113. Le parfum de chez-soi
Me sentant en sécurité, j’ai dormi comme un bébé. Je m’éveille alors qu’il fait jour depuis un moment. Ni Cadeau, ni le shérif sont dans la pièce. La rue est animée, bruyante. Je m’avance vers la fenêtre en gardant la couverture des marins autour du buste. J’ouvre pour laisser entrer l’air océanique. J’ai la sensation que j’arrive au bout de l’aventure. Cette fois-ci c’est certain, plus jamais je ne cherche le danger. Je retrace l’aventure, ce qui m’y amené, puis remonte jusqu’à la location de l’appartement, jusqu’à mon entretien d’embauche pour le poste d’attachée commerciale, poste dont je n’aurais jamais pris les fonctions. Aurais-je pu me douter en obtenant mon BTS que ça me conduirait indirectement à me retrouver attachée à un banc électrifiée, torturée par la représentant d’une religion inconnue de notre monde ?
Je vais rentrer au Païen, attendre que Maman, Jésus et les jumeaux viennent nous retrouver. Une fois que je les saurai sains et saufs, je me sentirai bien. J’espère que plus rien ne viendra attiser le feu qui a brûlé entre moi et l’Eglise Èvanique. L’inquisitrice avait l’air sincère dans son regard, j’espère donc qu’elle ne changera pas d’avis
Sur le quai, je vois Apollinaire et Cadeau qui reviennent. Le shérif tient une boîte sous son bras, je suppose donc qu’il a ma robe. Il pénètre dans l’hôtel, alors je referme la fenêtre. Il pousse la porte et me demande tout en la refermant du pied :
— Bien dormi ?
— Très bien, lui souris-je en le regardant franchement dans les yeux.
Avec un rictus serein, il me dit :
— L’homme mésestime la femme sur bien des plans.
— Parce que ?
— Tu as une résilience que beaucoup d’hommes n’ont pas.
— J’ai du caractère. Vous avez trouvé une robe ?
Il ouvre la boîte et présente un robe pourpre et noire sur laquelle repose des bottes.
— Je ne suis pas certain de la pointure, j’ai pris grand.
Je laisse tomber le drap, puis saisis la robe. Il détourne le regard, s’assoit sur le lit et caresse Cadeau tandis que je l’enfile.
— Ça me va plutôt bien.
— Au moins, mon adjointe ne t’arrêtera pas pour exhibition.
— Genre ! Elle le ferait ? Elle me connaît trop, maintenant. Elle cacherait ses yeux et me dirait : Ma parole ! file, avant que je te voie !
— Tu l’imites bien.
Je m’assois à côté de lui et enfile les bottes, en effet trop grande, et haute sur talon. Mais ça suffira le temps de gagner Saint-Vaast.
— J’ai faim !
— On prendra une pomme sur un étal, le train part dans vingt minutes.
— D’accord. Et soif.
Il fait signe qu’il a compris. Nous sortons de la chambre, demandons un verre d’eau à la jeune fille qui a remplacé le garçon à accueil, puis quittons l’hôtel. Je retrouve le soleil chaleureux malgré quelques nuages menaçants au large. Le shérif m’achète une pomme, comme promis, et je la dévore alors que nous remontons à hauteur de la gare, mes pieds meurtris glissent dans les bottes trop grandes, mais je ne me plains pas.
Le train est à quai. Je n’ai jamais été aussi heureuse de sentir cet odeur de charbon brûlé. Moins d’une heure me sépare de Saint-Vaast. Je jette le trognon sur le voie, puis. Nous grimpons dans la voiture de seconde classe. Nous nous asseyons sur les bancs en bois, Cadeau se place entre mes jambes. Le shérif ne parle pas, mais je lis l’apaisement sur son visage.
Le coup de sifflet ne tarde pas. Le wagon s’ébranle. Le contrôleur passe, salue Apollinaire d’un regard et continue sans nous demander nos billets. Je regarde la ville s’éloigner avec soulagement. Je confie, juste pour faire la discussion :
— Je n’aime pas cette ville.
— Je comprends. Mais il n’est plus là.
— Malgré tout, je n’aime pas cette ville.
— Ce n’est pas parce qu’on refroidit un homme, qu’on refroidit les souvenirs.
