Chapitre 11

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   L’estomac noué j’avance métaphoriquement à reculons vers la façade du cabinet. J’ai réfléchi toute la nuit à chercher une excuse valable pour ne pas venir, sans grand succès. Je me sens prise au piège. J’ai passé la journée d’hier à essayer de trouver une solution en vain. La chose dont je suis sûre, je ne peux me permettre de perdre ce travail.

J’ai décidé d’aller parler à Roger seule ce matin ; si la situation ne s’arrange pas entre nous, j’irai voir Andréa pour lui expliquer les agissements de Roger, quitte à ce qu’il soit licencié. En tout cas, je compte lui faire comprendre que désormais il n’y aura entre nous que le strict minimum de courtoisie.

Tant que je ne suis pas certaine de trouver un nouvel emploi, je dois rester travailler avec lui. J’ai besoin de cette expérience si je souhaite qu’un autre cabinet d’Audit m’engage, je dois tenir un an seulement une petite année avant que je puisse démissionner.

La bouche sèche, je me retrouve devant la porte, canalisant mon anxiété. Je refuse d’avoir la voix tremblante en face de Roger, je dois me calmer. Je respire lentement avant de la franchir. Ethel comme à son habitude pianote avec ses ongles manucurés sur les touches de son clavier sans pour autant les regarder. Le bruit résonne dans toute la pièce. Ayant entendu le bip, elle relève la tête avec son visage fermé jusqu’au moment qu’elle s’aperçoit que c’est moi.

— Salut, comment ton week-end s’est-il passé ? me demande-t-elle le sourire aux lèvres en même temps que le téléphone sonne.

— Est-ce que Roger est arrivé ?

— Il vient de monter à l’instant, par contre Andréa sera en retard, me lance-t-elle en mettant en attente l’interlocuteur.

Je profite du fait qu’Andréa n’est pas arrivé pour aller le voir directement. Je passe dans mon bureau pour poser mes affaires, c’est angoissée que j’avance vers la porte close en face de moi. Je tente de prendre sur moi et rentre.

Roger est là, les yeux rivés sur son écran. Il est comme à son habitude, impeccable. Seuls son poignet et son pouce maintenu par une attelle dénotent sa chemise bleu azur. Je me retiens de sourire sachant que c’est moi qui lui ai fait ça, c’est avec un peu plus de confiance que je m’approche. C’est à peine s’il relève les yeux pour me regarder.

— Qu’est-ce que je peux faire pour toi ? articule-t-il froidement en se concentrant sur ses dossiers.

— Je voulais qu’on parle de ce qui est arrivé vendredi soir.

Il ne sourcille pas et continue sa tâche comme si je n’étais pas là. Je suis obligée de me racler la gorgée pour attirer un tant soit peu son attention.

— Il s’est passé quoi vendredi soir ?

Irritée par son attitude, j’avance vers lui et frappe la paume de mes mains sur son bureau aussi fort que possible. Quelques gouttes de son café encore fumant s’échappent de sa tasse.

— Tu le sais très bien !

Agacé, il lève enfin la tête vers moi et croise ses bras tout en me toisant. Je ne me démonte pas et le regarde droit dans les yeux. Je ne veux pas lui faire ce plaisir, s’il pense qu’il a un supposé pouvoir sur moi il rêve.

— Je ne vois pas de quoi tu parles.

Je tombe des nues devant son manque cruel de considération envers moi. Je savais que c’était une personne qui se croyait tout permis, mais j’étais loin d’imaginer qu’il fera comme si rien ne s’était passé. Peut-être qu’il pense qu’on va tout oublier et revenir comme avant, mais il en est hors de question. J’espère qu’il a horriblement mal à son pouce, au moins cela a dû lui faire comprendre qu’il n’a pas intérêt à m’approcher de nouveau.

— Maintenant si tu as fini il y a le dossier Pyrss qui t’attend, clôt-il notre conversation en ce remettant dans ses papiers.

Perturbée par cette discussion qui n’en était pas vraiment une, je retourne dans mon bureau. Il va me falloir la semaine pour réaliser les documents qu’il m’a transmis. Je ne vais pas avoir besoin de lui parler souvent. Je passe le reste de la matinée focalisée sur les chiffres de Pyrss. Tellement absorbée par mon travail, je ne prends pas la peine d’aller déjeuner. Je préfère ne rien avaler plutôt que de manger en face de Roger.

