Malheureusement, il est des bonheurs qui ne sont vraiment pas faits pour durer.

En 1999, quand Natanaïl a eu dix ans, la petite famille a entrepris de passer quelque temps en Russie. Et c'est là qu'ils ont été découverts.

L'instant est gravé dans ma mémoire. L'instant où, pour la première fois, mes yeux se sont posés sur elle.

J'étais sur le point de les rejoindre sur la Place Rouge. Au loin, Ierofeï chantait, Lesia sur ses épaules. Naïl regardait partout autour de lui, les yeux écarquillés. Et il y avait cette femme immense à quelques mètres d'eux, tout près de moi. Parfaitement immobile, elle avait fixé sur la famille un regard vairon terrifiant. L’œil brun reflétait une concentration posée, tandis que le bleu bouillonnait d'excitation et d'impatience. Sur les lèvres pâles était dessiné un rictus que je n'aurais su identifier. Son odeur ressemblait à celle de la rouille, métallique et humide, discrète mais clairement inhumaine. Une longue et épaisse tresse d'un blond authentique descendait dans son dos jusqu'au bas de ses reins.

C'était Svenhild. Tu reconnais ce nom, n'est-ce pas ? Ce nom qui sonne comme un grondement de rage dans la bouche d'Elazar ? À l'époque, pourtant, elle n'avait pas encore fait parler d'elle, seuls quelques Âgés la connaissaient. Mais sa célébrité parmis les nôtres ne tarderait pas. Expérimentée et ambitieuse, elle souhaitait faire du monde son terrain de jeu.

Ignorant superbement ma présence, elle s'est approchée d'un pas retenu, mais décidé, du petit Natanaïl. Elle s'est accroupie pour se mettre à son niveau et a plongé son regard dans les jeunes billes vertes. Ce moment-là, c'était le premier grain de sable dans les rouages. Le moment où le destin a décidé que pour ce petit garçon-là, Natanaïl Ierofeïovitch Khitrov, la vie ne serait rien de moins qu'un enfer.

Pour Svenhild, la découverte de l'existence de ces enfants miraculeux a été décisive. C'était un mystère de plus lié à cette condition dont personne ne savait rien. Elle s'est donc mis en tête de créer un laboratoire, une sorte de clinique clandestine, pour étudier de façon sérieuse le fonctionnement de nos particularités physiologiques. Comment ? Qui ? Pourquoi ? À l'aube du second millénaire après J.C, en pleine gloire de la science, nous n'avions aucune réponse à ces questions. Ce n'était donc pas si étonnant que quelqu'un finisse par se pencher sur le sujet. Seulement, il n'aurait pas fallu que ce soit elle.