25. La catin du Païen (partie 2/2)

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Les heures défilent au rythme des arrivées. Comme tout gala d’adieux, les plus fervents admirateurs sont revenus. Il n’y a donc aucune surprise à trouver Baptiste Chevalier assis au comptoir, Célestin Marielle, sa femme, monsieur le Maire, et nombreuses silhouettes d’habitués. Également, pour la première fois, une seconde femme s’invite : l’adjointe du shérif. Parmi la foule, se glisse la silhouette élégante du propriétaire de la Goutte Blanche. Il s’avance vers moi et m’octroie un sourire aimable.

— Bonsoir Madame.

— Bonsoir Monsieur. Qu’est-ce qui vous amène si loin de votre Paradis de catins ?

— Et bien, ma foi, on ne tarit pas d’éloge de votre danse. Je suis venu mesurer l’ampleur de mon erreur d’avoir refusé vos services. Notez que vous érotisez tant ces pauvres gens, qu’au lieu de venir à la Goutte Blanche, leur membre est si dur qu’ils rentrent chez eux et vont trouver leur femme. Et tant que ces gentlemen honorent leur devoir conjugal, la fréquentation de mon établissement diminue.

— Ne vous inquiétez pas, c’est ma dernière représentation.

— J’ai cru lire ça. Excusez-moi, je vais prendre une chaise avant qu’il n’y en ait plus aucune de libre.

Je m’éclipse à mon tour, alors que la salle est bondée. Je parviens dans mon appartement, et ôte ma robe trop chaude. Je trempe mes mains dans la magnésie, tamponne mes cuisses. J’entends alors Jésus utiliser sa plus forte voix.

— Messieurs ! Ce soir, le spectacle se déroulera en deux parties, afin de mieux permettre de vous désaltérer. Rassurez-vous, vous aurez toujours vos vingt minutes de gymnastique érotique…

Tandis qu’il fait durer le suspens, je revêts ma nouvelle robe. Les lumières s’éteignent. Je rabats la capuche de capeline sur mes cheveux attachés, me glisse sur la barre. Lorsque les néons bleus et roses s’allument, je tournoie tout autour en me laissant descendre, le bas de ma jupe flottant jusqu’à dévoiler une de mes cuisses. Mes pieds se posent sur la scène, et mes pas félins viennent fendre la jupe l’un après l’autre. Aucun sifflement ne vient reprocher ma tenue trop sage. Le peu que tous entraperçoivent suffit à faire monter la température.

Je remonte sur la barre, y plaque mes pieds, puis tourne tout en laissant la capeline se détacher. Elle retombe délicatement sur la table en dévoilant mes épaules et mes bras. Le silence religieux qui étreint la foule, mesure au combien ils sont captivés. Une nouvelle fois, mes pieds reviennent sur scène pour me faire défiler mes épaules si finement dessinées. D’une main, je caresse ma nuque, de l’autre la barre. Lorsque j’en ai fait deux fois le tour, je me hisse avec agilité et légèreté. Parvenue en haut, mes cuisses enserrent fermement le mât. Mon corps s’arque lentement, laissant mes épaules tomber. Ma jupe suit mon corps, dévoile jusqu’à mes fesses nues. Mon corps suspendu pivote doucement. Mes mains viennent fermement, bras tendus sur la barre, ma cuisse reste refermée autour, tandis que mon pied opposé vient se courber comme le dard d’un scorpion. Mes orteils défont le chignon et les applaudissements retentissent. Je tournoie en descendant. Mes cheveux se positionnent sur mes épaules nues, et tandis que mon regard de fauve charme la foule, mes pas se croisent comme ceux d’une panthère.

À nouveau je me hisse, enchaîne quelques vrilles autour du mat, les jambes ouvertes en grand écart, en démonstration à la fois talentueuse et obscène. Lorsqu’elles emprisonnent une nouvelle fois le mat, mon corps se suspend. Comme un papillon sortant de son cocon, je dénoue mon corset pour qu’il glisse vers mes épaules, et choit sur le sol. Mon ventre exhibe ses muscles en dansant et en envoûtant le public.

La partition approche de la fin, je disparais lorsque les lumières s’éteignent. Les applaudissements résonnent dans le Païen. Les lumières blanches aveuglent les spectateurs.

