tu...
_ Parce que tu ne m'attaques pas ! je le coupe, agacée.
Son regard croise le mien et je me pince les lèvres, me perdant dans ses iris.
Je passe une main dans mes cheveux, les remettant en arrière et fuis son regard avant de bâiller.
_ Je crois que c'est l'heure de dormir, me dit-il. Tes yeux sont passés du bleu clair au bleu et rouge. Je vais changer mes draps, tu dormiras dans mon lit et moi sur le canapé.
_ Je m'incruste déjà, c'est plutôt à moi de prendre le canapé.
_ Tu as besoin de bien dormir et mon canapé n'est pas très confortable, me dit-il. Attends-moi là, je reviens.
Il quitte la cuisine et je mets nos verres dans l'évier, les lavant ensuite. Nate revient peu de temps après et me tend un tee-shirt avec un short.
_ Ca sera peut-être trop grand, mais tu seras mieux pour dormir.
_ Merci.
_ La salle de bain est sur la gauche après le salon. Il y a une brosse à dent neuve dans le tiroir.
Je le remercie une fois de plus puis nous traversons le salon, Nate entrant dans sa chambre alors que je pénètre dans la salle de bain. Je me change rapidement et cherche la brosse à dents dans le tiroir. Je retire l'emballage et me brosse rapidement les dents tout en me regardant dans le miroir avant de sortir de la pièce, rejoignant Nate dans sa chambre.
_ J'ai laissé mes vêtements dans la salle de bain, ça ne te dérange pas ?
_ Pas du tout, me dit-il en se tournant vers moi, les draps sales dans ses bras. J'ai fermé les volets et le lit est prêt, il continue. Je n'ai plus qu'à te souhaiter une bonne nuit.
_ Bonne nuit, Nate.
Il sort de la chambre après un léger sourire puis referme la porte derrière lui. Je regarde autour de moi tout en m'approchant du lit dans lequel je me glisse ensuite.
J'éteins la lampe de chevet et m'endors rapidement, épuisée.
J'ouvre les yeux, la lumière du soleil filtrant légèrement à travers les volets fermés et me frotte le visage. Je fronce les sourcils et me souviens avoir dormi chez Nate.
Je me redresse, poussant les draps puis regarde le réveil.
Merde, dix heures passées.
Je pose mes pieds sur le sol et m'étire avant de me trainer jusqu'à la porte que j'ouvre. Je scrute le salon et me rends compte que le brun est assis sur son canapé, une tasse de café entre les mains, les yeux rivés sur l'écran de sa télévision.
Il tourne la tête vers moi, me souriant alors que je m'approche de lui.
_ Bien dormi ?
_ Oui, j'acquiesce. Désolée, je me suis levée un peu tard.
_ Ce n'est rien. Je suis réveillé depuis vingt minutes seulement. Un café ?
_ Je veux bien, merci.
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