3.10 Ian - Azul
Juin 2014
Toutes les connexions sont faites. Il ne me manque plus rien. Tout est là.
Azul. Me souvenir d'elle a éclairé tout le reste. Comment ai-je pu l'effacer ? Par quel schéma Svenhild et Zedan sont parvenues à me faire oublier sa douce énergie, sa bienveillance, sa tendre présence durant toute mon enfance ? Elle était là, aussi, lors de ma première captivité au laboratoire ; elle nettoyait mes plaies en pleurant silencieusement sur mon sort.
Son visage hâlé, ses yeux chocolats, ses raides cheveux noirs, sa petite et menue stature... Ce n'est pas Max, oh non ! Ce n'était pas Max, le déclencheur de mon retour à la vie. C'était elle.
Elle était là, dans mon quartier, autour de moi, tout ce temps où je n'existais pas. C'est en croisant ses yeux que j'ai rouvert les miens. Max n'est arrivé qu'au bon moment, quand elle m'avait déjà ramené au monde.
Azul, douce Azul...
Je me souviens de Sasori, aussi, et de son visage irrémédiablement impassible. Je m'en souviens comme d'une statue dont on espère qu'elle restera toujours figée. Le docteur Zedan en avait peur, c'était palpable.
Et je me souviens enfin de Ludwig, le vieil homme aux cheveux gris qui appelait Svenhild "Ma Dame" en s'inclinant comme un laquais. Il me servait mes repas, me nettoyait au jet d'eau, me coupais les cheveux. Gentiment, machinalement, bêtement.
Oui. Azul a tout éclairé. C'était le chainon manquant dans ma mémoire disloquée.
Depuis, mes nuits sont plus calmes. Mes rêves jouent encore avec ma culpabilité, mais les images cauchemardesques sont imaginaires et ne me font plus bondir dans mon lit. Du coup, Max a le loisir de dormir avec moi sans s'éveiller tous les quart d'heure, depuis plusieurs semaines. Et ça s'en ressent : il est plus beau, plus souriant. Je me suis surpris à reprendre goût à sa compagnie. Mais c'est tout de même différent. Je sais que je lui suis étranger, mais lui l'ignore. Ne rien pouvoir lui dire, lui masquer ma réalité, nourrit la distance qui sépare mon coeur du sien. Et, pour être honnête, mon esprit est ailleurs.
Si je me rapelle d'Azul, je n'ai pas encore eu le bonheur de la revoir. Son absence me préoccupe et m'angoisse aussi profondément que le grognement d'Ezéar poussé cette nuit là, à l'adresse des jumeaux. Comme ces derniers l'avaient prédit, Svenhild est tombée, ou du moins son influence, mais elle en a emporté dans sa chute ; Azul n'a pas reparu. Je crois avoir compris qu'elle s'est sacrifiée pour distraire Svenhild pendant la libération des prisonniers. Elle est restée quelque part dans le laboratoire, probablement dans un état critique, si ce n'est morte.
Ezéar semble torturé à cette idée. Nous nous voyons chaque semaine, parfois plusieurs fois. Je pense qu'il veille sur moi. Il dit qu'il va m'enseigner mais, pour l'instant, il est clairement préoccupé. Ses boutades habituelles sont forcées et sèches. Parfois, il se met en colère tout seul, et fuit la compagnie pour le reste du jour, voir de la semaine.
Je n'ai pas osé lui demander pourquoi il a rebroussé chemin. Pourquoi il est revenu sans Azul. Ce n'est sans doute pas par couardise... Serait-ce pour me protéger moi ?
Une vague d'émotion puérile me passe dans le corps quand j'écris ces mots.
J'aurais voulu qu'il ramène Azul, mais quand je repense à ce soir là : son contact, son odeur de sous-bois, sa silhouette perchée sur la voiture... Je ne peux m'empêcher d'être égoïstement touché.
Je suis heureux. Je suis inquiet, et un peu perdu, mais heureux d'avoir l'Ours à mes côtés.
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