À peine, l’horloge accrochée sur le mur indique dix-huit heures que j’éteins mon ordinateur et range les documents. Je ne compte pas m’attarder plus qu’il le faut, plus je serai éloignée de Roger et mieux je me sentirais. J’attrape mes affaires et sors du cabinet en prenant soin de l’éviter minutieusement. J’avance jusqu’au bus avec nonchalance et me rappelle que je dois aller faire les courses. Si je pouvais faire autrement, je rentrerais directement chez moi.

Sans enthousiasme, je descends à mon arrêt pour diriger vers l’hypermarché qui se trouve à côté de mon immeuble. Je prends simplement un panier et commence à faire les différentes allées du magasin. Ne voulant pas trop dépenser j’achète le minimum, des bouteilles d’eau, quelques légumes et fruit ainsi qu’un peu de viande. Cela devrait me suffire pour la semaine. Je pars payer mes courses lorsque je remarque une tête brune que je reconnais aussitôt à l’autre caisse. Je récupère les produits avant d’aller voir Maisy et Faith qui rangent les courses dans les sacs.

— Salut petite bouille, prononçais-je en m’approchant d’elle.

— Camélia !

Immédiatement, elle se retourne vers moi, ses yeux clairs s’ouvrent en grand en réalisant que c’est moi. Sans attendre elle saute dans bras, surprise je manque de faire tomber mes achats sur le sol. Attirant l’attention de Faith elle se tourne en fronçant les sourcils jusqu’à ce qu’elle comprenne que c’est moi.

— Doucement, tu vas lui faire mal, la réprimande-t-elle le sourire aux lèvres.

— Désoler, minaude Maisy en agrippant un petit cabas à peine rempli.

Remarquant le nombre de sacs que Faith tente de prendre, je m’empresse de l’aider. Il est hors de question que je la laisse toute porter, d’autant plus que pour retourner à l’immeuble il y a une côte.

— Merci, je ne me suis pas rendu compte de tout ce qu’il y avait autant dans mon panier, je ne savais pas comment j’allais faire, rit-elle en sortant du magasin.

— C’est normal, vous avez était si attentionné avec moi depuis le début. Vous êtes la personne la plus généreuse et sympathique que j’ai rencontrée dans cette ville.

— Vous dites surement cela pour être aimable, mais c’est gentil de votre part. Surtout que je suis persuadé qu’une femme aussi agréable que vous s’est déjà fait plein d’amis.

— Apparemment, je ne suis peut-être pas si agréable que ça, me lamentais-je.

Remarquant le regard désoler de Faith sur moi, je souris, gênée par ma confidence que je viens de faire. Alors qu’elle allez rajouter quelque chose Maisy la devance.

— Tu as vu, j’ai un sac comme toi ! s’écrit-elle toute fière en me montrant le cabas.

— Mais tu es super forte !

— Oui comme un ours, me répond-elle en tentant d’imiter l’animal.

Je me retiens de rire à la vue de ses bras replier, ses joues gonflées et ses sourcils froncés. Quelqu’une de ses mèches brunes étant tombée devant ses yeux, elle essaie de les enlever en soufflant dessus, mais chaque fois elles reviennent à leurs places initiales.

— Je dirai plutôt un ourson, se moque gentiment Faith.

— Mais un adorable ourson, répond aussitôt Maisy en la lâchant pour ouvrir la porte du hall de l’immeuble.

Toute joyeuse, la bouille d’ange monte les marches en chantonnant une mélodie incompréhensive. Arrivée sur le palier, elle se met à danse d’un pied à l’autre jusqu’au bout du couloir. Ses cheveux virevoltent en même temps que sa petite tête se secoue. Amusée, je suis Faith à l’intérieur de son appartement où Maisy m’attrape la main pour m’entrainer dans la cuisine. Je pose les sacs sur le comptoir comme Maisy et aide Faith avec les siens restants.

— Merci encore pour les courses, je ne sais pas comment j’aurai fait sans vous, pour vous remercier je vous invite à diner.

— Oui, s’il te plait viens manger avec nous, papa va bientôt arriver, insiste Maisy en s’accrochant à moi.

Ma journée était assez compliquée, je n’ai pas la force pour passer la soirée en compagnie de Kieran. J’ai envie de rentrer pour prendre une douche et aller me coucher.

