Meurtres en Série

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 Un autre qui m’a donné de bonnes raisons d’être fier de lui en un autre jour, c’est Cutler quelques mois plus tard. Alors que nous étions rattachés au gros de nos forces il avait retrouvé une vieille connaissance datant de sa vie d’esclave et qu’il avait perdue de vue depuis quelques années. Ça il me l’a expliqué le jour où cet homme a été retrouvé mort dans un trou aux abords du camp. Ce n’était pas le premier soldat à être ainsi assassiné : depuis quelques temps quelqu’un tuait des soldats à un rythme de deux ou trois par semaine. Ce n’était pas à nous de nous en occuper mais Cutler me demanda la permission de chercher le ou les coupables avant que nous ne repartions en territoire ennemi. Je lui ai donné tout le temps qu’il voulait et même le droit d’emmener un camarade pour l’épauler, sans trop de surprise il a choisi Snike. Ces deux là s’entendent vraiment bien.

 Par contre leur « enquête », si on peut appeler ça comme ça fut pour le moins décevante. Dans un environnement aussi bruyant, actif et odorant que pouvait l’être un camp militaire ils n’arrivaient pas à grand-chose et connaître l’emploi du temps d’un soldat parmi tant d’autres, alors que nous étions tous bloqués par l’hiver depuis des semaines, cela était pratiquement impossible.


Non pas pratiquement, totalement impossible.


 Après deux jours de recherches infructueuses Cutler était incroyablement frustré. À l’époque il avait beaucoup plus de fierté qu’aujourd’hui et cet échec le minait bien plus que la mort de ce soldat qu’il avait connu. Il a alors fait ce que font la plupart des soldats lorsque leurs nerfs sont un peu trop à vif : il est allé voir les prostitués du camp afin de trouver de quoi se détendre. Comme tous les commandos Cutler connaissait mal cette partie du camp, il était trop rare que nous soyons avec l’armée régulière pour avoir des habitudes avec les filles de joie qui la suivaient. Il a donc pris plus d’une heure à déambuler pour trouver une fille qui lui convenait. Il a finalement jeté son dévolu sur une héritière du perroquet qui avait des couleurs de peau et de cheveux plus bigarrées qu’un de ces magnifiques oiseaux dont elle partageait le sang. Je suis sûr que c’est cette harmonieuse palette de couleurs qui a tapé dans l’œil de Cutler, je pense qu’il y a vu une similitude avec ses écailles colorées.


 Lorsqu’il m’a raconté cette histoire je lui ai directement demandé de faire l’impasse sur les détails intimes qu’il pouvait y avoir et de se contenter des éléments importants. Cutler fait parti de ces gens que je considère comme un véritable frère et je n’ai aucune envie d’apprendre des choses sur sa vie sexuelle.


 Il s’est donc contenté de me raconter qu’il avait payé cette jeune femme, qui selon lui pratiquait des prix véritablement exorbitants, pour passer toute la nuit avec elle dans sa tente personnelle et non pas le temps d’une passe dans un recoin comme cela se faisait en général. Après plusieurs heures d’efforts intensifs - qu’il faudrait sans doute minorer un peu pour tenir compte de la fierté de Cutler - il s’est assoupie contre la poitrine si confortable de cette jeune femme.


 Une chose qu’il est important de savoir à propos de Cutler c’est qu’il n’aime pas les gens. Enfin, disons plutôt que s’il ne connaît pas quelqu’un, par défaut il le déteste et le considère avec un mépris habilement dissimulé, hommes, femmes, humains ou naturas ça ne change absolument rien. Pour que cela change il faut réussir à prouver sa valeur et bien sûr une partie de jambes en l’air, peu importe la qualité de cette dernière, ça ne suffit pas.


 Étonnamment ce fut ce côté misanthrope qui lui sauva la vie. Appréciant le contact du corps d’une femme mais n’appréciant pas la femme en question, même endormi ses sens étaient autant aux aguets qu’en pleine opération. C’est, selon ses propres termes, un pur réflexe dû à son instinct de survie qui lui a permit d’envoyer voler la lame de rasoir que la putain approchait dangereusement de sa gorge.

 Ensuite a eu lieu une lutte entre un perroquet et une salamandre tous deux nus sur un lit de camp dont aucun barde n’aurait voulu, pas même pour en faire une chanson paillarde. Si une prostituée pouvait être douée au lit, dès que les activités qui s’y déroulaient s’éloignaient des sports de chambre habituels pour tendre vers de la véritable lutte, ses chances de bien s’en sortir avaient toutes les chances de grandement diminuer.

 Et pour ce qui était de la lutte Cutler était suffisamment doué pour maîtriser une femme égorgeant les gens dans leur sommeil, après tout, c’est moi qui l’ai entraîné.


