76. Duo à la Une
Enfin le matin. Je me lève bien après le champ du coq, plus impatiente de lire le journal qu’autre chose. La cuisine est déjà vide, Jacques, Maman, Martine et Christophe déjà partis sur le marché. Je me sers une tasse de café amer avant de retrouver Jésus qui lustre son piano.
— Notre danseuse étoile est réveillée ?
— Je pensais qu’il était tôt. Tu sais si on parle de nous dans la presse ?
— Jacques a laissé le journal.
Je me dirige vers le comptoir, pose ma tasse, puis découvre que nous faisons la Une. Il faut dire qu’il ne se passe pas grand-chose sur Saint-Vaast. L’étoile du Païen est de retour, titre l’éditorialiste.
« D’aucun n’a jamais avoué ouvertement attendre son retour. Pourtant, lorsque la gymnaste érotique du Païen a refait son apparition, les places se sont vendues deux cent francs pièce. Et ce malgré la présence d’une danseuse nègre qui a refroidi la curiosité de plus d’un. Pas un seul des spectateurs présents n’a décroché une fois du spectacle, plongé dans une double féérie de vingt minutes. On ne refera pas l’éloge de Fanny dont le talent n’est plus à discuter, mais on s’arrêtera sur la présence de cette nouvelle danseuse dont les courbes généreuses ont mis tout le monde d’accord. Si elle n’est pas une virtuose des acrobaties, elle évolue avec une grâce et une souplesse qui rivalisent avec la tête d’affiche. Deux danseuses auraient pu suffire, mais ce n’était pas assez pour que nous en ayons pour notre argent. L’équipe du Païen a construit une histoire autour de son jeu de lumière, afin d’apporter une profondeur inattendue à la danse. La mise en scène et le pianiste dont l’éventail musical ne cesse de s’épanouir, nous ont immergés dans un conte muet et sensuel. Nous n’avons assisté à aucune gestuelle vulgaire, juste à la valse de corps gracieux et empreints d’émotions. Les deux danseuses se sont cherchées dans un jeu de désirs et de craintes, paraphant le tabou des appétits charnels. Ce fut un spectacle savoureux, le plus poétique jusqu’ici composé, et je retournerai saluer les artistes à leur prochaine représentation. »
Je finis le café, le cœur transporté de joie.
— Perfect ! Ben je vais prendre un peu l’air.
J’ajuste le chignon, défroisse ma robe opaline de quelques claques, puis quitte le Païen. Dans la chaleur matinale, les rumeurs lointaines du marché me guident. Je remonte les étals parfumés, cherchant ma mère et Jacques du regard. Une femme en belle robe me regarde froidement du coin de l’œil, puis attend que je sois passée pour dire :
— Et en plus, elle se pavane.
Comment pourrais-je être moins fière après un spectacle qui fait la Une ? Le père de Marianne descend la rue dans son beau costume, un panier entre les bras et sitôt que ses yeux m’identifient, il fait celui qui ignore qui je suis. Nous nous croisons, et il s’arrête un étal en faisant mine d’observer les légumes. Il murmure d’une voix à peine audible :
— J’aimerais vous parler.
— Je vous écoute.
— D’ici vingt minutes, rue du Riz-au-Lait
— OK.
Il poursuit son chemin. La maraîchère me voyant stoppée à son étal me hèle :
— Retourne chez toi, la traînée ! Saint-Vaast se portait bien mieux avant que tu reviennes.
— En quoi mon retour gène ?
Elle ne me répond pas et s’adresse poliment à un homme âgé, comme si je n’existais pas. Je poursuis ma promenade, en ne cherchant aucune rencontre, me contentant de sonder les regards. Comme à mon habitude, les femmes n’ont que méfiance ou mépris, tandis que les hommes sont tout autres. Ceux qui ont déjà vu un de mes spectacles affichent des sourires et des yeux qui pétillent. Les autres m’observent avec curiosité en essayant sans doute d’imaginer comment une crevette informe peut faire la Une de la Gazette de la Colline.
Je croise Jacques et ma mère. Il s’étonne :
— Tiens, tu ne répètes pas ?
— Marianne n’était pas là, et je voulais prendre la température.
— Mmm…
— Son père veut me parler, il m’a donné rendez-vous rue du Riz-au-Lait. C’est vers les Marais, non ?
— Je me méfierais.
