CHAPITRE 11

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Lorsque Kim Soon ouvre les yeux, une désagréable odeur d’essence lui monte au nez. Il sent sa tête tourner, réprime un vomissement et se ressaisit. Ses mains sont entravées, tout comme celles de son voisin, le général, assis le menton contre la poitrine, les yeux clos, le visage tuméfié.

La pièce, exiguë, n’offre pour toute ouverture qu’un hublot au milieu duquel un rond bleu strié de blanc se dessine. Bruits de moteur, mouvement désagréable de roulis, parfum d’iode et de fioul mêlés : aucun doute, ils se trouvent en pleine mer.

  • Général, général, réveillez-vous ! ordonne Kim Soon.

Le général relève la tête lentement, se tourne vers le scientifique et le toise de ses yeux violacés et gonflés. Kim Soon esquisse une grimace de dégoût : le général fait peine à voir, avec sa figure cassée et sa moitié de moustache roussie.

  • Où allons nous ? Que fait-on ici ? Que vous est-il arrivé ? demande-t-il.
  • Je… sais pas… Ils m’ont frappé… On est prisonniers, répond le général en grimaçant à chaque mouvement de ses lèvres éclatées.
  • De qui ?
  • Je crois que… ce sont… des Américains.

Au même moment, la porte de fer s’ouvre sur un homme en uniforme, au visage carré, aux cheveux coupés à la brosse. Il place ses pouces sous la ceinture du pantalon, bombe le torse.

  • Ah ! Vous êtes enfin réveillés ! Maintenant, il va falloir parler ! lance-t-il d’une voix autoritaire tout en mâchant un chewing gum.
  • Je.. veux… mourir, réplique péniblement le général.

Le militaire fait mine d’ignorer la supplique et poursuit.

  • Bon, vous allez tout me raconter sur cette foutue bestiole que vous avez lâchée dans la foutue nature et qui est en train de couler nos foutus cuirassés !
  • Plutôt crever ! insiste le général.
  • C’est bon, j’ai compris, vous voulez mourir, pas besoin de le répéter dix fois!
  • Oui… Tuez-moi… répond le général, dans un râle.
  • Alors, dans ce cas, si vous ne dites rien, nous ne vous tuerons pas ! Et si vous nous dites tout, nous exaucerons votre voeu ! Ah ah !

Kim Soon, fatigué par cette discussion sans queue ni tête, vole au secours du général.

  • Il veut mourir pour obtenir une bonne place au sein de la Nouvelle République Populaire que le Commandeur Suprême dirige dans l’au-delà.
  • Ah oui, ce gusse-là… Triste fin, on l’a retrouvé coupé en deux. Un foutu monstre est mort, mais un autre est maintenant en liberté ! réplique le militaire, d’un air pensif. Et vous, vous voulez mourir aussi ?
  • Ah, non, moi je n’ai pas envie de mourir. Je vais tout vous révéler.
  • Très bien ! répond le militaire, surpris de cette réponse si positive.
  • Mais… ajoute Kim Soon.
  • Mais quoi, encore, vous croyez que vous êtes en position de négocier ? se fâche le gradé.
  • Mais d’abord, dites-moi où sont les autres.
  • Quels autres ?
  • Ceux qui étaient avec nous au laboratoire.
  • Ah, les foutus musiciens et la fille aux foutues plumes ? Je les ai renvoyés chez eux, ils ont dit que c’était vous le foutu cerveau, je n’avais pas besoin d’eux. Bon, alors, ce monstre, c’est votre faute ?

Kim Soon regarde le militaire droit dans les yeux et prend une longue inspiration. Depuis tout petit, il a obéi au plus fort, à celui qui disposait de l’autorité. Au père, d’abord, dont les mains étaient aussi larges que des battoirs. Au maître d’école, ensuite, avec sa règle en fer et son goût prononcé pour l’humiliation. Puis, une fois adulte, à sa femme et à sa fille caractérielle. Et bien sûr, au Commandeur Suprême. Il n’est donc pas étonnant que maintenant il se soumette à l’homme qui le retient prisonnier. Que son geôlier soit américain ne change rien à l’affaire. Le moulin qui n’obéit pas au meunier doit bien obéir au vent, se plaît-il à penser. On ne peut pas vivre sans se soumettre à une force supérieure, alors autant ne pas se compliquer la vie et obéir à la première personne qui vous donne des ordres. Coopératif, il énonce :

  • Le Commandeur Suprême m’avait demandé de créer un monstre invincible et...
  • Tai...taisez… vous, je vous l’ord...onne ! interrompt le général, dans un sursaut d’énergie.

Kim Soon, tiraillé entre deux ordres contradictoires, sent son ventre se nouer. A qui obéir ? Lequel des deux gradés est le plus légitime à donner des ordres ? Son regard passe de l’un à l’autre, indécis, perdu comme un enfant incapable de choisir entre sa mère et son père.

Lorsque l’Américain assomme le général d’un coup de crosse en pleine tempe, le problème se résout de lui-même. La raison du plus fort est toujours la meilleure, la raison du plus vivant aussi.

Kim Soon, soulagé de ne plus avoir à choisir, reprend :

  • J’ai travaillé sur ce projet secret et le fourmipoulpe a vu le jour à la suite d’un très long travail de recherches. Il s’agit d’une chimère mi-fourmi, mi-poulpe, une arme redoutable capable d’évoluer dans tous les milieux. Aussitôt qu’elle a vu le jour, ma créature a malheureusement tué le Commandeur Suprême et s’est enfuie, j’ignore ce qu’elle est devenue depuis et j’aimerais bien l’étudier plus avant.

Le militaire mâche nerveusement, crache son chewing gum par terre et se laisse emporter par la colère.

  • Je crois que vous n’avez pas compris le foutu problème ! Votre fourmipoulpe, comme vous l’appelez, il s’attaque à nos navires de guerre ! Nous ne parvenons pas à l’arrêter, il évite nos foutus missiles et se déplace très vite. Nos satellites espions ont bien localisé le foutu laboratoire dont il est sorti, c’est d’ailleurs comme ça qu’on vous a retrouvé, vous, l’autre suicidaire et votre Commandeur Suprême à la noix coupé en morceaux, mais depuis, votre foutu monstre est impossible à localiser. Et quand on le localise, il est trop tard. Il y a vingt minutes, il a envoyé le Freedom Fighter par le fond sans que les radars aient pu le déceler !
  • Normal, il est mimétique.
  • Ah parce qu’en plus d’être poulpe et fourmi, c’est aussi une “tique” ?
  • Non, il est mimétique, il se fond dans son environnement, il se camoufle, il est furtif.
  • Alors, quel est son point faible ?
  • Il n’en a pas.
  • On ne peut pas le tuer ?
  • Non, il est invincible.

Devant l’air renfrogné du militaire, Kim Soon comprend le danger qu’il encourt à n’offrir que des réponses négatives. Alors, il s’entend répondre une phrase qu’il regrette aussitôt :

  • Je crois que j’ai une idée !
  • Alors, il va falloir que ce soit une foutue bonne idée, parce que vous nous avez foutus dans un beau merdier !

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