Prologue : Anomalie
Kat se relève. Ses processus ont terminé leur initialisation et son corps semble intègre. L’appartement qui donne sur les falaises nord du canyon ne trahit aucune trace de l’incident. La moquette verte est impeccable et tous les meubles richement décorés sont encore à leur exacte place. Par automatisme, il se dirige vers la chambre de la luxueuse suite à la recherche de Mike. Mais l’enfant n’y est pas.
Le nevian resynchronise son horloge interne : elle a dévié de plus d’une demi-heure. Où est donc passé son protégé durant ce temps ? Kat se dirige vers la console de sécurité, traversant le magnifique salon de ses maîtres. Arrivé au pied du dispositif, il se connecte au réseau de la surveillance et recherche dans les journaux et enregistrements pour déterminer ce qu’il a raté pendant son inconscience.
« Effacés ?! », s’étonne le nevian à travers un réflexe de son logiciel de sociabilité. « Si les enregistrements de la sécurité ont été effacés et que Mike n’est pas là… » La conclusion se forme mécaniquement dans son esprit quasi-sentient : « Je dois avertir Georges ! ». Le père de Mickael ne sera certainement pas ravi, mais l’information est trop importante. Kat se connecte au réseau de la cité et appelle son propriétaire en urgence.
« Oui Kat ? » répond Georges avec un ton trahissant un certain stress. Serait-il déjà au courant ? Sans laisser de délais, le nevian répond sur un ton formel : « On a eu une brèche de sécurité. J’ai été désactivé trente-sept minutes et Mike est introuvable. Je pense qu’il a été enlevé.
– Je, hésite le père. Je vais m’en charger. Écoute, reste à l’appartement et… Je vais arranger ça, inutile de t’affoler. On se voit ce soir.
– D’accord. À ce soir ! », confirme Kat en mettant fin à la connexion.
De toute évidence, monsieur Norway est déjà au courant, il aurait demandé des détails sinon. Et il n’a pas prévenu la sécurité, vu qu’aucun agent n’est à l’appartement. Le piratage de la surveillance est étrange : avec le délai de maintenant trente-huit minutes, une patrouille des forces de sécurité aurait déjà dû venir.
Contemplant la grande cité de Marineris à travers le vitrage de la suite, Kat détermine ses prochaines actions. Son reflet expose son enveloppe : un renard anthropomorphe roux, une peluche de même pas un mètre de haut. À travers son reflet, son regard s’attarde sur les tours d’or et de saphir, typiques de l’architecture martienne. Au-delà de l’effondrement qui constitue le bord nord du canyon, un vaisseau effectue son approche les réacteurs à pleine puissance. En dehors de cet événement commun, le reste de la cité semble impassible. Ce n’est que la surface de la véritable fourmilière qui grouille dans les entrailles des sections de maintenance, hors du regard. C’est une armée de plusieurs millions de robots qui patrouillent, nettoient, réparent, construisent et font vivre la colonie. Et derrière, une seule IA coordonne le tout.
Pour qu’il y ait un tel dysfonctionnement, cette IA centrale doit probablement avoir été corrompue, ou bien quelque chose isole l’appartement de son réseau. Le nevian se connecte et tente de remonter la ligne. Son logiciel de sociabilité exprime un cri d’étonnement : normalement on ne peut pas accéder à l’IA centrale d’une colonie, mais quelqu’un a placé une porte dérobée qui l’expose frontalement au réseau public. Désormais, deux choses semblent probables : d’une, l’IA a été corrompue pour ignorer l’assaut sur l’appartement ; de deux, la sécurité ignore le problème ce qui la place parmi les complices de l’enlèvement.
À travers le réseau, Kat examine la porte dérobée. Après quelques recherches, le nevian découvre que le matériel supportant l’ouverture malicieuse est bel et bien physique. Quelqu’un a placé un émetteur de liaison sur le réseau interne de l’IA. À ce niveau c’est toute la cité qui est impactée et la probabilité de retrouver Mike se réduit.
Kat assemble les morceaux d’information. Sa priorité numéro une est de retrouver Mike et d’assurer sa sécurité. Ses moyens sont limités : Monsieur Norway est sous la contrainte, les forces de sécurités suspectes, l’IA corrompue. Kat effectue une recherche sur la base de données des nevians : rien de bien utile en dehors d’une note sur l’entretient des IA noyaux laissé par une certaine Ney-27.