— Tu n’as qu’à venir avec moi. C’est bien vers les marais ?
— Oui, oui. Quand tu descends vers la gare, tu prends la deuxième rue en terre et c’est la première en transversale.
— Bien, je vais voir ce qu’il va me dire.
— Je viens avec toi, indique ma mère.
— C’est plus sage, reconnaît Jacques.
Maman m’emboîte le pas. Nous descendons vers la gare, puis nous nous engageons dans les ruelles de terre sèche et dure. L’homme en costume clair nous attend. Il nous observe avec un air hautain :
— La mère et la fille.
— Vous vouliez me parler ?
— Les marchands qui ont la bonté de me servir pensent que mon épouse est une esclave, et Marianne un accident. Jusqu’à aujourd’hui, les seules personnes de Saint-Vaast qui me parlaient de ma fille, me demandaient simplement si je la vendais, si elle était une bonne esclave de maison. — Sa bouche se déforme de mépris. — Depuis ce matin, on me demande pour combien ses cuisses sont à louer.
— La rançon du succès.
— Nous allons devoir quitter notre nouveau foyer par votre faute.
— C’est elle qui est venue nous trouver, rappelle ma mère. Elle nous a quitté hier soir avec une belle somme d’argent et l’intention de vous dire qu’elle souhaitait poursuivre l’aventure. Si vous partez, vous ferez son malheur.
Il pointe son doigt vers moi :
— Le prêtre m’a dit que vous étiez une ensorceleuse, et je ne serai pas étonné que vous, sa génitrice, vous le soyez également. Je veux que vous leviez l’envoûtement…
J’éclate de rire. Il s’interrompt jusqu’à ce que je me calme.
— Oh Fuck ! Désolée de vous décevoir, mais je n’ai pas de pouvoir magique. Les seuls que j’envoûte ce sont les hommes, et c’est sans artifice. Quant à Marianne, elle aime danser, et c’est vous qui lui en avez donné le goût.
— Moi ?
— Toute sa jeunesse elle a rêvé de monter sur les planches, c’est ce qu’elle m’a dit. Vous vouliez pour elle une vie de fille de bonne famille et vous lui avez insufflé la passion de la danse et de la musique. Mais vous saviez très bien que dans cette époque raciste, jamais aucun conservatoire ou je ne sais quoi ne lui ouvrirait ses portes. Hier soir, elle a vécu ce rêve, peut-être pas de la manière que vous espériez, mais elle a dansé, les gens ont observé le silence malgré sa couleur de peau, et ils l’ont applaudie à en faire trembler les murs. Vous voulez quitter Saint-Vaast, et lui ôter la seule chance de poursuivre la danse, la seule chance de trouver un public ? Elle sera malheureuse à vie.
— Et escortée par un shérif tous les soirs ?
— La rançon du succès.
— Et pensez à l’argent qu’elle amène à la maison, ajoute ma mère.
— Pensez à sa vie. Jamais elle ne trouvera un mari, un…
— La vie n’est pas un conte de fée, tranché-je. Marianne est très jolie, mais vous lui imaginiez vraiment une vie tranquille avec un riche mari et des enfants blonds ?
— Vous avez peut-être renoncé à une vie normale…
— C’est quoi une vie normale ? Se marier et chier une douzaine de gosses ? Je n’ai renoncé à rien, j’ai couru vers une vie exaltante. Laissez votre fille décider ce que sera sa vie exaltante.
Ma mère opine véhément du menton, surprise du choix judicieux de mes mots. Vide de meilleurs arguments, il préfère conclure la conversation sur une vérité :
— Nous pourrions avoir cent fois cette conversation, cela ne changerait rien.
— C’est évident, acquiesce Maman.
— Vous devriez demander à ceux qui ont vu danser votre fille ce qu’ils en pensent, suggéré-je.
— J’entends déjà leur langage ordurier et leurs gloussements lubriques.
— Lisez la Une de la Gazette, alors.
— L’Echo du Seigneur est d’une bien meilleure plume.
— Pour quelqu’un qui aime une Noire, il est surprenant que vous lisiez de la prose inspirée par l’Église. Et ils ne parlent pas de notre spectacle. Sincèrement, si vous devez acheter la gazette une fois dans votre vie, c’est aujourd’hui.
— Si vous le dites.
Il nous tourne le dos, sans même un au revoir. Je crie :
— On attend Marianne pour la seconde représentation !
