65. Liberté

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Aujourd’hui, j’ai la sensation de l’avoir délivrée. La liberté pour elle, c’est d’être assise sur le banc, téléphone à la main, émerveillée de me filmer en train de tournoyer avec grâce autour de la barre. Trois semaines après mon retour, je peux enfin voltiger. Il ne reste que quelques lignes roses des coups de fouets, mon hématome est presque résorbé. La musique moderne me transporte. Assises à côté de ma mère, mes copines me regardent enchaîner les figures les plus complexes. Mes muscles tremblent de l’entraînement manquant, mon épiderme dégouline d’effort. La playlist s’interrompt sur les notes d’une boîte à musique tirée d’un morceau d’Ennio Morricone. Cela créait l’émotion au fur et à mesure que ma gestuelle ralentit pour gagner en sensualité. Le sol se rapproche à chaque instant. Lorsque les dernières notes meurent, mon genou se pose sur le sol matelassé. Mon enseignante s’émerveille :

— Elle sait tout faire ! C’est une gymnaste !

Ma mère me souriant, je m’avance vers elle.

— Alors ?

— J’ai tout filmé. Je vais montrer ça à ton père.

— Il ne doit pas être à l’aise avec.

— C’est t’imaginer devant cent cowboys baveux qui le met mal à l’aise.

Je souris. Sarah me met une claque sur la fesse :

— T’as rien perdu, ma salope !

— Hey !

— Trois mois sans t’entraîner, et tu es toujours meilleure que moi.

— Jalouse !

Elle prend à partie ma mère :

— Bien sûr qu’on est jalouse. Regardez-là, affûtée comme une pro. L’année prochaine, championnats de France de pole dance, ma petite Fanny. T’es une fusée, nous allons faire de toi un ovni.

— Ça ne m’intéresse plus trop. Mais c’est gentil de croire que j’en suis capable.

Je prends ma serviette tandis qu’elles protestent en chœur. Elles m’emboîtent le pas jusqu’au vestiaire.

— Allez Fanny ! T’es notre championne !

Mes mains se croisent pour libérer ma poitrine de ma brassière, puis déroulent mon boxer trempé jusqu’à mes chevilles. Avec mon shampoing, je m’avance sur les petits carreaux de faïence bleue du vieux vestiaire. Ma mère s’assoit sur le banc, Sarah me rejoint sous une rampe et scrute mon tatouage. Elle aperçoit l’œil enroulé autour d’un morceau de vertèbre du cosmonaute

— Et ça représente quelle partie de ta vie ?

— La plus récente. Tu vois, il fait du pole dance sur la colonne.

— Pourquoi un œil ?

— Je trouve que ça allait bien.

— Tu ne veux vraiment pas être championne de France ?

— Non. Je n’ai pas envie de me mettre la pression.

— Arrête. T’as tellement d’aisance !

— Mais ce n’est pas pour ça que j’ai commencé le pole-dance.

Elle cède, me laissant libre de me savonner. Mes débuts parmi elles, c’était un défi. La plupart d’entre elles cherchent la sensualité et à varier les plaisirs pour leur conjoint. Moi, je voulais être capable de réaliser les figures que j’avais vu en vidéo. C’était un nouveau challenge après être passé par le hip-hop. Aujourd’hui, j’ai atteint mon objectif, et réaliser un spectacle pour un jury sinistre ne me fait pas rêver. J’aimerais orchestrer un spectacle unique, non-seulement de prouesses physiques, mais également de lumière et de sensualité. Je voudrais ressentir la salle vibrer par les clameurs d’une centaine d’hommes hystériques. J’ignore si ça fait de moi une perverse exhibitionniste égocentrique, mais l’ambiance du Païen me manque un peu.

Je me rince longtemps en y pensant. Nous nous disons au revoir sur le parking, on insiste encore pour que je me présente, puis je monte en voiture. Ma mère prend le volant.

— Tu es sûre de ne pas vouloir faire les championnats ?

— Trop de pression.

— Juste pour participer ?

— Je n’ai plus la même envie qu’avant.

— Ah !

La voiture poursuit sa route dans la nuit. J’hasarde la conversation :

— Est-ce que tu comprendrais si je te disais que ça me manque ?

— De quoi ?

— De danser en string devant des quasi-inconnus. De les entendre retenir leur souffle, d’entendre leurs acclamations, leurs sifflements...

— J’imagine que ça doit être une ambiance particulière.

— Un jury qui ne dit pas mot, qui regarde si ton orteil fait le bon angle, qui note si tu fais une erreur, si tu manques de la fluidité, c’est… Ce n’est pas excitant.

