23. Négociations sans détours (partie 2/2)

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Midi, le service a lieu. Les gens sont ravis de me revoir, me font des compliments en décrivant mon absence comme un vide abyssal et sombre. Jésus et sa musique reçoivent des appréciations similaires. Les herses ont été écartées le long du mur le temps du repas. Jacques a installé des clients autour de ma scène pour gagner de la place. On me demande parfois quand aura lieu la représentation. À ma réponse évasive, on me dit que ça aurait été dommage de fabriquer cette perche pour ne l’utiliser que si peu. Evidemment, le message est passé à Jacques.

Alors que les tables sont débarrassées, il me fait signe de le retrouver au comptoir.

— Les gens t’apprécient, la Punaise. Ce serait bien de leur offrir une ultime représentation avant de disparaître.

— Ce soir, c’est un peu court pour l’annoncer.

— Ecoute, faisons un accord. Tu me dois bien ça. Tu attends une journée de plus. Demain soir, tu nous fais un spectacle d’adieu. Cela me laisse le temps de te trouver un cheval. Tu n’es pas à une journée près.

En effet, et il ne me déplairait pas de laisser un quadrupède me porter.

— Et qui ramènera le cheval, une fois que je serai partie ?

— Christophe. Il va t’accompagner.

— D’accord. On est quel jour ?

— Mercredi.

— Donne-moi la craie.

Je retrouve le tableau à l’extérieur et use de ma plus belle écriture :

— Représentation d’adieu, jeudi, vingt-heures.

À peine ai-je regagné l’intérieur, que le facteur entre :

— Est-ce qu’il reste des places pour jeudi soir ?

Jacques me sourit, me laissant rejoindre les cuisines. Les épluchures et les coquilles d’œufs sont toujours sur la table. Je les rassemble dans un seau pour les donner aux poules. La porte à peine franchie, mes yeux discernent Christophe torse-nu derrière les plans du potager.

Il a beau être jeune et ne pas me donner envie d’une histoire d’amour, il me plairait bien de faire galoper mes doigts sur sa peau, l’instruire par quelque travaux pratique aux désirs des femmes. Dommage qu’il ne se déshabille pas plus souvent. Il ferait un très beau danseur de pole-dance. Cela me changerait de pouvoir être spectatrice.

— Il n’est pas laid, hein ? questionne Jacques

Je sursaute et en fais tomber le seau, ce qui fait rire mon hôte. Je pousse les ordures avec les pieds, alors que les poules se précipitent vers nous. La porte une fois fermée, je réponds :

— Il est beau garçon. Dommage qu’il ait la tête de son père.

Il rit puis me dit avec sérieux

— Dis. Avant de partir définitivement, tu ne pourrais pas me le déniaiser ? — Mes sourcils se lèvent haut pour exprimer toute l’incrédulité que m’inspire cette demande. — Je te demande ça comme une faveur.

— Je suis danseuse, pas pute.

— Il te plaît, ce n’est pas la première fois que je te vois lorgner sur lui. Tu ne vas pas faire croire que tu te forcerais. Christophe et toi, vous avez le même âge, ce n’est pas comme si je te demandais de baiser mon frère.

Je suis gênée. D’un sens, je suis déçue que Jacques me demande ça, et d’un autre sens, je ne peux lui donner tort. Coucher avec lui ne me déplairait pas, même s’il lui manque un petit quelque chose pour que j’ai envie de plus que ça. Ne voulant pas me fâcher avec Jacques, je réplique :

— Tu me paies combien ?

— Cinq cent francs.

Je m’esclaffe.

— J’hallucine ! Tu me prends vraiment pour une pute !

— Mais c’est toi qui me demandes !

Je m’en vais vers la salle en lui répliquant en colère :

— Cinq cent francs ! Si j’étais une pute, dans mon monde, je serais pute de luxe. Ce serait au minimum dix mille francs.

— Ne te vexe pas, la Punaise !

Je rejoins Jésus qui s’étonne :

— Je sens comme de l’orage à l’intérieur.

— Ton copain m’a pris pour une pute.

— C’était juste une faveur, réplique Jacques depuis son comptoir.

Jésus se moque :

— Tu n’es plus assez souple pour elle.

— Ce n’est pas pour moi, c’est pour Christophe ! J’en ai assez de le savoir en train de se branler derrière les pieds de tomates chaque fois qu’il a vu la Punaise tourner du cul.

— En plus, je devrais culpabiliser ! protesté-je.

Par chance, l’arrivée du Maire clôt la discussion. Jacques préfère passer derrière le comptoir.

— Bonjour Jacques. J’ai vu votre écriteau. Je réserverai bien une place pour moi-même et une pour le sénateur qui nous rend visite.

Le soir tombe. Jacques près des tables me hèle :

— La Punaise, viens-voir.

Je le rejoins et il maugrée en utilisant mon prénom, ce qui signifie que la conversation est sérieuse :

— Ecoute Fanny. J’ai commis une maladresse cet après-midi, je ne veux pas que tu crois que je t’ai pris pour une catin. Hein ?

— Cinq cent francs…

— Non, mais quand tu m’as demandé un prix, je n’ai pas réfléchi. Je vais être honnête avec toi.

