Chapitre 3 : Perversité augmentée

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En quittant la chambre de Françoise Barreau, Hector et Fred, sur le parking de l’hôpital, avaient échangé quelques mots, dans une forme de débriefing des événements de la veille. Puis les deux amis allaient se séparer.

- Je retourne au centre, tu veux venir ?

- Non, je n’en ai pas besoin. Et j’en connais une qui sera contente de ne pas me voir.

- Je te dépose quelque part ?

- Merci, mais je vais marcher un peu…

Tandis que Fred s’éloignait doucement, l’Aston-Martin reprit le chemin du centre. Il avait promis à Angélique de passer la voir, de la rassurer après la soirée épouvantable qu’elle venait de passer.

-

— Moulins ! Parloir. Ton avocat !

Alban Moulins ne portait plus la barbe noire de François Muslin, et ses cheveux étaient coupés au plus court, de sorte qu’on pouvait voir les côtés de son crane, comme par transparence. Sur chaque côté, sa mâchoire portait de discrètes cicatrices témoignant de l’opération qu’il avait volontairement subie quatorze ans auparavant, afin de se faire passer pour mort et de changer d’identité. Une invraisemblable substitution du maxillaire inférieur par une prothèse métallique, le même type de modification pour l’intégralité de son avant-bras droit, lui avaient permis de laisser des morceaux de lui-même au pied d’une falaise, pour que les enquêteurs les plus tenaces renoncent enfin à chercher un cadavre partiellement absorbé par la mer. Même son ennemi le plus acharné avait dû reconnaître la qualité d’une intervention qui, en dehors de ces légères cicatrices, n’avaient laissé aucune marque sur le corps d’Alban. La motricité de sa main droite était aussi fluide que naturelle, ce qui était probablement le plus incroyable.

Alban arriva au parloir, absorbé dans ses pensées. Son avocat n’était qu’un homme sans visage, dans un costume gris clair, qui portait probablement une cravate, mais que lui importait ? Cet homme ne l’aiderait pas à sortir de prison, pas après ce qu’il avait fait, pas après les preuves qui avaient été réunies contre lui par un inconnu. Il était là pour un long moment, sauf à trouver une improbable solution de secours. En attendant, il ferait semblant d’écouter le bon à rien qui venait l’importuner.

— Bonjour Alban. Alors, ces premiers jours se passent bien ?

Il n’avait pas rencontré d’avocat depuis dix-sept ans. Pourtant, cette voix lui était si familière qu’Alban eût put jurer l’avoir entendue, encore, la semaine précédente. Il sortit de ses pensées et leva les yeux de ses genoux pour voir un homme qui, malgré le costume et les fausses lunettes, fut identifié immédiatement.

— Ça alors ! Je te manquais tant que tu as fait l’effort de venir me retrouver dans ce trou ?…

— Je voulais m’assurer que tu ne manquais pas de confort, dans ce palace. Et je voulais te parler d’Angélique.

— Hélène, Nathalie, et maintenant Angélique… Un vrai cœur d’artichaut, dis-moi, mon pauvre Hector. Et ta femme, elle dirait quoi, de tout ça ? Cela dit, évite de jouer à la loterie, il semble que tu ne sois pas en veine en ce moment…

— Angélique. J’ai besoin de savoir. On a vu ce que tu lui as fait. Pourquoi ?

— Pourquoi ? Pourquoi je l’ai emmenée sur le toit ? Mais parce qu’il me fallait un moyen de pression… Mais tu as gagné cette partie…

Ce n’était pas la réponse qu’attendait Hector. Il était évident qu’Alban avait voulu avoir une monnaie d’échange pour s’échapper. Bien entendu, il savait qu’Hector avait de l’affection pour sa jeune stagiaire. Angélique avait été le meilleur choix possible pour Alban, Hector n’en doutait pas. Mais ce fumier avait fait bien pire que ça. Il avait atteint un autre niveau de cruauté.

-

— Qu’est-ce que vous m’avez fait ? Qu’est-ce que vous m’avez fait ? Je veux voir Monsieur Fischer ! Je veux le voir.