Son pas ne marque aucun arrêt, mais il m’a entendue.
— À sa place, je ne serais pas convaincue, dit ma mère.
— Ah bon ?
— J’ai vu comment ton père a pris la nouvelle pour toi, ça ne peut qu’être moins facile dans une époque aussi fermée sur la sexualité des femmes. Et puis, il vient d’un milieu social ou tout est dans la réputation. Jamais tu ne le convaincras.
Je soupire. En me remémorant les yeux brillants et le sourire de Marianne, ma déception est d’autant plus grande. Je conclus :
— Au moins il a accepté d’avoir une conversation avec nous.
— C’est vrai.
— T’as déjà vu l’orangeraie ?
Ma mère secoue la tête, alors je prends la direction du parc à flanc de colline. Au milieu des feuillages verts, deux ouvriers s’emploient à tailler des branches. Le bas de la colline offre une vue par-dessus les toits des maisons sur pilotis et on aperçoit la mer qui s’étend au-delà de la grève. En mer, le ciel est très nuageux. Le vent sur nos visages annonce que la grisaille va couvrir les terres d’ici quelques heures. Il est étonnamment doux, presque frais.
— C’est la première fois que le vent n’est pas brûlant.
— En tout cas, la vue est magnifique.
— C’est là que Valérie et Christophe se sont retrouvés pour leur premier rendez-vous.
— C’est romantique.
L’air est parfumé des feuillages, les rumeurs urbaines lointaines, et les oiseaux sifflotent des airs apaisants. Le cœur apaisé, je confie :
— J’aime ce monde !
— Il a des charmes par certains côtés, sourit Maman. Par contre, le confort est un peu archaïque, et je ne suis pas certaine de comprendre l’attachement que tu as avec les gens d’ici.
— Il suffit de les connaître.
Un homme d’exclame :
— Hé ! C’est la pute du Païen !
Nous nous retournons vers la voix. Trois employés de l’orangeraie avancent vers nous. Le plus grand dévoile un sourire de dents jaunes et nous salue d’une tessiture crapuleuse :
— Bonjour Mesdames.
— Bonjour Messieurs, réponds-je.
Il pose sa besace :
— Tu nous ferais bien un petit spectacle.
— Ce n’est pas gratuit et ça manque d’accessoire, réponds-je.
Une gifle soudaine me dévisse la tête. Il me pousse et me fait tomber assise. Ma mère s’écrie :
— Fanny !
L’un d’eux ceinture ma mère. Je me relève et me retrouve dos au mur. Le grand fait glisser sa main sur ma joue rouge de la gifle.
— La douceur, c’est mieux, non ?
— Fanny ! Ne te laisse pas faire ! crie ma mère.
Il me fait penser à Jérémiah en encore plus moche, mais je note le sécateur à sa ceinture. Je n’aie pas survécu à une séance de torture pour me laisser malmener par des tâcherons. J’opine un oui discret en gardant l’air terrorisé pour qu’il se rapproche. Ses grands doigts bruns de terre passent sur mes lèvres, mais il reste à distance. J’ouvre la bouche et laisse son index calleux sur ma langue. Il jubile :
— C’est bon, hein ?
— Fanny ! s’exclame ma mère.
Son acolyte la bâillonne et enfin le grand vient se coller à moi. Je lui agrippe les burnes et saisis son sécateur pour lui coller sur la joue. Il lâche un couinement aigu en se repliant sur lui-même.
— Lâchez ma mère ou je lui coupe l’oreille !
Le second lâche ma mère et le petit gros lève les mains en panique :
— Mollo ! Mollo ! On s’en va.
Le second opine en reculant. Je ne lâche pas les perles du grand pour les garder face à moi et Maman vient se placer derrière-moi. La voix de Jacques nous fait tous sursauter :
— Bande de Jocrisses !
Le voyant avancer, carabine épaulée, je lâche mon agresseur. Il peine à reculer tant il a mal. Celui qui tenait ma mère le supplie.
— Ne tirez pas, Monsieur Tardif !
— Ne me donnez pas cette occasion. La Punaise, Carole, rentrez.
Maman me prend par la main et m’entraîne dans la direction de la rue. Même si j’en ai envie, je doute que Jacques les tue. Une fois dans la foule du marché, Maman fait une halte, rassurée par le grand nombre.
— Ça va ? m’inquiété-je.
