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Et Patrick se retourna vers moi pour exprimer sa plainte :
– Pourquoi m’as-tu mis dans cette situation ? Tu ne peux quand même pas dire que c’est moi qui ai créé ma destinée, pas celle-là, enfin !
Ce à quoi je répondis : « Ecoute monsieur Blanc – et bien oui, dans la langue allemande, Weiss signifie « Blanc » – tu devais traverser cette situation pour mieux comprendre ce que tu dois abandonner. Les apparences sont trompeuses – tu ne l’ignores pas, vu ta position dans le monde – et il t’appartient maintenant d’accepter de retourner à l’essentiel. J’ai essayé de communiquer avec vous à travers la musique, mais combien êtes-vous à saisir ce langage universel ? »
– C’est une véritable décadence si l’auteur peut s’immiscer dans notre histoire ! Et, de surcroît, pendant le déroulement du récit !
« Et bien rebelle-toi Patrick, je t’ai donné toutes les billes. Tiens, cadeau, je viens de cliquer Solitude de Ryuichi Sakamoto sur Youtube. Ça va nous relaxer. »
– Arrête ! Si tu crois m’attendrir, tu m’as mis dans une position impossible : avec une manipulatrice qui n’a pas froid aux yeux et un tueur prêt à tout ! Mon mariage va être bousillé à cause de tes conneries ! La fête va être foutue et ma mère – Kristin – ne s’en remettra pas ! Ce n’est pas à la décadence que tu nous livres, c’est à la dépression, à la destruction de nos bases, de nos valeurs et de nos rêves… si je ne me retenais pas je te traiterais de criminel !
« Et bien, tu craques, voilà tout… Accepte-le. C’est ce qu’on appelle décadence, justement ! »
– Et tu vas nous faire l’affront de décrire cette apocalypse horrible où Eléonore me fustigera quand elle apprendra ma relation avec Nicole ? Ça t’amuse de tout foutre en l’air ? Et mes filles, comment pourrais-je leur expliquer ?
« Simplement, tu peux dire les choses simplement ! ».
– Et en plus tu fais le cynique ! Ça se voit que tu n’es pas à ma place ! Nom d’un chien, j’ai la peau du visage qui me brûle…
« Excuse-moi, mais bon… ça aurait pu être pire ! »
– Et cette idée de partition qui dissimule des noms à travers un code, vraiment, c’est à se demander où tu vas chercher tout ça, et pourquoi tu as besoin de ce genre d’exercice pour vivre ! En plus, on ne sait même pas qui va décoder les codes, c’est vraiment délirant ton intrigue !
« Je pourrais te dire qui connait le code du décryptage mais ça ne t’avancerait pas à grand-chose. A mon avis tu as d’autres chats à fouetter. Occupe-toi de Nicole, rassure-la pour qu’elle te laisse tranquille, par exemple. »
– Ah parce que non content de me foutre dans des situations périlleuses où je risque ma vie, tu me préconises ce que j’ai à faire ! Tu n’es pas gonflé toi, alors !
« Bon, écoute, je ne suis qu’un auteur parmi tant d’autres. Je fais ce que je peux avec ce que j’ai. Mais je te le redis : tu es le seul à vivre ce que tu as à vivre, personne ne peut vivre à ta place ce que tu as à vivre. »
– Ouais, tu sais, ça, ça s’appelle une tautologie. Et ce n’est pas une histoire de Toto !
« Eh bien tu vois, tu as les capacités de t’en sortir… Je vais te confier quelque chose : je t’apprécie beaucoup Patrick et même si tu juges que ce passage est catastrophique, sache que c’est l’ensemble de ton monde qui se retrouve au même niveau de désarroi. Pendant tellement d'années où l'on n'a pas voulu faire face à la réalité, aujourd'hui nous sommes contraints de prendre nos responsabilités. C’est l’occasion de mettre en œuvre toutes tes ressources personnelles, tes expériences, tes aspirations spirituelles, pour aborder le changement avec quiétude… »
– Non mais là tu te fous carrément de ma gueule ! Luxe, calme et volupté aussi, pendant que tu y es ! Mais ça va pas la tête, tu devrais aller te coucher parce qu’à force de ne pas dormir tu dégoupilles complet !
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