 Une fois qu’elle fut inconsciente et lui en sécurité dans sa propre tente il m’a fait appeler, m’a raconté sa surprenante nuit, comment il avait par hasard démasqué la tueuse qu’il cherchait et m’a présenté une recrue qu’il jugeait pleine de potentiel.

 Oui, j’ai oublié de préciser que si Cutler avait décidé de traquer le tueur de soldats, c’était qu’il s’était dit qu’un tel individu pourrait faire un excellent commando si on le lui proposait. Cette idée m’avait laissé perplexe : un tueur en série me paraissait être une recrue trop mentalement instable pour être vraiment sûre.


- On verra bien ! m’avait-il lancé avant de commencer son enquête.


 D’ailleurs, si nous n’avions pas eu confirmation par la suite que les meurtres avaient bel et bien cessé, j’aurais vraiment douté d’avoir la tueuse sous la main, tellement cette enquête avait été finie à la va-vite. Mais bon, ça je ne lui en ai pas fait la remarque à ce moment. Ni à aucun autre moment maintenant que j’y pense.


- On peut toujours lui demander ce qu’elle en pense.


 Cette faculté que Cutler avait de prendre les choses simplement comme elles arrivaient était assez amusante, elle lui a toujours conféré la faculté d’adaptation la plus performante de tous les commandos sous mes ordres.

 Il a donc réveillé cette sublime femme - et là je suis aussi objectif que possible - et lui a proposé de travailler pour moi.


- Vous êtes sérieux ou vous êtes tarés ?


 Je pense que c’était une réaction tout à fait prévisible : elle tente de tuer quelqu’un et au lieu de la potence on lui propose un nouveau boulot mieux payé que l’actuel. Oui car même si je préfère ne pas le hurler à tout va, c’est un fait qu’avec les « moyens illimités » que j’avais demandés je peux me permettre d’être particulièrement généreux avec ceux qui sont à mes ordres. L’or n’était pas une fin en soit pour nombre de mes hommes mais c’était assez utile pour convaincre quelqu’un d’accepter un nouveau poste aux opérations spéciales.


- Personnellement je t’aurais déjà livrée au bourreau mais Cutler pense que tu pourrais être un atout et je lui fais confiance.

- J’en ai égorgé quelques uns avant lui vous savez…

- Si tu peux te rendre suffisamment utile et si je peux te faire confiance j’en ai rien à foutre de combien tu as pu en taillader. Tout ce que je te demanderai c’est d’en taillader des biens précis pour moi.

- Vous êtes prêt à filer de l’or à une putain pour baiser et tuer des hommes ?

- Je filerais de l’or à un flûtiste si j’étais sûr qu’il puisse charmer des rats avec son jouet. Tu signes ou pas ?


 C’est ainsi que nous avons recruté Jan. Il a fallu attendre un mois après la fin de l’hiver pour que Cutler gagne le pari que nous avions fait sur l’utilité de cette nouvelle recrue : ses talents dans le meurtre étaient indéniables et elle avait appris le reste extrêmement vite. Au fil des années nous avons tous appris à lui faire confiance et réciproquement et nous avons fini par en savoir beaucoup sur elle. Déjà qu’elle était, malgré son apparence, plus vieille que nous tous, son héritage lui ayant conféré une très longue période juvénile que nul ne savait quand elle s’arrêterait. Même si elle ne nous a jamais révélé son âge exacte, nous avons réussi à estimer que le jour de son engagement elle devait avoir une bonne cinquantaine d’années. Elle avait bien sûr été esclave et déjà en ce temps elle vivait en usant de ses charmes selon le bon vouloir de son propriétaire qui la prêtait sans vergogne à qui était prêt à en payer le prix.

 Un soir, sur l’oreiller après une heure plaisante et épuisante, elle m’a expliqué que c’était pour cela qu’elle avait tué les soldats : un homme prêt à payer aussi cher pour coucher avec une femme sans penser à elle ou aux conséquences de son acte ne méritait pas de vivre. Elle préférait de loin le plaisir naturel et instinctif, sans espoir ni projet, mais uniquement guidé par le désir de chacun.

 J’ignore si elle a partagé ce mobile avec les autres, je ne pense pas qu’ils y accorderaient beaucoup plus d’importance que moi. Ce qu’elle avait pu faire avant de nous rejoindre ne comptait pas, au regard de ce qu’elle faisait à nos côtés.

 Ce soir-là, après cet aveu, je l’ai prise dans mes bras, je l’ai embrassée avec ardeur et je l’ai assurée de mon plus total désir. Il n’y a jamais eu d’amour entre nous mais le désir a toujours été présent, au moins de mon côté.


 C’est aussi grâce à elle que nous avons pu commencer l’opération que nous allions nommer à posteriori : le Brasier de Fern.

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