1.8 Azul - Sasori
Un peu attirée, je dois l'admettre, par les résultats des recherches, c'est moi qui ai passé le plus de temps à surveiller le laboratoire. Ce n'était pas très prudent, car si la géante m'avait voulu du mal, il était évident que mes deux petits siècles de micro-développement musculaire n'auraient pas suffi à me défendre. Rien n'indique a priori que l'âge influe sur notre force physique, mais j'avais tendance à le croire, à l'époque. Et Svenhild était née viking. Cette unique information à son sujet m'impressionnait beaucoup. Elle était à peine plus jeune qu'Elazar.
Cependant, plus encore qu'elle, c'était sa Gardienne qu'il fallait redouter.
Tristement célèbre aujourd'hui, nous ne savions rien, alors, de son existence. Mon âme se glace à sa simple pensée. Ma tête tourne plus que de raison, mais j'ai promis de te raconter les choses comme je les ai vécues, je ne peux pas faire l'impasse sur cette première rencontre.
J'étais ridiculement assise dans un buisson, à observer Zedan fumer sa cigarette. Mes oreilles, habituées aux multitudes de sons qui forment le monde, entendaient son souffle qui aspirait et crachait la fumée sale mêlé aux mouvements des feuilles, aux ailes des insectes, aux craquement des branches sous la brise... Mon nez sentait la terre humide, l'écorce, l'herbe, la nicotine. Rien d'autre. Absolument rien.
Et elle est apparue au coin de mon œil.
Plus que de la surprise, j'ai senti une angoisse indicible saisir tout mon corps, du bas-ventre à la gorge. En tournant la tête vers elle, je m'attendais presque à voir un fantôme se dessiner devant moi, impitoyable et surnaturel. Les deux termes convenaient, mais elle était bien faite de chair et de sang. Simplement, elle ne dégageait pas la moindre odeur et ne bougeait que par un effet du vent sur les mèches échappées de sa queue de cheval.
Son visage ovale, d'un pâle teint ambré, se terminait par un menton légèrement en pointe. Il était fendu de deux yeux en amande, dont les paupières supérieures, monolides, formaient un arrondi parfait. Elles masquaient une partie des deux iris noirs, qui, immobiles, me traversaient comme sans me voir.
Je sais aujourd'hui sa très petite taille, mais à cet instant, accroupie à un mètre de ses pieds, c'est moi qui me sentais minuscule. Écrasée, presque.
Elle ne disait rien et je me gardais bien d'être la première à ouvrir la bouche. Sans pouvoir me détacher de son regard inexpressif, je percevais vaguement ses atours dans le reste de mon champ de vision. Il y avait du vert, du bleu, du noir, peut-être une pointe de rouge ? Ses bras m'étaient cachés, croisés dans son dos, nourrissant mon angoisse.
Le jour déclinait, lorsqu'un claquement de doigts a mis fin à ce cruel face à face. La voix de Svenhild, douce et sèche, s'est échappée de la maison.
- Sasori.
À son nom, la Gardienne s'est animée et a rejoint très calmement le palier où se trouvaient, des heures plus tôt, le docteur Zedan et sa cigarette.
Son attitude semblait nier mon existence toute entière, à me faire douter qu'elle m'ait réellement vue.
J'ai mis un temps à réaliser que je ne respirais plus. Je n'avais probablement pas utilisé mes poumons une seule fois pendant ces longues heures. C'est là que j'ai compris que, depuis deux cent ans, ils ne s'actionnaient plus que par habitude.
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