Sortie de la douche comme une furie, malgré la douleur, Angélique se précipita vers Marie, la seule personne qu’elle avait vue depuis son réveil. Elle avait bien parlé, ensuite, à Hector, par téléphone, mais elle n’avait encore, à ce moment-là, aucune idée précise de ce qu’elle avait subi.

— Qu’est-ce que vous m’avez fait ? répéta-t-elle encore, à Marie, qui ne comprenait pas de quoi elle parlait.

Devant le regard interrogateur du médecin, Angélique se résolut à relever son chemisier, dévoilant au bas de son ventre une large cicatrice encore fraîche.

— S’il vous plaît, dites-moi ce que vous m’avez fait, implora la jeune femme.

Marie fit comprendre à Angélique qu’elle n’était en rien responsable de cette marque abdominale. En effet, à son retour de Santa Monica, accompagnée d’Hector, Nathalie et Joanie, elle était rentrée chez elle avec sa nouvelle alliée, laissant Hector mettre Nathalie en cellule, au centre opérationnel. Elle s’était rendue au chevet de Roger et puis avait pris un peu de repos. Revenue le matin à la base, alors qu’Hector avait déjà récupéré Joanie et quitté les lieux, elle avait eu la surprise de trouver Angélique endormie dans un canapé de la cuisine, alors qu’une enveloppe attendait sur la table. Un court texte dactylographié confiait la jeune femme à Hector et aux bons soins de Marie.

Ce qu’on appelait communément et sobrement la salle de soins était en réalité une sorte de petite clinique entièrement équipée pour apporter une aide médicalisée rapide et complète à quiconque en avait besoin. Associée à ce matériel de pointe, l’expertise de Marie avait permis d’aboutir, après examen, à la seule conclusion possible.

— Angélique, il semble que tu sois enceinte…

— Mais c’est impossible, s’insurgea Angélique.

— De quatre mois environ.

Incrédule, Angélique savait que si Marie avait été dans le vrai, elle en saurait forcément quelque chose, elle-même.

— La cicatrice, reprit Marie, quelqu’un t’a implanté un fœtus, c’est la seule explication possible. Je vais devoir t’examiner plus précisément, mais je pense qu’il est viable.

-

— Non, tu penses, je n’ai pas ces compétences-là.

Alban se réjouissait de la colère de son ennemi juré. Hector avait certes remporté une victoire, à Santa Monica, et même une victoire importante. Mais lui-même venait de marquer un point décisif dans ce combat, dans lequel il s’autorisait tous les coups.

— C’est vrai que je suis un esprit affûté, mais tu me surestimes, cette fois.

— N’essaie pas de me faire croire que tu n’es pas lié à cette horreur.

— Je n’ai pas dit ça. Tu as raison, reprit Alban avec un sourire malicieux, j’ai eu l’idée de faire ça. Mais entre avoir l’idée et le faire…

— Alors qui ? s’emporta Hector. Parle !

— Allons, tu m’insultes. Tu es tout à fait capable de trouver cette information par toi-même. Tu as déjà prouvé que tu savais chercher dans les tas de cendres.

Hector reprit son calme, voyant qu’il n’en saurait pas plus aujourd’hui sur le comment. Mais le pourquoi le torturait encore. Pourquoi avoir fait subir une telle atrocité à la jeune femme innocente avec qui ils avaient travaillé tous les deux pendant six mois, avec laquelle ils avaient tissé des liens d’amitié, avec qui ils avaient atteint un niveau d’excellence technique et scientifique. Tout cela n’avait pas de sens, même pour un esprit malade, qui aurait dû s’apaiser en menant une vie qu’on eût pu qualifier de normale.

— Hector !… Hector !… reprit Alban d’un air faussement désespéré par le manque de réactivité de son meilleur ennemi. Tu n’as donc pas encore compris ? Tous ceux pour qui tu manifestes un tant soit peu d’affection sont condamnés à souffrir. Par ta faute. Je n’en aurai jamais fini, avec toi. C’est toi qui as voulu ça, c’est toi qui l’as déclenché, avec la petite Marie, quand vous m’avez pris mon père !

