Le Commandeur Suprême colle son visage contre celui du scientifique et l'observe par en-dessous d'un air menaçant. Kim-Soon regarde droit devant, sans ciller, prêt à entendre la sentence irrévocable, quand soudain le Commandeur Suprême laisse éclater un rire tonitruant accompagné de postillons aux relents d’ail. Kim Soon se raidit, puis rit à son tour en se tenant les côtes de manière exagérée, tout comme le reste de l’assemblée : si les rires du Maître présagent de funestes tempêtes, il serait criminel de ne pas partager avec lui cette manifestation de joie divine.

Malheureusement, la bonne humeur qui emplit le laboratoire est de courte durée. Déjà, le visage du Commandeur Suprême se ferme, ses petits yeux se plissent, un rictus se dessine sur ses lèvres. Le silence retombe. Un silence de tombeau.

Kim Soon se redresse, le nain bondit sur ses pieds comme s’il était monté sur ressorts, les généraux se mettent au garde-à-vous en claquant leurs bottes. La fille aux plumes d’autruche reprend son lent mouvement pour rafraîchir le Commandeur. Les musiciens saisissent leurs instruments. La chanteuse se racle discrètement la gorge, prête à entonner un hymne à la gloire du Maître.

Le Commandeur Suprême pose la main sur l’épaule de Kim Soon.

« N’aie crainte, mon ami, je ne vais pas te condamner à mort. » énonce-t-il.

Le scientifique demeure impassible. Malgré leur apparence rassurante, les mots du Commandeur n’apprennent rien sur ses véritables intentions. La mort peut se révéler plus douce que la torture, par exemple. Le Commandeur dispose des bourreaux les plus inventifs de la planète, en la matière. Kim Soon attend la suite, imperturbable.

« Je ne vais pas te condamner à mort. Du moins, pas aujourd’hui !... En réalité, je suis venu ici te dire d’arrêter tes recherches sur les armes biologiques. » ricane le Divin Guide.

Un "oh" de stupéfaction anime le visage de Kim Soon, des dizaines d'objections lui arrivent à l'esprit, mais il se ressaisit aussitôt. Il vaut mieux garder le silence maintenant plutôt que d'y être condamné à tout jamais.

Le Commandeur désigne le matériel du scientifique d’un geste ample du bras.

« C’est dépassé, les armes chimiques. Tous les pays en fabriquent. Non, il nous faut autre chose. Il nous faut une arme grandiose, à la hauteur de notre Patrie ! A la hauteur de mon père Kim Premier ! A la hauteur de votre Guide Immuable, Moi ! »

Une salve d’applaudissements retentit dans la salle. Le Guide Immuable savoure en fermant les yeux et poursuit.

« Ce matin en me levant, j’ai eu une idée. Lumineuse, comme toujours, car je suis la Lumière qui éclaire votre chemin ! Mon bon Kim-Soon, tu vas me concevoir… »

La Lumière qui éclaire le chemin écarte les bras de son corps, crispe les doigts, roule des épaules, fait une grimace effrayante (et qui serait ridicule s'il ne s'était agi du Commandeur Suprême) et prend une voix caverneuse.

« Un monstre géant invincible ! Plus cruel que Godzilla, le pitoyable lézard japonais ! Plus fort que King Kong, le minable macaque américain ! Montrons au monde que notre pays est le plus grand ! »

Les applaudissements reprennent de plus belle.

« Tu as deux semaines ! Sinon, couic. » conclut le Commandeur Suprême, le sourire aux lèvres, en mimant avec son pouce un geste d’égorgement.

Puis il se retourne et se dirige vers la porte, suivi de sa petite troupe, soulagée de s’en être tirée à bon compte et d’avoir tenu un jour de plus.

Une fois le Commandeur parti, le nain sort de son coin, fait un clin d’oeil à Kim-Soon, lève le pouce, enroule le tapis et quitte la pièce, en laissant le scientifique seul.

Kim Soon s’éponge le front, s’effondre sur son siège à roulettes et recule de quelques mètres, manquant de heurter un pilier.

Dans le lointain, le bruit étouffé d’un éternuement résonne et parvient jusqu’à lui.