Ne se dégonflant pas, Kat sort de l’appartement et se dirige vers le dôme Johnwen, celui des administrations. Dehors, si tant est que l’intérieur des dômes puisse être considéré comme « dehors », l’activité de la ville est plus visible. De nombreux citoyens occupent les bancs et les terrasses, tandis qu’une vingtaine de robots jardiniers aériens taillent et entretiennent les arbres et les massifs qui occupent une grande partie de l’espace entre les imposants bâtiments.
Passant une unité robotisée de la sécurité, Kat traverse la liaison piétonne menant au dôme Johnwen. L’avantage d’habiter dans les anciens logements diplomatiques, c’est qu’ils sont situés près des administrations centrales de la cité. De l’autre côté du passage couvert, une autre patrouille regarde le nevian passer.
Sans se presser, Kat s’approche de la source de la faille de sécurité. Il s’agit d’un relais installé au niveau du calculateur principal de l’IA. Pour y accéder, la peluche se glisse dans le sas d’accès à la section de maintenance, chargeant ses logiciels de guerre électronique standard. À sa surprise les systèmes de sécurité ne s’enclenchent pas : quelqu’un a désactivé toute la sécurité autour de l’IA. Son logiciel de sociabilité traduit l’événement en une sorte de soulagement : affronter frontalement la sécurité de la colonie n’était pas envisageable.
Voici donc le fameux noyau de la colonie : une colonne de diamant dans laquelle une centaine de plateaux de circuits électroniques spiralent et forment des motifs géométriques envoûtants. Sans attendre, Kat recherche l’émetteur correspondant à la porte dérobée. Il ne lui faut pas bien longtemps : l’engin est branché directement sur l’un des ports du noyau central. Kat le débranche soigneusement avant de se connecter sur le calculateur.
C’est une IA mutilée et patchée hâtivement que découvre l’assistant domestique. La plupart des signaux arrivent dans des zones mortes : une partie du noyau a été débranchée et supprimée. En l’état, l’IA de la cité est aveugle et pratiquement incapable d’agir sans ordre direct. Et avec l’émetteur en moins, ces ordres directs ont simplement cessé.
« Bien, on va devoir réparer ça. », annonce la couche sociale de Kat avec un regain d’énergie. Suivant les instructions issues de la sagesse de la nevianDB, il commence par copier son propre noyau, la partie générique de sa propre IA, et remplace celui, défaillant, de la cité. Ce ne sera plus un modèle Synchro, mais un noyau Wolfa devrait faire l’affaire… Le noyau réparé, Kat reconnecte l’exomémoire et les signaux provenant de la cité au nouveau noyau. Vient alors le temps de relancer l’IA. Kat croise les doigts comme indiqué dans la notice virtuelle. À la surface, les premiers bogues doivent commencer à se manifester.
« Initialisation terminée. Bienvenue Nevian. », affiche le terminal virtuel à côté du réparateur d’IA improvisé. En quelques secondes, le noyau est totalement chargé et commence à effectuer ses premières analyses. Les données de l’exomémoire affluent et la nouvelle IA reprend les tâches de la précédente, là où elles avaient été arrêtées. Rapidement elle s’aperçoit de la présence de Kat : « Individu non reconnu, demande d’identification, demande-t-elle à travers le réseau.
– Je suis Kat, répond-il.
– Raison de la présence en zone interdite requise.
– Quelqu’un a enlevé Mike et a essayé de vous détourner de votre fonction. J’ai dû vous réparer moi-même ! », explique en grande hâte la peluche alors que plusieurs signaux sont émis vers les systèmes de défense.
L’intelligence artificielle effectue de nombreuses analyses et Kat se rend compte qu’elle ne l’a toujours pas éjecté du réseau. Plusieurs enregistrements de sécurité circulent accompagnés de tant de données issues de la cité que le nevian ne peut les suivre malgré son cerveau hyper-hybride. L’IA s’adresse à nouveau à lui : « Services de sécurité compromis. Préparation de contre-mesures en cours. Recrutement d’une équipe pour retrouver Mickael « Mike » Norway.
– Vous allez vraiment m’aider ?
– Priorité : assurer la sécurité des habitants. »
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