Dix minutes de pause, et on reprend dans un ton un peu plus explicite et audacieux.

Vingt minutes plus tard, le corps brûlant de mes efforts, mon bassin ondule contre la barre. Ma bouche entrouverte imite le désir alors qu’en réalité j’étouffe dans la torpeur de la taverne. Envoûtant mon public hystérique, mon corps ruisselle à en faire glisser mes pieds sur le bois.

À genoux sur la table, les épaules en arrière, en appui sur les mains, mon ventre dessine des vagues sans équivoque.

Enfin la musique cesse. La lumière s’éteint. Des cris d’hystérie et des sifflets retentissent. Cette folie furieuse va me manquer.

Les lumières blanches se rallument. Christophe passe distribuer des pichets d’eau et Jésus crie :

— Allez gentlemen ! Il faut éteindre le feu !

Les spectateurs projettent l’eau fraîche dans ma direction. Immobile, les yeux clos, je savoure cette fraîcheur. Trop vite, il n’y a plus d’eau à gâcher. Si je m’écoutais, j’irais plonger dans le puits. Je peigne mes cheveux détrempés avec mes doigts. Ce simple geste me vaut des nouveaux cris d’hystérie.

Dans la pénombre, le proxénète quitte sa chaise en rasant les murs. La femme de Célestin me fait signe que c’était super. Les autres au premier rang me supplient de ne pas quitter Saint-Vaast. C’est un brouhaha de fous furieux ! Ils se battent presque pour me proposer un verre. Je n’en accepte aucun, mon corps ne veut que de l’eau. Je bois un broc que Christophe me tend. Incapable de remonter sur la barre tant je suis détrempée, je suis obligée d’attendre que la soirée se termine et que chacun soit reparti.

La porte ouverte laisse entrer une sensation de fraîcheur bienfaitrice. Il ne reste que l’adjointe du shérif, alors en confiance, je pousse la herse et descends.

— Je suis claquée, indiqué-je.

— Je comprends. Ma parole, quel spectacle !

— Ça vous a plu ?

— Au-delà de cet entassement de virilité, le spectacle en lui-même m’a impressionné. Si tu ne nous quittais pas, je paierais bien pour une petite représentation privée, dans un endroit un peu plus intimiste et coloré. Les grilles, ça manque de charme.

Voilà que je me fais draguer par une femme, inattendu dans un monde aussi fermé.

— Les grilles me protègent.

— Et pour ça, vous avez raison d’en avoir mis. Tant pis pour le cadre.

— Un mal pour un bien.

— Sur ces bonnes paroles, je vous souhaite bonne nuit. J’espère que mon mari est encore frais, parce que je ne vais pas le laisser dormir de la nuit.

Elle me fait un clin d’œil.

Soudain, un pavé traverse la vitre.

Elle se retourne comme un éclair et ouvre deux fois le feu avant de surgir dehors. Les individus s’enfuient en courant. Elle avance doucement, puis s’accroupit au-dessus des pavés. Elle se tourne vers moi, puis me sourit :

— J’en ai touché un.

J’avance pour voir les gouttes de sangs. Jacques hurle :

— La Punaise ! Ne sors pas à poil !

— C’est vrai, sourit Antoinette. Sinon, je t’arrête.

Je recule à l’intérieur.

— Non-merci, je retourne au chaud.

— J’aime bien ton tatouage, la Punaise. Bonne nuit et bon retour chez toi.

Elle s’éloigne dans l’obscurité. Jacques s’assoit à une table pour faire les comptes. Cent onze spectateurs. Je m’assois face à lui et lui dis :

— Garde l’argent. Si je reviens, tu me le rendras, mais sinon, que veux-tu que j’en fasse ?

— J’ai des scrupules, la Punaise.

— Ça paiera les wallabies… enfin même pas un entier.

Il pose ses yeux sur mon soutien-gorge et s’énerve :

— Tu ne veux pas t’habiller ? Je n’arrive pas à compter !

— Je vais aller me rafraîchir et enfiler une robe.

— L’omelette est bientôt prête ! prévient Christophe.

Je me rince au puits, remonte à ma chambre me défaire de mes sous-vêtements. La robe brune sur ma peau nue, je les rejoins pour mon avant-dernier repas.

La meilleure omelette de ma vie.

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