Aujourd’hui je pars enfin au Japon, étudier les parcs. Les jardins japonais m’ont toujours faite rêver. Un jour je m’achèterai un terrain pour en créer un, prendre du temps pour moi, profiter de mes plantes. Billet d’avion, passeport, valise, tout est prêt. En route pour Gatwick ! J’aime bien prendre le train, quand c’est pas trop long. Mes dernières vacances je l’ai pris de Genève à Montreux, il ressemblait aux nôtres : le même côté déglingué, on aurait dit un chariot « tant il vibre de toutes ses fibres ». Les décorations paysagères des bords du Lac Léman sont fantastiques. Les jardiniers réalisent des sculptures végétales sur un thème choisi chaque année. Cette fois-là c’était « fairies ». Il y avaient des trolls, des elfes, des insectes bizarres, des fées, des nains et plein d’autres créatures marrantes. J’aime beaucoup Montreux. Mais aujourd’hui, c’est le Japon ! J’ai pris une petite valise, ça m’évite de faire la queue pour la mettre en soute. Je me suis enregistrée, je n’ai plus qu’à passer le « harcèlement sexuel » de l’aéroport. Oui, même quand ils me foutent à poil, j’ai toujours un truc qui sonne quand je passe le portail de sécurité. Bon, me voici enfin dans l’avion, prêt à décoller. Cerisiers en fleurs, me voici !

Pas de chance, je suis assise sur le siège central, j’aime bien le hublot. M'enfin, je vais quand même pouvoir me rincer l’œil sur le paysage, le mec à côté de moi est sacrément canon. J’ai une petite faim, je vais me commander une soupe aux champignons. Les hôtesses passent dans l’allée, ça tombe bien.

Bonjour, vous désirez quelque chose ?

— Non, merci, répond la dame assise côté couloir.

— Une soupe de champignons et un cappuccino, s’il vous plaît.

Je prends toujours du café hors de chez moi, je n’aime pas les sachets, je ne consomme que du thé en vrac. Je dois avoir du sang de bourgeoise.

— Un café. Noir, s’il vous plaît, lance le beau gosse du hublot.

Je me le ferais bien en dessert celui là. Qu’est-ce que je raconte ?

— Vous êtes flic ? Je lui demande, curieuse.

— Non, mais j’en joue un dans ma série.

— Vous êtes acteur ? Il faut vraiment que je sorte plus souvent !

— Vous n’avez pas la télé ?

— Non, mais… Merde ! Pardon ! Mais oui, vous êtes, attendez… Vous avez joué dans Hercule Poirot ! C’est quoi votre, série au fait ?

— Brixton.

— Tyler Declan McKenzie. Elle est glauque !

— Mi policier, mi horreur, oui. Et vous c’est… ?

— Norma Jeane Mortensen. NJ. Oui ma mère est fan de Marilyn Monroe, cette tarée.

— Ah, c’est spécial, en effet.

Le voyage va être agréable. Quand je rentre, je regarde sa série. Je le lui ai promis. C’est une série policière avec une ambiance à la Sandman. Je salive déjà. Et les guests qui y passent : la crème de la crème ! L’intrigue se déroule à Brixton, on a compris. Ancien militaire reconverti dans la police criminelle, fraîchement débarqué à son poste de DCI[1] Math Valentine, s’enlise dans une enquête compliquée. Les meurtres atroces perpétrés par un tueur en série qui échappe aux flics depuis des mois, dissimulent un lourd secret... Ah oui, au retour de mon congé, c’est sûr, dès que je trouve le temps, je me réserve quelques nuits blanches ! Le gars est vraiment sympa. Beau, mais humble. Il ne se prend pas pour un dieu. On n’est pas aux USA où les stars pètent plus haut que leur cul ! C’est agréable. Je ne suis peut-être qu’une « jardinière » qui « dessine » des parcs, mais, comme lui, je mets de la beauté dans la vie des gens. Pourquoi on ne me mettrait pas sur un piédestal ? Ah, non, il faut passer à la télé pour être considéré comme une déité. Personnellement, pour ce que je m’en carre d’être célèbre et reconnue, tant qu’on me paie et que je m’éclate dans mon job… Nous sommes plutôt d’accord sur ce point avec le « spécimen de mes rêves les plus fous ». Sérieusement, il donne chaud le petit, qui fait presque deux mètres. Je lui montre deux trois créations de mon cru, que j’ai gardées sur mon mobile, plus par fierté que par nécessité de présenter mon travail à un éventuel client. Tout est sur mon site web. Il est admiratif. Je me sens toute chose. J’ai peut-être une chance ? On entend brusquement une violente détonation comme si quelque chose venait d’exploser tout près de l’avion.

