Réponse à "Libre comme l'air"
de Mon cher Edouard !
C’est Hegel , je crois bien, qui énonçait que toute conscience est malheureuse. Il me parait plus juste de dire que toute conscience se révèle solitaire – ce qui mène à l’émerveillement autant qu’à la déchirure. Une conscience solitaire est rieuse et tragique. Ou tragique et rieuse. Elle ne chérit par la souffrance ni ne goûte le malheur, mais elle connait le prix de ce qui a lieu une fois, de la personne ou du moment unique, et elle se montre particulièrement sensible à ce côté passant – aussi bien éphémère qu’irréversible.
Vivre ainsi, c’est choisir la voie buissonnière ; c’est à tout instant aimer l’imprévisible. Henry David Thoreau dans Walden le dit si bien : Faire fleurir comme la rose la solitude - et cela conduit à savourer l’instant, le prix de la vie, à apprécier les biens immatériels aussi bien que les nourritures sensorielles, à créer. En soi, la solitude n’est pas plus intéressante que la souffrance : ce qui compte, c’est que dans chaque fait, ce sont les qualités ou vertus qu’on acquiert dans l’épreuve subie ou choisie. Si l’on n’est pas meilleur après – plus léger, plus attentif, plus aimant, plus courageux… -, il ne sert à rien de demeurer solitaire, de se complaire dans la souffrance ; autant rire, danser, s’étourdir dans les villes. L’épreuve de solitude, belle comme une rencontre amoureuse et difficile comme une maladie, a pour sens d’ouvrir et de défricher nos terres intérieures.
Pour évoquer une compagnie agréable, une atmosphère de convivialité, on dit volontiers être avec ses « semblables », partager les « mêmes » goûts, les « mêmes » idées. Or quand je me retrouve seul, je n’ai précisément aucun « semblable » face à moi, je renoue avec ce qui m’est particulier et je me découvre sans pareil. Et cela crée des devoirs et des égards.
La solitude est dépaysement absolu (quitter son pays et sa famille c’est quitter le connu, le cocon des certitudes-servitudes), ouverture (à l’autre, au Tout-Autre), marche, transformation, se mettre à la verticale de soi. La voix qui murmure dans la solitude dit : lève-toi, va à la rencontre de ton être : Lek Leka – Va, Va vers toi-même, hors de ton pays (Genèse 12.1)
Rabbi Zousya qui vécut en Galicie à la fin du XVIII° siècle prononça ces paroles : Dans les temps qui arrivent, la question qu’on va me poser ce n’est pas : Pourquoi n’as-tu pas été Moïse ? Non, la question qu’on va me poser c’est : Pourquoi n’as-tu pas été Zousya ?
Finalement, notre appréhension de la solitude, notre volonté de la combattre ou de la déprécier seraient le signe d’une permanente lâcheté, d’une peur à frayer son chemin personnel.
Je pense pourtant que la solitude se tient dans l’inattendu de la grâce.
Faut-il rappeler cette évidence ? Le seul compagnon avec qui chacun est assuré de partager toute son existence n’est autre que soi-même.
La connaissance de soi s’avère une recherche solitaire et elle n’est guère encouragée par les diverses institutions (famille, école, religion, gouvernement…). Pour désamorcer les images fausses ou les représentations qui, à notre insu, dirigent nos vies plus surement qu’un GPS, il faut du temps, de l’humilité, de nombreux échecs ouvrant à de nouvelles interrogations. Désamorcer ce qui vient de l’enfance et de nos croyances, qui nous piègent pour ne plus être, à l’âge adulte, que le jouet des attentes des autres. Comment accueillir l’Autre si je ne sais pas m’accueillir moi-même, si je me juge en permanence ? Comment rassurer l’Autre si je porte encore en moi les blessures du passé ? Comment apaiser l’Autre s’il subsiste encore en moi des guerres et des colères ? Pour cela, il nous faut réapprendre à étudier nos mécanismes intérieurs ; puis il nous appartient de nous autoriser alors à reconstruire du sens, autrement.
Va, va vers toi-même et ce que tu ressens comme juste au plus profond de toi ; cesse de t’efforcer d’être ce que tu penses que les autres attendent de toi…
Aller seul, c’est nécessairement faire sécession, ne pas pactiser avec le système, avec les contingences matérielles, c’est éviter d’être récupéré.
Aujourd’hui, l’extension des villes, la vie urbaine et la culture de masse semblent être des obstacles à une solitude vitale, nécessaire à tous. Chacun a pourtant la possibilité de se retirer au moins quelques heures et de vivre pour soi. Mais si très peu le font, c’est moins par goût des autres que par peur d’être délaissés, oubliés.
