Suivre la voie
Les règles avaient immédiatement changé. Etant donné le bruit soudain et les coups de fusil entendus, nous étions certains que cela n’était aucunement pacifique. Nous devions aller vite, et cela aurait impliqué des sacrifices.
— Zerald, Jean-Lin. Prenez les fusils et fuyez, je vous couvre et vous suis, gueulai-je.
Je pris mon fusil d’assault. Nous l’avions trouvé dans une ancienne base militaire non loin où rien n’avait été laissé, sauf ce vieux FAMAS qui ne fonctionnait plus... Nous avions forgé les balles. Je mettais des gants pour réduire les dégâts. Un bruit si fort dégradait un assez grand périmètre. Malgré le silencieux.
— Perrine, ramène-toi, cria mon fils Zerald.
Perrine se retourna et lui fit des signes qu’il ne vit pas. Elle était muette. Elle avait appris trop tard la nouvelle, et déjà trop parlé. Elle lui courra après pour avoir une réponse.
— Elle dit qu’elle ne veut pas partir sans son chien, traduisis-je.
— Ok, allons-y, s’enquit Zerald.
— Non, nous n’avons plus le...
J’avais comme une sensation d’étouffement. Je m’effondrai.
— Mathilde, bordel, reprends-toi ! On n’a plus le temps, me gueula Jean-Lin l’air goguenard.
Perrine se résigna, choquée. Jean-Lin échangea nos armes. Il nous couvrait. Nous entendions toujours Rabbi Jacob en action. Il couvrait les sons que nous pourrions produire. Nous espérions que tout se passait bien pour nos compagnons de camp : chacun devait s’en allait à un endroit différent. Nos chemins se séparaient. Après plus de vingt ans de vie commune pour certains. Comme ça. Sans un au revoir. Deux gars en moto nous surprirent. J’étais la seule à l’avoir remarquée. Je devais faire vite. Ce fut le moment. Celui où je rassemblai toutes mes forces. Il arriva cette chose. Qui me terrifia.
— HIIIIIIN OOOOH !
Ce bruit, à mi-chemin entre le singe et l’ours. Il venait de moi. Je me figeai une demie-seconde. Jean-Lin se retourna d’un coup. Il passa immédiatement à l’action. Comme si je lui avais commandé ce tir. Il toucha immédiatement les deux gars sur leurs moto-cross, qui s’écroulèrent. La thèse de Jean-Lin s’avérait donc juste et se confirmait : l’Homme possédait encore un cri d’instinct, une communication secondaire, d’urgence. Ou alors c’était un échappatoire autorisé par le shutuper. Et avec du recul, cela se confirmait, l’être humain avait connu d’autres situations d’urgence, un muet avait assurément eut besoin de parler dans une telle situation.
Quoi qu’il en fut, nous fuyions à grandes enjambées.
Nous avions déjà pensé à une retraite d’urgence. Un pick-up nous attendait à l’arrière du camp, dissimulé dans une clairière. Chaque famille avait l’obligation de prendre ses précautions en cas d’urgence. Nous partions donc, en ayant pour idée de ne jamais revenir, en direction d’un des autres camps de notre réseau. Le camp que nous devions rejoindre se trouvait autour d’Issoudun, dans la région appelée Berry dans l’ancien temps. Environ cent-trente kilomètres nous séparer de là-bas. Le périple fut difficile. Nous étions donc quatre. Ils étaient jeunes : seize ans tout juste pour Perrine, dix-sept pour Zerald. Elle me regardait, avec respect et aussi curiosité. Elle, qui n'avait pu émettre un son depuis des mois, me voyait hurler de façon impressionnante seulement quelques secondes après avoir perdu la voix. Peut-être vivions-nous encore dans un trop grand confort ?
Plus que dix kilomètres nous séparait du camp d'arrivée, nous n'avions croisé personne sur la route, les échanges routiers étaient devenus. Mais les pèlerins curieux étaient nombreux. Ils venaient en bord de route, comme pour admirer les derniers pas d'une civilisation qui s'éteignait sous nos yeux.
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