Il attend que je lui donne mon autorisation, ses gros doigts boudinés posés sur son cœur.

— Vas-y, j’écoute.

— Je te considère comme un membre de la famille, au même titre que Jésus. Tu es une femme respectable, et surprenante… et franchement, ça me fend le cœur de te voir partir. Je ne veux pas que tu prennes pour argent comptant notre petite discussion de ce midi. Et je crois même que ça blesserait Christophe d’apprendre que je t’ai demandé de faire ça.

— Je te crois, je te crois.

Les yeux humides, il ajoute :

— J’avais une fille, elle aurait ton âge aujourd’hui et si j’avais entendu un vieux ruffian lui demander de faire ça pour son fils, je l’aurais étripé. T’es un peu comme ma fille, ou celle que Jésus aurait pu avoir… Je m’en rends compte, et mes mots ont dépassé mes pensées.

Je pose ma main sur son bras.

— D’accord. C’est oublié. On ne parle plus de ça, et on fait comme si nous n’avions jamais eu cette discussion. D’accord ?

— Je veux être certain que…

— C’est pardonné. Je sais comment les hommes de ce pays fonctionnent, j’ai bien compris.

— Comment je peux me racheter ?

— Et bien j’ai appris que certains soirs vous jouiez à la belote. On a le temps de faire une partie ?

Il sourit, étreint mes épaules avec ses grosses mains, puis hèle son fils et Jésus.

Assis ensemble, nous faisons notre première belote à quatre. Je joue avec Christophe, vu qu’apparemment, il ne vaut mieux pas être dans l’équipe de son père, trop mauvais perdant.

Le verre de calva repose devant mes mains. Cette fois-ci, ça va être difficile de ne pas le boire.

— Sept de pique, annoncé-je. Une.

— Une, grogne Jacques.

— Une, indique Christophe.

— Une, renchérit Jésus.

— Deux, soupiré-je.

— Je prends à trèfle, chantonne Jacques.

Tandis que je distribue, Christophe confie :

— Ça fait bizarre de jouer à quatre en soirée.

— Encore plus avec une pisseuse, rit Jacques. Il va falloir faire attention aux blagues qu’on raconte.

— J’en ai entendu une bien, cette semaine, indique Jésus. C’est l’histoire de Jeremiah. Il rentre très tard de la forge à la maison familiale. Il est minuit passé, et il marche sur la pointe des pieds pour ne réveiller personne. Hélas son père l’attend déjà depuis plusieurs heures, et le chope aussitôt qu’il rentre. Jeremiah, tout penaud lui dit : excusez-moi, Père. Je sais que je suis en retard, mais j’ai eu mon premier coït. Alors son père très fier, lui dit : mon fils, je suis fier de toi, viens t’asseoir avec moi et me raconter tout ça autour d’une bière. Jeremiah, gêné, dit d’une petite voix : j’aimerais beaucoup père, mais je ne peux pas encore m’asseoir.

Jacques s’esclaffe d’un rire gras et Christophe le suit. Une histoire entendue dans les années collège me revenant en mémoire, je m’exclame :

— A moi ! C’est l’histoire d’une petite fille qui a ses menstrues pour la première fois. Elle court trouver sa mère. Maman ! Maman ! Je saigne ! Sa mère très occupée, lui répond : ce n’est pas grave ma chérie, monte dans ta chambre, j’arrive dans cinq minutes. En montant les escaliers, en pleurant à chaudes larmes, elle croise son petit frère qui lui demande : pourquoi tu pleures ? Elle lui répond : parce que je saigne et que maman dit que ce n’est pas grave. Le petit-frère lui demande : montre-moi où tu saignes. La petite fille lève sa robe, et alors le petit-frère s’exclame catastrophé : mais Maman est folle ! C’est super grave ! Tu t’es arraché les couilles !

Jésus et Jacques s’esclaffent de rire. Christophe est un peu plus gêné. Il n’y a pas encore une seule carte abattue, la soirée s’annonce longue et joyeuse.

Il est minuit passé. Christophe bâille, et par contagion, moi aussi.

— Je vais me coucher, annoncé-je.

— Moi aussi, annonce Christophe.

L’unique calva me tourne la tête lorsque je me lève. Tandis que Christophe gagne l’étage, je trempe mon mug dans le seau du puits. Me hissant dans l’escalier, en repensant à l’humeur paillarde de ces dernières heures, je me demande si Christophe dort nu ou dans une tenue.

Je m’accroupis devant sa porte, puis pose l’œil en face de la serrure. Le néon allumé me permet de le voir complètement nu dos à moi, ses petites fesses musclées et pâles en manque de soleil tranchent avec le hâle de sa nuque rouge. Il n’a que seize ans, et pourtant, cette vue ne me laisse pas indifférente. J’aimerais assister à la fin de sa toilette, pour l’apercevoir de face, hélas les pas lourds de Jacques au pied de l’escalier m’obligent à abandonner mon point de vue. Enfermée dans ma propre chambre, je délace avec soulagement ma robe. J’ai trop la flemme pour une toilette. Mes seins libérés, je m’effondre en petite culotte sur le lit.

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