Lorsque je déclare que je ne lis pas les journaux, que je n’ai pas de télévision et que j’écoute peu la radio (trop souvent cela se résume à Radio-France-Parlotte, hélas, je ne capte pas France-Musique), certains s’étonne voire s’inquiètent : Mais que reste-t-il ? Et moi : Tout. La liberté. La liberté qui se décline en silence, en musique, en conversation, en lecture, en amitié, en randonnée, en écriture, en rêverie. Le bonheur en somme. Mais chut…
Ici la solitude prend tout son sens. Faire un, c’est être soi-même entier. Cette solitude est suffisance et plénitude. Elle nous donne la possibilité de rencontrer et d’aimer l’autre en toute liberté ; de lui tendre la main sans devenir son maître ou son prisonnier. On ne veut posséder l’autre que si soi-même on est incomplet.
La chance que nous offre l’amour consiste non pas à ne faire qu’un mais à devenir unique. L’amour ne réduit pas l’autre en servitude et ne le fait pas semblable à soi. Il ne met pas fin à la solitude, il la polit et la fait rayonner.
Comme j’aime à relire Rainer Maria Rilke : L’amour ne sera plus le commerce d’un homme et d’une femme, mais celui d’une humanité avec une autre […] Il sera cet amour que nous préparons, en luttant durement : deux solitudes se protégeant, se complétant, se limitant et s’inclinant devant l’autre.
Comment concilier de façon harmonieuse la part de solitude inhérente à chacun avec le goût de la rencontre et de l’échange, lot d’humaine tendresse ? Comment vivre à la fois seul et ensemble ?
Une vie solitaire fait lâcher les illusions et les convoitises pour faire briller l’essentiel de la vie. Une telle expérience ouvre à une liberté, à une gratitude totale dans les relations humaines – d’amitié, d’amour, de fraternité – qui peut se formuler ainsi : je n’ai pas besoin de toi, tu n’as pas besoin de moi, mais il est bon de vivre cet instant, ce moment, ce jour avec toi. Ou encore : quand vous êtes là, vous m’émerveillez, et ce moment est unique, mais quand vous partez, quand vous n’êtes pas là, vous ne m’enlevez rien, et ce moment aussi est unique.
La solitude apprend à aimer, elle apprend à poser un regard étonné et bienveillant sur les êtres et à respecter leur secret. Elle invite à la gratitude et à la louange. Elle n’est pas refermée sur elle comme un colimaçon mais se sent toujours prête à recevoir un signe, à accueillir une présence, à fêter la vie.
Dans notre petite enfance, on est aimé et protégé bien plus qu’on aime. Le chemin de maturité conduit à aimer bien plus que d’être aimé. Aimer jusqu’à la déchirure, même trop, même mal chantait Jacques Brel. Même sans rien recevoir en retour. Voilà pourquoi l’enfance ne suscite en moi aucune nostalgie : non que j’ai manqué d’affection, mais parce que, à l’image de tous les petits enfants, je recevais ou prenais bien plus que je ne donnais.
Une personne ne devient intéressante qu’à partir du jour où elle s’enquiert d’aimer bien plus que d’être appréciée. Cela peut advenir à n’importe quel âge, à la faveur d’une épreuve ou d’une illumination de conscience, ou bien jamais. La plupart des humains vivent et meurent « seuls », croient-ils, parce qu’en fait ils n’attendent que d’être aimés.
Celui qui aime n’est jamais seul. Même s’il est renié de tous. Même s’il meurt sur la Croix. Même s’il se nomme le Chevalier à la Triste Figure et arpente le désert de la Mancha.
« Le meilleur cadeau que nous pouvons donner au monde est notre propre transformation » - Lao Tseu
Ce voyage intérieur m’a permis de passer du bien-être à être bien avec moi, qui est à mon sens fondamental, car il s’agit bien là d’une question d’écologie intérieure, de présence à soi immuable à partir de laquelle nous sommes et nous agissons en conscience. Aller puiser de plus en plus profond à l’intérieur pour renaître à l’extérieur.
Table des matières
En réponse au défi
Libre comme l'air
Salut tout le monde,
Pour ce nouveau défis vous devrez juste écrire comment vous allez, comment vous allez vraiment. Ne pensez à rien, arrêter de réfléchir et écrivez. Laissez vos émotions prendre le dessus et vos doigts écrire tous seuls. Toute la sincérité de vos sentiments et émotions doivent être écrits dans l'espoir de vous sentir plus libre.
A vos claviers,
Hâte de vous lire
Commentaires & Discussions
La solitude de la liberté | Chapitre | 1 message | 2 ans |
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