— Et danser devant des hommes, ça t’excite ?

Les mots venant de ma mère, je n’ose pas répondre un oui franc.

— Je n’en sais rien. En tout cas, ça me transporte.

— Je pense comprendre ce que tu ressens. Dans tous les cas, c’est plus agréable de se sentir désirée que jugée.

Ses mots sonnent juste, alors je lui confie :

— Trois fois, j’ai terminé par un nu intégral.

— Tu nous l’avais caché. — Je hausse les épaules. — Et alors ?

— C’était juste pour le final, mais ils ont adoré.

— Non mais je me doute qu’ils ont adoré. Mais toi ?

— J’étais un peu terrifiée de la réaction de Jacques avant de me lancer. Une fois sur scène, j’ai kiffé. C’est comme jouer avec eux, avec leur impatience.

— J’aurais bien aimé vivre ça. En tant que spectatrice, hein ? Je suis bien plus pudique que toi.

— T’es une super Maman.

— Mais il ne faut pas raconter à ton père que tu aimes danser toute nue pour des garçons de ferme. Là, vraiment, il ne comprendrait pas.

Elle éclate de rire en imaginant la tête de Papa.

La voiture s’arrête dans la vaste cour devant la longère. J’embrasse ma mère :

— Bonne nuit.

— Bonne nuit, ma chérie.

— Tu vas vraiment montrer la vidéo à Papa ?

— Il appréciera au moins la partie technique.

Nous quittons la voiture. Mon père est assis dans le canapé devant la fin du feuilleton. Maman s’assoit à côté de lui. Un peu affamée, j’épluche une banane volée dans la cuisine tout en grimpant les marches. Les souvenirs de mes danses se mêlent dans ma tête. Je ferme la porte de ma chambre, puis sélectionne une playlist douce sur mon téléphone. Je le branche, puis ondoie sensuellement devant mon lit en imaginant mon public de païens.

Mon sweat-shirt à capuche étire mes cheveux détachés avant de voleter vers mon lit. À mesure que mon bassin dessine des cercles sensuels, mon jeans descend sur mes longues jambes. Emportée par la musique, les yeux mi-clos, je valse avec un partenaire invisible, avant de porter mes pieds un à un à mon visage pour en enlever les chaussettes avec les dents. Au fil des pas, un désir naissant crépite entre mes reins. Je foudroie d’un regard félin mon spectateur imaginaire. Mes mains caressent mes cuisses pour réveiller l’appétit féroce qui sommeille au fond de mon ventre. Puis, passant sur le coton de ma culotte, mes doigts se frayent un chemin sous mon t-shirt rose dont les paillettes brillent à la lueur du téléphone. Il disparait sans que mes hanches ne cessent leur ballant, désynchronisées, indépendantes de mes épaules. Le soutien-gorge vole sur le lit, mes ongles effleurent mes seins tout en adoptant le rythme de la nouvelle chanson. Mes trois yeux observent l’ombre de ma silhouette sur le carreau aux volets fermés. Mes tétons dardent sous mes caresses incessantes, puis mes doigts revenant sur l’entrecuisse de coton, ils font naître une humidité délicieuse. Ma culotte plane jusqu’à mon oreiller, et ma main gauche revient entre mes jambes pour y trouver l’huile de mon désir. Je me penche vers mon armoire, sors ma boîte cadenassée puis libère son contenu sur mon lit. Parmi les trois sextoy qui roulent sur les draps, mon choix se porte sur le bleu translucide et lisse. Je l’essuie avec mon t-shirt. La musique rythmée se conclut, pour qu’une plus douce prenne le relais. Mes pieds glissent petit à petit pour que mon corps descende très lentement en grand écart. Le temps de la descente, ma langue passe sur le jouet de plastique avant qu’il ne prenne sa place sur le parquet. Enfin mes cuisses viennent affleurer le sol en même temps que le phallus écarte mes nymphes. La pénétration est délicieuse, aisée. Je roule sur le sol avant de me relever, tout en le gardant en moi. Sa présence rend mes déhanchements délicieusement torrides. Ma propre danse m’enflamme du cœur au bout des doigts, provoquant les premiers frémissements incontrôlés. Lorsque la quatrième musique commence, je m’allonge sur mes draps. Mon bassin seul danse dans le noir, tandis que mes mains font mouvoir le jouet d’avant en arrière. Avant que la cinquième musique n’arrive à sa fin, l’orgasme transfigure mes souvenirs de gymnaste érotique.

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