— J’ai le cœur qui bat très fort… Et toi, ma chérie, ça va ?
Je crache le goût de terre sui me colle à la langue et réponds en levant le sécateur :
— Presque. J’aurais aimé lui laisser une balafre.
Jacques nous rejoint, alors je lui demande :
— Tu les as laissés partir ?
— Ils sont sur leur orangeraie. Les ecclésiastiques me feraient fouetter en place publique si je blessais un de leurs employés sans raison.
— Sans raison ?
— Ils t’avaient lâchée. Si ces types se pointent au Païen, tu pourras leur arracher les couilles.
— J’y compte bien.
Je prends la direction de la taverne. Laissant ma colère redescendre, je crache un nouveau filet de salive puis dis :
— Merci d’être venu Jacques. Je ne sais pas comment tu as su…
— Je t’ai dit que je n’avais pas confiance en le père de Marianne.
— Mais ça n’a rien à voir avec lui.
— Sans aucun doute. Mais j’étais trop méfiant pour ne pas venir à votre rencontre. J’ai posé les courses, et pris la carabine. Je ne vous ai pas trouvées, mais j’ai entendu Carole crier.
Je m’arrête, l’étreins malgré sa chemise puant la sueur acide. Il me tapote entre les épaules et grommèle :
— Allez, pas de ça en public.
Nous bifurquons dans la direction du Païen, puis retrouvons sa pénombre rassurante, habitée par les notes de l’inlassable pianiste. J’annonce que je vais me brosser les dents. Jacques déclare qu’il va changer de chemise, et ma mère rejoint Martine à la cuisine.
Midi arrive plus vite que d’habitude et nous oublions l’incident le temps de la frénésie du service. Puis, tout en déjeunant, nous abordons le sujet. Evidemment, chacun s’accorde à dire que ça aurait pu m’arriver plus souvent. Pour les hommes de ce monde, ça semble naturel qu’une danseuse soit la cible des débordements hormonaux qu’elle provoque. Même païens, ils savent l’idée qu’ont les gens en général, celle qu’on mérite tout ce qui nous arrive. Évidemment, avec leur passé respectif, ni Jésus ni Jacques ne croient en cet équilibre céleste.
Alors que le débat se poursuit autour des assiettes vides, l’arrivée de Marianne nous fait changer de sujet. Elle s’exclame avec un grand sourire :
— Mon père a cédé !
— Je ne l’aurais jamais cru, dit ma mère.
— Il a lu la Gazette de la Colline.
Je souris, ravi que ma proposition ait été écoutée et que le journaliste ait fait mouche. Jacques réalise :
— Ça veut dire que demain, nous pouvons faire la deuxième représentation ? Je vais ouvrir les ventes. Je vais chercher la craie.
— Tu pourras offrir le spectacle à son auteur, de ma part. Je m’assois sur deux cent francs.
Il grommèle un acquiescement en faisant racler sa chaise.
— Cornegidouille ! La messe est finie !
Tournant tous la tête vers les vitres, nous voyons arriver à grands pas la délégation de femmes en robes noires. Je murmure à ma mère :
— Les grenouilles de bénitier.
C’est la grande meneuse qui entre en tête, la brune quadragénaire, aux boucles anglaises et au front bombé. Elle plisse les yeux dans ma direction comme si la pénombre de Païen était plus dense que la nuit.
— Vous nous aviez fait une promesse, Fanny Gaultier, et vous ne l’avez pas tenue.
— Je suis fragile, je ne sais pas dire non à l’appel des hommes.
— Le démon vous habite, madame Gaultier. Je ne suis pas surprise de le trouver chez une sauvage…
— Quelle sauvage ? l’interrompt Martine. Marianne a sans doute reçu une bien meilleure éducation que vous !
— Mais l’éducation ne chasse pas ce qui se trouve dans les gènes, réplique du tac au tac la femme.
S’apercevant que seule la grande brune parle au nom des autres, Martine s’enflamme :
— Et vous autres ! Au lieu de suivre sans un mot, vous pourriez vous exprimer. Une femme n’a-t-elle pas le droit de choisir son destin dans ce pays ?
— Nous soutenons notre porte-parole, lance une blonde d’une voix criarde. Vous pervertissez nos maris et nos fils !
— Ils sont libres de ne pas venir, pouffe Jacques.