Sur ces derniers mots, la voix d’Alban avait changé, se chargeant d’une rage qui ressortait dans ses yeux et son regard soudainement assombri.

ors de ces légères cicatrices, n’avaient laissé aucune marque sur le corps d’Alban. La motricité de sa main droite était aussi fluide que naturelle, ce qui était probablement le plus incroyable.

Alban arriva au parloir, absorbé dans ses pensées. Son avocat n’était qu’un homme sans visage, dans un costume gris clair, qui portait probablement une cravate, mais que lui importait ? Cet homme ne l’aiderait pas à sortir de prison, pas après ce qu’il avait fait, pas après les preuves qui avaient été réunies contre lui par un inconnu. Il était là pour un long moment, sauf à trouver une improbable solution de secours. En attendant, il ferait semblant d’écouter le bon à rien qui venait l’importuner.

— Bonjour Alban. Alors, ces premiers jours se passent bien ?

Il n’avait pas rencontré d’avocat depuis dix-sept ans. Pourtant, cette voix lui était si familière qu’Alban eût put jurer l’avoir entendue, encore, la semaine précédente. Il sortit de ses pensées et leva les yeux de ses genoux pour voir un homme qui, malgré le costume et les fausses lunettes, fut identifié immédiatement.

— Ça alors ! Je te manquais tant que tu as fait l’effort de venir me retrouver dans ce trou ?…

— Je voulais m’assurer que tu ne manquais pas de confort, dans ce palace. Et je voulais te parler d’Angélique.

— Hélène, Nathalie, et maintenant Angélique… Un vrai cœur d’artichaut, dis-moi, mon pauvre Hector. Et ta femme, elle dirait quoi, de tout ça ? Cela dit, évite de jouer à la loterie, il semble que tu ne sois pas en veine en ce moment…

— Angélique. J’ai besoin de savoir. On a vu ce que tu lui as fait. Pourquoi ?

— Pourquoi ? Pourquoi je l’ai emmenée sur le toit ? Mais parce qu’il me fallait un moyen de pression… Mais tu as gagné cette partie…

Ce n’était pas la réponse qu’attendait Hector. Il était évident qu’Alban avait voulu avoir une monnaie d’échange pour s’échapper. Bien entendu, il savait qu’Hector avait de l’affection pour sa jeune stagiaire. Angélique avait été le meilleur choix possible pour Alban, Hector n’en doutait pas. Ce qu’il ne comprenait pas se situait à un autre niveau de cruauté.

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— Qu’est-ce que vous m’avez fait ? Qu’est-ce que vous m’avez fait ? Je veux voir Monsieur Fischer ! Je veux le voir.

Sortie de la douche comme une furie, malgré la douleur, Angélique se précipita vers Marie, la seule personne qu’elle avait vue depuis son réveil. Elle avait bien parlé, ensuite, à Hector, par téléphone, mais elle n’avait encore, à ce moment-là, aucune idée précise de ce qu’elle avait subi.

— Qu’est-ce que vous m’avez fait ? répéta-t-elle encore, à Marie, qui ne comprenait pas de quoi elle parlait.

Devant le regard interrogateur du médecin, Angélique se résolut à relever son chemisier, dévoilant au bas de son ventre une large cicatrice encore fraîche.

— S’il vous plaît, dites-moi ce que vous m’avez fait, implora la jeune femme.

Marie fit comprendre à Angélique qu’elle n’était en rien responsable de cette marque abdominale. En effet, à son retour de Santa Monica, accompagnée d’Hector, Nathalie et Joanie, elle était rentrée chez elle avec sa nouvelle alliée, laissant Hector mettre Nathalie en cellule, au centre opérationnel. Elle s’était rendue au chevet de Roger et puis avait pris un peu de repos. Revenue le matin à la base, alors qu’Hector avait déjà récupéré Joanie et quitté les lieux, elle avait eu la surprise de trouver Angélique endormie dans un canapé de la cuisine, alors qu’une enveloppe attendait sur la table. Un court texte dactylographié confiait la jeune femme à Hector et aux bons soins de Marie.