Je me retrouve soudain assise à la place de Tyler, côté hublot. L'avion se met à vibrer comme s’il faisait une crise d’épilepsie. Flippant, on va se crasher, je n’y crois pas ! Je suis soulevée dans l’air, j’ai l’impression d’être un astronaute planant dans le cosmos. Cette sensation d’apesanteur, me lève le cœur. L’appareil se retourne et atterrit sur le toit. Sans la moindre égratignure. Part contre, je me suis cognée la tête en tombant. Pas de quoi craindre un trauma crânien, mais ça sonne bien et bon sang ce que ça fait mal ! Je me redresse et regarde autour de moi, l’appareil est vide, McKenzie a disparu. La chute a dû m’assommer, sinon comment expliquer la disparition des passagers ? Ils sont sûrement sortis. En arrivant dehors, je me retrouve nez à nez avec Cassiopée. Cassiopée Duncan ! Une amie de longue date, nous avons été dans la même classe à l’université. Mais elle n'était pas là quand j’ai embarqué. Nous aurions fait le trajet ensemble, sinon. J’aperçois Tyler qui vient vers moi.

— Caporal McKenzie. Veuillez évacuer, s’il vous plaît.

— What ?! Non, mais c’est Star Trek ou quoi ? Je rêve !

— Pardon ? me demande-t-il, décontenancé par ma réaction.

Je m’arrête deux secondes. Je remarque que le mec est sapé différemment. Il porte un uniforme de l’armée de l’air. Il a eu le temps de se changer pendant que j’étais dans les vapes et à tout a coup endossé le rôle de Caporal machin-chose ! Non là c’est pas crédible.

— Vous avez un frère jumeau ?

— Non. Ne restez pas là s’il vous plaît.

Une équipe scientifiques s’engouffre dans le Boeing. Mac attend devant l’ouverture, comme un vigile. Je m’approche de Sio.

— T’étais pas censée être ailleurs qu’ici ?

— Oui, me lance-t-elle, ahurie. Je prenais mon petit déjeuner, sur ma terrasse, quand j’ai ressenti une espèce de tremblement de terre et je me suis "comme" réveillée dans cet avion !

— OK, donc j’hallucine pas, y’a bien un truc total bizarre qui s’est passé !

— Complètement weird, ajoute mon amie en observant le manège qui se déroule devant nous.

Deux gars et une nana affublés d’un arsenal de science-fiction, se tapent la discute avec mon « ex-nouveau pote ». Et ça, c’est pas du cinoche. J’essaie de capter ce qu’ils se disent, mais je suis trop loin.

— Tyler ! je crie dans la direction du Caporal.

Il me lance un regard préoccupé. Il s’approche de moi et me prend à part.

— Vous savez quelque chose ?

— Euh, pardon ? Tout ce que je sais, c’est que y’a pas longtemps vous étiez acteur et maintenant « genre », vous êtes « général d’armée » !

— Caporal.

— Je m’en fous de votre grade, en fait. On est dans une dimension parallèle ! C’est ça ? Sauf que, vous voyez, dans mon monde, ça n’arrive que dans les films ou les séries ou les bouquins ! Bref, pas dans la réalité. Bref, là, j’ai just l’impression d’être schizophrène ! Et ils sont passés où les autres passagers ?! C’est pas le triangle des Bermudes ici, on est en Bulgarie ! En Bulgarie, le bled où il se passe jamais rien !

— Bon. Je vois. Vous et votre amie allez nous suivre au QG.

— Non, non, non. Vous allez d’abord me donner des explications sur ce foutoir intergalactique !

McKenzie me prend par le bras. Je fais un moulinet et me libère de son emprise.

— Cassiopée. On se barre.

— OK, pour aller où ?

— Tout sauf rester figées dans se monde de cinglés !

Le Caporal fait un signe à sa coéquipière qui se rue sur nous. Je m’interpose entre mon amie et notre assaillante. Un éclair jaillit de nulle part. J’entends une explosion, monstrueuse, à croire que c’est le big bang. Je me réveille chez moi. J’ai loupé l’avion pour le Japon. Je tiens mon téléphone, l’air hagard.

— Je viens de rêver, ou bien ?

J’appelle Duncan. Elle décroche. J’entends à sa voix, qu’elle semble aussi perturbée que moi. On se donne rendez-vous au Starbucks de Victoria Station.