— Nous tiendrons notre promesse, Monsieur Tardif, reprend la meneuse. Nous bloquerons l’accès au prochain spectacle. Je peux vous assurer, qu’il n’aura pas lieu.
— Parfait. Si vous nuisez à mon commerce, je déposerai plainte.
— Ah ! Je suis curieux de savoir qui la justice suivra. Une association des femmes vertueuses ou un vieux marchand de débauche ?
Jacques se lève :
— Si vous ne partagez pas nos saintes coutumes, quittez mon établissement.
— Nous ne comptions pas rester longtemps. Votre établissement pue la sueur et le stupre.
Elles tournent les talons, puis quittent le Païen. Jacques conclut :
— Bon ! Je vais chercher le shérif. Vous, commencez à répéter votre numéro. Même si elles viennent demain soir, tôt ou tard elles s’en lasseront.
Cet après-midi, Marianne s’entraîne avec un perfectionnisme effarouché. Elle n’a plus aucune honte à réaliser un spectacle de charme. N’osant me présenter moins bûcheuse, je me montre aussi infatigable. En vérité, mes muscles sont douloureux, mes mains peinent à me tenir sur la barre. Nous répétons inlassablement, jusqu’à ce que la soirée tombe. Son père l’attend dehors pour l’escorter, puis nous pouvons dîner. Jacques a déjà vendu une dizaine de places.
Je me couche, terrassée. Ma mère éteint le néon puis soupire après s’être allongée :
— Quelle journée !
— Une journée comme une autre.
— La matinée aussi ?
— Non… Je pensais au spectacle.
— Quelque chose ne va pas dans le spectacle ?
— Je pensais à la suite. Je vais m’en aller, Marianne va devenir la danseuse habituelle. Peut-être qu’avec le temps, elle se découvrira plus.
— Peut-être.
— Donc quand je reviendrai, je serai moins attendue.
— Pourquoi ? D’ici à ce que Marianne ait ta force et ta souplesse, il va se passer quelques années.
— Je parle de ceux qui viennent juste voir un cul.
Elle rit.
— Le cynisme avec laquelle tu vois ta popularité !
— En plus, ils disent tous qu’elle a un plus joli cul que moi.
— De ce côté, je pense qu’il y en a pour tous les goûts, et qu’ils ne viennent pas uniquement pour ça. Ils t’apprécient aussi pour ta personne, ils t’appellent par ton prénom, ils te sourient. Et ta mise en scène et ta virtuosité, ça ne laisse pas indifférent. Tant que tu as des idées, ils ne se lasseront pas. Même si Marianne devient la reine du Païen, tu ne seras pas déchue. Ils auront deux reines, c’est tout.
— Merci, ça me fait plaisir que tu penses ça.
— Je n’en doute pas. Dors sur tes deux oreilles. Bonne nuit, ma fille.
— Bonne nuit Maman.
Ayant besoin de parler je dis :
— Je pense que je vais passer quelques jours avec Alexandre à l’appartement quand tu renteras. Je ne repartirai pas tout de suite à Saint-Vaast.
— La vie ici te plait à ce point ?
— Je voulais juste gagner assez d’argent pour partir à la recherche de Léonie.
— Tu veux partir à la recherche de Léonie ?
— J’aimerais partir plonger dans l’eau de la jeunesse éternelle.
— Elle doit être très difficile à trouver, non ?
— Sans nul doute. L’Église doit la surveiller. Mais le risque en vaut le prix, non ? Tu imagines, ne jamais vieillir ? Rester telle que je suis aujourd’hui ?
— J’imagine. Et donc, tu veux y aller après m’avoir ramenée ?
— Je ne vais pas te laisser repartir toute seule.
— Et tu crois que je vais te laisser partir seule à l’aventure ?
— Et bien, j’aimerais bien. Mais c’est peut-être périlleux.
— Je ne pense pas être trop vieille pour chevaucher à tes côtés. J’ai bien envie de voir à quoi ressemble cette Léonie et voir d’autres paysages que cette ville.
— Du coup, on ne rentre pas chez nous avant de partir ?
— Peut-être qu’il faut quand même prévenir ton père et t’as envie de revoir ton copain ?
— Oui.
— Et bien on fait une ou deux représentations, on revient une semaine chez nous, et ensuite on se lance à l’aventure. On planifie ça demain ?
— OK.
— Bonne nuit, ma chérie.
— Bonne nuit, Maman.
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