Léandre ouvrit les yeux en aspirant une énorme goulée d’air. L’horrible douleur qui avait traversé son corps l’avait fait s’évanouir. À présent revenu, il se sentait bizarre, différent. L’oxygène lui brûlait les poumons comme l’eau l’avait fait quelques minutes plus tôt. Il tâta son cou pour voir ce qui pouvait obstruer ses branchies. Une panique franche s’empara de lui. Il ne les trouva pas. Comme si les orifices servant à sa respiration s’étaient brusquement fermés. Mais que lui arrivait-il ? Il avait vécu l’enfer depuis qu’il avait été capturé par un Surfacien. Espérant mourir à chaque seconde afin d’échapper au supplice. Mais ce n’était rien comparé au calvaire qu’il avait enduré une fois la femelle apparue. Elle avait pourtant l’air douce et aimable, un monstre sous une allure d’ange. Il en était convaincu ; c’était de l’acide et non de l’eau qu’elle avait versée dans le contenant où il était retenu contre son gré.

Il balaya ces certitudes d’un revers de main lorsqu’il croisa le regard de la jeune femme. Elle semblait autant paniquée que lui, mais ce qui frappa le plus le prince fut son étrange beauté. Ses courts cheveux châtains encadraient un visage en forme de cœur. Et ses yeux !!! Jamais Léandre n’avait vu de regard aussi captivant : deux prunelles marron serties d’éclats d’émeraude. Le temps suspendit son cours ! Il n’y avait, soudain, plus de douleur, plus de gêne, plus d’angoisse. Juste un curieux serpent de mer qui grignotait dans son estomac.

L’instant fut fugace et Léandre aurait souhaité qu’il dure, mais son corps se rappela à lui. Sa queue de poisson se mit à le démanger horriblement. Ses écailles étaient ternes et sèches, il les frotta pour dissiper la gêne et fut effaré de les voir tomber par dizaines. Mais que lui arrivait-il ?

***

Océane ne put retenir un cri de panique lorsque le Lorien revint à lui. Sa respiration était redevenue normale, moins sifflante et moribonde. Son teint avait également perdu son aspect grisâtre. Son regard se posa malgré elle sur ses pectoraux saillants, surplombant des abdominaux parfaitement dessinés. La jeune femme s’interdit de penser qu’il était beau. La créature n’était qu’un monstre, usant d’artifices pour la séduire. Il… Ses cheveux mi-longs argentés encadraient une mâchoire carrée, il était encore plus attirant que les acteurs sur lesquels elle fantasmait. Elle croisa alors son regard. Son cœur manqua un battement avant de partir dans une course folle. Elle se laissa submergée par l’intensité de ces deux océans turquoise.

Sa raison accepta la défaite, ça avait beau être un monstre abominable, l’homme qui était devant elle était parfait !

Le charme se rompit lorsque le prisonnier s’intéressa au bas de son corps qu’il frotta avec vigueur, retirant les écailles par poignées. Sa repoussante nageoire caudale se scinda soudain en deux. Des jambes se formèrent, certes, couvertes de peau de poisson, mais d’apparence humaine.

Océane observa le spectacle, subjuguée, tandis que le jeune homme paniquait. Elle se rappela qu’elle se trouvait dans le laboratoire de son père lorsque ce dernier émit un grognement annonçant un réveil prochain. Augustin ne réagirait pas aimablement à sa présence dans la pièce, ni à son interaction avec le Lorien, ni au fait qu’elle l’avait visiblement drogué. Elle s’apprêtait à quitter les lieux, elle se ravisa quand le jeune homme lui saisit délicatement la main. Sa voix profonde et ténébreuse s’éleva alors :

• Je vous en prie. Ne le laissez pas me faire encore du mal.

Il n’y eut rien à ajouter pour la convaincre. Océane aida l’inconnu à se redresser sur ses jambes couvertes d’écailles. Il fallait l’habiller et surtout fuir cette maison. Pour aller où ? Elle n’en avait aucune idée, mais elle y réfléchirait plus tard.