Wolfram Le Flétri
La brume. Toujours, la brume. Ici, il n'y avait rien. Si ce n'était un grand château aux murs sombres. Le Docteur Callum Steinway prit le temps d'analyser les lieux. Devant la bâtisse où vivait le Comte Wolfram Le Flétri, il y avait une douve. Le médecin se mit à fouiller dans ses poches. Il en extirpa un Post-It tâché de café et plié en deux. D'une magnifique écriture quasi-caligraphiée, il avait tracé la suite de chiffres et de lettres 912618ABC. Soudain, d'elle-même, une petite barque nagea jusqu'au Docteur Steinway. Elle portait un écran, sur lequel le jeune homme composa le code qui lui avait été donné par l'assistante de Wolfram Le Flétri. Il grimpa à bord de la barque, trop petite pour lui, et attendit qu'elle lui fasse traverser l'étendue d'eau. Les bruits de moteur étaient insuportables. Cela s'entendait que la pauvre machine n'avait pas été conçue pour porter des charges de l'envergure du Docteur Callum Steinway, qui était un peu trop grand pour pouvoir y entrer et s'y asseoir de manière suffisament confortable.
Pendant que la barque le transportait, le jeune médecin défit le cadenas de sa malette, afin de vérifier si tout son matériel était bel et bien ici. Oui, il avait tout ce dont il avait besoin. Soudain, le petit bâteau émit quelques brefs "BIP BIP BIP BIP!", afin de signaler que le Docteur Steinway était arrivé à destination. Ce dernier pensa qu'il n'y aurait sans doute même pas eu besoin d'une barque pour traverser l'étendue d'eau : elle n'était pas si profonde que cela, et la traversée durait à peine cinquante seconde tout au plus.
C'est lorsque le jeune médecin arriva devant l'escalier qui menait au château de son patient, Wolfram Le Flétri, qu'il se mit à pleuvoir. L'ondée coulait, à présent, glaçant sa peau et le faisant frissoner comme il n'avait jamais frissoné auparavant. D'une manière plutôt "clichée", comme si quelqu'un avait tenté de lui faire peur, un mamba vert se mit à ramper devant lui. Le Docteur Stainway ne put s'empêcher de sursauter. Il avait déjà vu des horreurs, des cas d'infections particulièrement purulantes, des montagnes de sang, son estomac ne lâchait jamais ; mais le jeune médecin avait toujours eu extrémement peur des serpents. Surtout ceux qui étaient venimeux. C'était comme si il n'était pas le bienvenu, ici, bien que l'assistante de Wolfram Le Flétri et lui-même aient convenu d'un rendez-vous, ce jour-là, à 14h.
Cet endroit-ci ne ressemblait en aucun cas à un de ces jolis petits villages où le docteur allait souvent prodiguer des soins à des patients, ce genre de minuscules lieux qu'il portait au pinacle. Ici, c'était différent : à 14h, le ciel était aussi noir et morose que s'il avait été minuit. Le médecin n'avait jamais vu une telle chose de toute sa vie. Il leva les yeux vers le château. L'une des deux vitres était brisée. On aurait dit un impact de balle, mais le jeune homme n'en était pas certain.
Le Docteur Stainway s'arrêta sur l'une des marches, reprit son souffle, puis recommença à marcher. Il soupira, épuisé. Jamais il n'avait vu autant de marches sur un seul escalier. Ce dernier était fait de marbre noir et était légérement glissant. Le médecin tenta de se tenir à la rampe, mais comme elle était elle aussi en marbre, cela ne servit à rien.
Après plus de dix minutes, il gravit enfin la toute dernière marche, la deux-centième, et resta quelques minutes devant la gargantuesque porte en bois usé. Quelque chose n'était pas normal. Lors de la prise du rendez-vous, l'assistante de Wolfram Le Flétri n'avait pas prévenu le docteur de quoique ce soit, elle avait seulement dit que, si il avait besoin d'une assistante, c'était tout simplement parce que c'était un vieux monsieur.
Pour une raison inconnue, l'assistante, dont le nom était Nicole, avait prévenu le docteur de se munir d'un revolver et de balles en argent, au cas où. Le médecin avait trouvé cela plutôt barbare, il était là pour soigner, pas pour blesser ses patients. Il avait mit cette idée d'apporter une arme sur le fait que l'assistante était Américaine ; on remarquait une bonne dose d'accent texan dans sa voix. Le Docteur Stainway n'avait donc pas pris compte du conseil de la jeune femme. Cette dernière lui avait également conseillé d'apporter des gazes, ou bien des pansements.