J’opine du menton, gratte la tête de Cadeau qui se redresse. Le shérif regarde le paysage aride qui remplace les murs. Je cherche un truc pas bateau à dire pour poursuivre la conversation.
— Je suis contente pour vous et Maman.
Ses yeux me fixent si intensément que je me sens obligée de regarder à mon tour par la fenêtre. Je lui dis :
— J’aime mon père, mais je vois bien combien ma mère est heureuse avec vous. Et puis vous êtes peut-être le meilleur homme qu’elle puisse trouver d’entre nos deux mondes. Je vous préfère à n’importe qui d’autre. C’est cool que ça matche.
— Merci.
Il n’ajoute rien. Je demande :
— Vous croyez qu’ils ont réussi à sortir du couvent ?
— Ça vaudrait mieux pour les nonnes.
Son regard ne ment pas, il pourrait décimer un couvent entier. Toutefois il ajoute :
— Ce sont des nonnes, pas des soldats ni des inquisitrices. On leur inculque la bonté et la piété.
Je lui souris, rassurée.
Une demi-heure plus tard, le train s’arrête en gare de Saint-Vaast.
— Fuck ! Que j’aime cette ville !
— Une partie de cette ville t’aime aussi, glisse le shérif.
Nous descendons de voiture et la voix d’Antoinette s’exclame :
— Ma parole ! Regardez qui nous revient ! Mais vous… vous êtes seuls ?
— Ils ont pris une autre route, répond le shérif.
— Jacques va être content de te voir, la Punaise. Il n’en peut plus d’être entourée que de femmes.
— Je vais le voir.
— T’as petite mine, mais t’as l’air en bonne santé, et tu as une belle robe.
— J’ai la dalle, surtout.
— La quoi ?
— J’ai faim.
— Et bien direction le Païen.
Je remonte la rue, accompagnée de mon garde du corps et d’Antoinette qui lui fait son rapports d’incidents entre voisins et incivilités qui ont eu lieues durant son absence. Il l’écoute sans dire un mot. Moi, je trouve ces histoires futiles par rapport à l’aventure que nous venons de vivre.
Mes pieds retrouvent le Païen. Les tables sont déjà dressées. J’enlève mes bottes trop grandes avec soulagement.
— Fuck ! Ça fait du bien !
Martine apparaît et lâche un cri aigu accueillant en me voyant !
— Fanny ! Comment je suis trop contente de te revoir !
Elle me fait la bise, puis pose ses yeux sur le shérif.
— Où sont les autres ?
— lls ont pris une autre route. Jésus va bien.
Jacques arrive à son tour suivi de Marianne, Perrette et Lisette.
— Ah ! La Punaise ! Cornegidouille, que je suis content de te voir !
Il m’étreint contre lui.
— Shérif, un whisky ?
— Très volontiers.
Apollinaire s’assoit au comptoir. Je regarde quelques secondes ceux qui sont comme deux pères pour moi, puis me tourne vers mes recrues.
— Alors ? Ça s’est bien passé avec Jacques ?
— Très bien, dit Perrette. Et avec les clients aussi.
— Ça cancane beaucoup que Jacques héberge deux jeunes filles, ajoute Marianne.
— Le gens ont besoin de cancans, ce n’est pas nouveau.
— Je suis infiniment contente que tu sois revenue.
Ses yeux brillent d’émotion et ses pommettes restent hautes de bonheur. Je m’étonne :
— Pourquoi ? C’est dur sans moi ?
— C’est pas… C’est juste qu’avec toi, je me sens plus… Je sais pas. Et je me dis qu’un grand spectacle nous attend.
— J’ai le cerveau un peu vide, mais on va y réfléchir.
— Les filles ont toutes les deux passé le jeu du fer à cheval.
— Alors ?
— Les clients sont restés distants, répond Perrette.
— C’est bien.
Je m’assois à une table et hèle Jacques :
— Tu m’en sers un aussi ?
— Je m’en occupe, indique Marianne.
Je souris à Lisette qui est un peu en retrait.
— C’est OK ?
— Monsieur Tardif est très gentil et protecteur.
— Asseyez-vous avec moi.
Marianne me remplit un petit verre à whisky. Je m’adosse confortablement et trempe les lèvres. Je me sens chez moi. L’odeur du Païen, celle du whisky, il ne manque plus qu’un air de piano.
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