— C’est gentil, mais je vais devoir décliner, je suis fatigué, je vais simplement avaler quelque chose et me mettre au lit.

— Mais pourquoi ?

Devant les yeux tristes de Maisy je me sens coupable, je m’agenouille pour être à sa hauteur et viens remettre une de ses mèches derrière son oreille.

— Je suis désolée ma puce, promit la prochaine fois je resterai.

— Demain, tu viens.

Ne comprenant pas de quoi elle parle, je fronce les sourcils et lance un regard à Faith qui sourit dans son coin.

— Qu’est-ce qu’il a demain ?

— C’est mon anniversaire et papa m’organise une fête rien que pour moi ! S’écrit-elle toute exciter en frappant ses mains ensembles.

— Je ne suis pas sûr que ton père m’ait invité, mais j’essaierai de rentrer tôt du travail pour te voir.

— Mais il m’a dit que je pouvais t’inviter, se plaint-elle boudeuse en croisant ses bras sur son ventre.

— Tu es sûre, lui demandais-je peu convaincue.

— Tu ne peux pas dire non, en plus le lendemain je suis obligé de retourner chez papi et mamie.

Voyant ses petits yeux se remplir d’eau je ne peux faire autrement que de céder, même si cela signifie aller chez Kieran.

— Puisque je n’ai pas le choix, je viens.

— Tu es la meilleure.

Elle saute dans mes bras me fessant presque tomber à la renverse. J’arrive à positionner ma main en arrière pour me retenir. Elle finit par me relâcher en entendant mon portable sonner dans ma poche. Je me relève et sors le téléphone pour voir que c’est ma mère qui m’appelle.

— Je dois partir, c’est mes parents, m’excusais-je en remettant la bandoulière de sac sur mon épaule.

— Bien sûr, je ne te retiens pas plus, avant que je n’oublie mon petit-fils vient nous chercher pour dix-neuf heures trente.

— À demain soir Camélia, me salue Maisy en fessant un grand sourire.

— À demain petite bouille.

Je lui fais un geste de la main et quitte l’appartement en composant le numéro de ma mère. J’entre la clé dans la serrure en même temps que j’appuie sur la touche appeler, elle décroche au même instant que je passe le pas de ma porte.

— Bonjour, ma chérie ! comment ta journée s’est-elle passée ?

Maintenant, je suis sûre que Cloé n’a rien raconté à propos de vendredi soir. Je me sens soulagée, je connais mes parents ils auraient voulu porter plainte contre lui. Cela n’aurait fait qu’empirer les choses et ma réputation dans les cabinets d’Audit aurait été ternie. J’imagine déjà les gros titres, une assistante porte plain contre son supérieur après lui avoir déboité le doigt. Celle de ma mère et mon père n’auraient pas été épargnés, je ne peux pas leur faire ça. Pas après tout ce qu’ils m’ont donné !

— Je n’ai pas vu la journée passer.

— C’est que ton travail te plait.

— Tu as des nouvelles de Papa, la questionnais en changeant de sujet sans que ma mère le remarque.

— Il rentre exceptionnellement ce week-end, je t’appelle pour te demander si tu souhaites manger avec nous samedi soir.

— Évidemment je viens.

Voir mon père ne peut que remonter mon moral, c’est mon pilier dans la vie. C’est ce dont j’ai le plus besoin en ce moment. Le seul problème est qu’il me connait par cœur, je vais devoir faire de mon mieux pour montrer que tout va bien. Mentir droit dans les yeux, c’est ce qui va être le plus dur.

— On ira à son restaurant préféré, il sera si heureux de voir ses filles chéries ensemble.

— Tu veux que je vienne à quelle heure ?

— Rejoint nous chez Como mamá, tu lui feras la surprise, il est si fier de toi comme moi.

Ma mère me dit cela pour me faire plaisir, mais je ressens l’inverse. J’ai l’impression que ma cage thoracique se tord sur elle-même.

— Maman, je dois raccrocher, j’ai de l’eau sur le feu.

J’abrège la conversation souhaitant me retrouver seule.

— À samedi ma chérie.

Je me laisse tomber sur le canapé et fixe le plafond démoralisé. S’il savait ma réelle situation, je doute qu’il soit fier de moi, comment le pourrait-il.

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