Feu Céleste
Aube. Silence. Lueur. Naissance. Paix.
Le soleil éclaire les ténèbres de ses rayons ardents. Symbole de vie dans la mort, phare d’Alexandrie dans l’espace, il est une île luxuriante entre les flots meurtriers du vide. Rare, comme tout jardin d’Éden doit l’être, le soleil attire toutes les convoitises et éclaire l’œil fatigué du voyageur.
Le voyageur. Malgré sa résistance et à la chaleur de ce désert et à la froideur polaire de l’univers, il ne peut s’empêcher de zyeuter avidement vers ce paradis qui lui cligne de son œil ardent et jaune. Le soleil est la chaleur. Le soleil est la vie. Le voyageur veut la chaleur. Le voyageur veut la vie. Car tous ceux qui se lancent dans cette formidable épopée qu’est la conquête interstellaire veulent vivre. Veulent survivre. Même si les vastes Champs de l’Asphodèle sont la destination de la plupart d’entre eux, tous tentent de retarder cette date fatidique qu’est la mort. Ils sont tous des condamnés, avec des sursis différents. Et dans leur cellule, perdus, le regard vitreux, ils attendent patiemment leur rendez-vous avec les fantomatiques ailes de Thanatos. Telle est la dure loi de l’espace. La seule. Les autres sont des onirismes destinés à tromper les peuples béatement convaincus de cette utopie qu’on leur sert grassement sur un plateau. Et un beau jour, l’impartial Univers arrive, renverse le plateau, répandant fruits et nectars, et attrape les malheureux qui meurent alors indolemment en contemplant la cruelle vérité.
Ce Jugement Dernier semble être arrivé pour les pauvres navigateurs qui, après avoir enduré souffrances et tourments, débarquent dans le système comme on entre dans un moulin. On pourrait les penser idiots. Ils ne le sont pas. Voilà des ères entières que ces Nomades de l’espace trompent Hadès. Pas même les Furies, pourtant traqueuses réputées efficaces, n’ont réussies à les rattraper. Ils vont de système en système, débarrassés de toute attache avec le monde. Ils sautent les haies du temps et courent par delà l’espace. Ils sont des fantômes au milieu des ombres, et pendant un moment, même le Maître des Enfers crut qu’ils n’étaient plus. Ni vivants. Ni morts. Ailleurs. Dans un état intermédiaire. Mais aujourd’hui, les Nomades, enorgueillis par leur tour de passe-passe, osent exposer leur maligne face de lutin à la fureur de Pluton. Le couperet attends ces insolents.
Midi. Huée. Artifice. Vie. Chaos.
Assis autour de la table à festoyer, les Nomades facétieux ne remarquent pas le regard acérés que la Mort porte sur eux. Bientôt, murmure-t-elle. Bientôt, je vous prendrai.
Car les Nomades ne sont pas les seuls êtres à aimer la douce vitalité des étoiles. D’autres s’y approchent et y plantent leur tente. Puis attendent. Voilà des décennies qu’ils voient les Nomades s’approcher de leur propriété. Voilà des années que ces Sédentaires se préparent. Leur surprise est une petite bombe à retardement, solidement emballée dans un paquet-cadeau. Avec des bigoudis pour faire joli.
Tandis que les Nomades font leur magistrale apparition dans ce nouvel eldorado – parfaitement sécurisé, disent-ils en siestant languissamment – les Sédentaires lâchent leur paquet-surprise vers eux. Alors, en une éruption étincelante, un immense vaisseau arrive et déchaîne sur les Nomades les Éclairs de Zeus. Feus d’artifices, torpilles luminiques, le tout frappe la caravane blindée et apparemment inébranlable des voyageurs avec la ferveur d’un Mars sur un champ de bataille. Caravane devient château assiégé. Entourés par un halo lumineux d’explosions, les Nomades n’ont pas le temps de se lever pour protester contre cet accueil volcanique que leur vaisseau est déjà une immense cuve magmatique prête à imploser.
Des éclairs zèbrent l’espace, miroitement célestes dans la nuit, huée mystique à en réveiller un mort. Le futur tombeau des Nomades devenu forges d’Hadès luit de toute sa gloire, sous l’œil avide et satisfait d’un Anubis qui attend ce moment depuis des temps incommensurablement grands.
Sous les assauts des éclairs jupitériens, les Nomades s’éteignent un à un, transformant leur frêle roulotte, autrefois char des étoiles, en un cénotaphe maléfique, en un mausolée funeste où raisonneront les cris de ces morts pour l’éternité.
Mais tandis que tous succombent au baiser de la mort, un Nomade, le plus robuste, le plus opiniâtre, et aussi le plus mauvais, réussit l’exploit de survivre une demi-seconde de plus. Durant cette fraction de temps où le temps lui-même semble s’être arrêté pour donner une fin digne à ce brave soldat, il parvient à lancer sa Malédiction sur ses assaillants.
Vengeance funeste, le Châtiment se déploie dans le cœur meurtri de l’ancienne forteresse en une petite boule d’énergie pure. Aussi dense que toute la matière du système réunie, aussi meurtrière qu’un trait bien placé, la sombre Némésis se transforme en un trou-noir colérique, qui submerge dans sa fureur mystique la totalité du vaisseau des voyageurs, marquant de cette manière la fin de leur jeu de roulette russe avec Thanatos.
Gourmand et encore affamé, cette arme infernale avale ensuite tous les débris flottants d’une goulée friande. Les Sédentaires, coupés dans leur victoire hâtivement fêtée, voient alors un immense œil sombre grandir encore et encore sous leur regard ébahi. Il s’approche d’eux, et eux s’approchent de lui, attirés par sa masse colossale. Ils se rencontrent, et, en un rapide câlin langoureux, fusionnent et disparaissent.
Crépuscule. Bourdonnement. Braise. Mort. Calme.
En ce jour tragique, Hadès fait d’une pierre deux coups et emmène les deux peuples belliqueux dans l’autre-monde. Ce système, autrefois havre de paix, devient l’antre de ce trou-noir occulte et mesquin, qui, tel Charybde et Scylla, avalera tous les voyageurs maladroits qui auront le malheur de passer par là.
Si un jour l’un d’entre eux le fait, il verra alors un halo obscur entouré de quelques cendres lumineuses. Il ne se doutera sûrement pas qu’ici, des millions d’années plus tôt, la Mort a frappé des Innocents. Il ne verra pas dans ce silence lugubre le tombeau qui contient l’histoire de deux peuples, qui par simple volonté de survie, se sont un jour affrontés en une violente bataille.
Il se contentera sûrement de frissonner, faible sensation du spectre rancunier de ces décapités, puis passera son chemin, s’en allant vers une autre destination, un autre havre de paix, où la Mort sera peut-être embusquée, prête à les prendre comme elle l’a fait mille fois, comme elle le fera encore mille fois.
Aube. Silence. Lueur. Naissance. Paix. Renouveau.
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