Ce qu’on appelait communément et sobrement la salle de soins était en réalité une sorte de petite clinique entièrement équipée pour apporter une aide médicalisée rapide et complète à quiconque en avait besoin. Associée à ce matériel de pointe, l’expertise de Marie avait permis d’aboutir, après examen, à la seule conclusion possible.

— Angélique, il semble que tu sois enceinte…

— Mais c’est impossible, s’insurgea Angélique.

— De quatre mois environ.

Incrédule, Angélique savait que si Marie avait été dans le vrai, elle en saurait forcément quelque chose, elle-même.

— La cicatrice, reprit Marie, quelqu’un t’a implanté un fœtus, c’est la seule explication possible. Je vais devoir t’examiner plus précisément, mais je pense qu’il est viable.

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— Non, tu penses, je n’ai pas ces compétences-là.

Alban se réjouissait de la colère de son ennemi juré. Hector avait certes remporté une victoire, à Santa Monica, et même une victoire importante. Mais lui-même venait de marquer un point décisif dans ce combat, dans lequel il s’autorisait tous les coups.

— C’est vrai que je suis un esprit affûté, mais tu me surestimes, cette fois.

— N’essaie pas de me faire croire que tu n’es pas lié à cette horreur.

— Je n’ai pas dit ça. Tu as raison, reprit Alban avec un sourire malicieux, j’ai eu l’idée de faire ça. Mais entre avoir l’idée et le faire…

— Alors qui ? s’emporta Hector. Parle !

— Allons, tu m’insultes. Tu es tout à fait capable de trouver cette information par toi-même. Tu as déjà prouvé que tu savais chercher dans les tas de cendres.

Hector reprit son calme, voyant qu’il n’en saurait pas plus aujourd’hui sur le comment. Mais le pourquoi le torturait encore. Pourquoi avoir fait subir une telle atrocité à la jeune femme innocente avec qui ils avaient travaillé tous les deux pendant six mois, avec laquelle ils avaient tissé des liens d’amitié, avec qui ils avaient atteint un niveau d’excellence technique et scientifique. Tout cela n’avait pas de sens, même pour un esprit malade, qui aurait dû s’apaiser en menant une vie qu’on eût pu qualifier de normale.

— Hector !… Hector !… reprit Alban d’un air faussement désespéré par le manque de réactivité de son meilleur ennemi. Tu n’as donc pas encore compris ? Tous ceux pour qui tu manifestes un tant soit peu d’affection sont condamnés à souffrir. Par ta faute. Je n’en aurai jamais fini, avec toi. C’est toi qui as voulu ça, c’est toi qui l’as déclenché, avec la petite Marie, quand vous m’avez pris mon père !

Sur ces derniers mots, la voix d’Alban avait changé, se chargeant d’une rage qui ressortait dans ses yeux et son regard soudainement assombri.

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— J’ai réfléchi et j’ai découvert des choses particulièrement intéressantes, ces jours-ci, mon ami, poursuivit Alban, d’une voix qui avait retrouvé son calme ordinaire… Tu as osé me reprocher d’avoir une nouvelle alliée, l’autre jour. Et tu ne voulais pas me parler de la petite, comme tu as eu raison. Elle n’a pas manqué d’efficacité. Et je ne serais pas ici pour en discuter, si ton joker n’était pas intervenu. Grand bien lui en a pris, à celui-là, tu le remercieras de ma part. C’est juste dommage qu’il m’ait laissé dans cette cabane ; en matière d’hôtel, il a vraiment des goûts répugnants.

— Ce n’est pas toi qu’il a sauvé, c’est elle, ne te fais pas d’illusions. C’est à elle qu’il a évité d’avoir du sang sur les mains. Ton sang.

— Oui, je m’en doute… J’ai fait le rapprochement avec une de nos petites altercations, il y a quelques années, quand ton taser s’était mis à ne plus fonctionner. Il était déjà là, à l’époque, et il t’avait empêché, toi, de tomber du mauvais côté. Un véritable ange-gardien, je vois. Toujours là pour sauver quelqu’un, toujours là pour me sauver… Tu crois qu’un jour, quelqu’un sera là pour le sauver, lui ? Ça a l’air d’être un type bien, ou je me trompe ?…

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