Mais c’est qu’elle veut m’apprendre mon travail, cette idiote ! Avait pensé le Docteur Steinway, lassé qu’on lui dise quoi faire. Il connaissait très bien son métier, sans doute encore mieux que la jeune assistante écervelée. D’ailleurs, ce fût elle qui lui ouvrit la porte et qui le laissa entré.
La jeune femme était assez jolie, mais son nez était un peu trop grand et pointu, et son sourire laissait découvrir des dents blanches et aiguisées, telles celles d’un animal dont la férocité n’était plus à prouver. Mais le médecin décida de ne pas en parler à l’assistante, afin de ne pas l’embarrasser : elle était sans doute atteinte d’une difformité de naissance. De toute manière, le docteur ne venait même pas pour elle.
L’assistante de son patient lui fit signe de la suivre. La porte se ferma toute seule derrière eux, ce qui fit sursauter le médecin, mais il mit cette fermeture brutale sur le dos du vent, qui soufflait tout de même très fort.
Le médecin et la jeune femme ne se parlèrent pas. Le Docteur Steinway sentit un profond malaise, en parcourant les couloirs noirs et étroits. Ils pourraient peut-être allumer un peu les pièces, non ? Ou bien, ouvrir les volets ? Quelque chose qui illuminerait l’endroit, non ? Mais le jeune médecin ne dit rien de ces pensées à l’assistante, de peur que de tels propos ne la vexe. Beaucoup de ses patients faisaient la même chose, ils préféraient l’obscurité à la lueur. Bien qu’il ne conseillât pas de faire cela, il comprenait très bien.
Le jeune docteur tenta de se souvenir la raison de sa venue ici. Lors de la prise du rendez-vous, l'assistante n'avait rien dit de particulier. Si, si, elle avait parlé de... dents ? Et d'intolérance au sang ? Le médecin n'en était pas vraiment certain. Une intolérance au sang, de toute manière, cela n'existait pas. Et, évidemment, si le patient avait des dents normales, cela devait choquer la jeune femme, qui avait ce qu'on aurait pu décrire comme des "crocs assérés", selon le docteur.
Soudain, la jeune femme s'arrêta, fixa le médecin, et sourit de ses longues dents blanc immaculé. Cela effraya le jeune docteur pendant quelques secondes, puis il s'en voulut de juger quelqu'un par rapport à son apparence.
" Wolfram Le Flétri est dans cette pièce-là, dit l'assistante. Il a besoin de vous. Personne d'autre n'a voulu venir. Le médecin pensa, sans le dire, que refuser de rendre visite à un patient, sans raison, n'était pas du tout professionnel. L'assistante continua : Avez-vous tout ce que je vous ai dit d'apporter ? Les...
-Oui, oui, mentit le docteur. Alors, bon, je ne me souviens plus du motif de ma visite ici. Vous pourriez me le rappeler, s'il-vous-plait ?
-Je ne suis que l'assistante de Wolfram, c'est peut-être mieux si vous lui posez la question directement, il saura sans doute vous expliquer ses maux mieux que moi.
La jeune femme extirpa de sa poche une clé doré que le Docteur Steinway jugea magnifique. La clé fût tournée dans la serrure de la grande porte noire. Craintif, le médecin entra doucement dans la salle. Cette salle était grande en hauteur, et beaucoup moins large en hauteur. Illuminé par une lampe au-dessous de son menton, il y avait un visage. Il n'était ni beau, ni agréable à regarder ; c'était sans doute la raison pour laquelle son nom de famille était "Le Flétri". On aurait dit une vieille poire périmée, à la chair tombante et à la peau jaune cadavre, avec deux gros yeux globuleux et un nez trop fin et trop long.
L'assistante de Wolfram Le Flétri passa devant le docteur et salua son patron.
-Bonjour, Monsieur ! Voilà, je vous ai ramené un docteur.
-Les docteur ! Mes préférés. Cela faisait longtemps que je n'avais pas croisé de médecin ici ! Je ne sais pas ce qu'ils ont, à éviter de venir. Ils ne peuvent se douter de rien, les docteurs qui entrent ici n'en ressortent jamais pour en dire du mal..."
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