Épilogue
Le bus n'était pas spécialement bondé car on approchait du terminus. La buée sur les vitres empêchait de voir correctement à l'extérieur. On entendait néanmoins les voitures passer et la pluie frapper violemment les carreaux. Aujourd'hui, il faisait moins froid qu'hier, mais par contre il pleuvait.
Eddy restait debout dans un coin, pensif. Il avait séché le dernier cours, prétextant qu'il se sentait mal, ce qui n'était pas faux. Il devait certainement couver une bonne maladie hivernale, et puis il avait envie de passer un peu de temps avec son mec, ça lui faisait du bien. Anthony ne lui en voudrait pas trop d'être rentré sans l'attendre, le châtain lui avait envoyé un message pour le prévenir.
Se frottant doucement le visage, Eddy vit le bus s'arrêter à l’arrêt le plus proche de l'impasse avec un grand soulagement. À la vue de l'intense pluie et du climat presque hivernal qui se profilait, il mit la capuche d'une de ses vestes colorées sur la tête et quitta le bus. Il esquissa quelques pas et retomba sur terre en apercevant Isidore, emmitouflé dans un affreux manteau, une abominable capuche soigneusement ficelée autour de la tête.
Le châtain jeta des coups d'œil aux alentours, voir s'il n'y avait personne, et se dirigea vers le brun.
— Fraîche ta surprise ! s’exclama-t-il avant d'embrasser furtivement son petit ami, heureux des attentions que ce dernier lui portait, certainement pour le consoler de cette future grippe qui le menaçait.
Isidore répondit à son baiser, mais Eddy remarqua rapidement qu'il y avait quelque chose qui clochait.
L’aîné tenait à la main un sac de courses, et le châtain avait le souvenir qu'il devait aller faire quelques emplettes dans la journée. C’était étonnant qu’il ne soit pas rentré pour les ranger.
— Un souci ? demanda-t-il en déglutissant, un nœud apparaissant immédiatement dans son estomac.
Le brun hocha doucement la tête, en silence.
La pluie les trempait des pieds à la capuche mais ils restaient là, comme paralysés. Eddy observant Isidore et ce dernier les yeux rivés au sol, son sac de courses serré contre lui, ses mains blanches crispées dessus. Le temps semblait s'écouler au ralenti, mais finalement le brun ouvrit la bouche, trouvant la force de parler.
— Il y a des voitures de pompiers, des ambulances et des voitures de police dans l'impasse, marmonna-t-il d'une voix tremblante.
— Quoi ? fit Eddy en s'étranglant.
Isidore baissa d'autant plus la tête.
— Suis pas sûr de savoir, je voulais pas voir, pas tout seul ! Je faisais des courses et je suis rentré, j'ai vu ça au loin, je suis revenu ici pour t'attendre... expliqua difficilement Isidore, qui avait du mal à avaler sa salive.
— T’es là depuis longtemps ? demanda le châtain, outré, la voix étrangement éraillée, déformée par la crainte ; il n'avait quant à lui qu'une seule hâte : savoir.
— Une trentaine de minutes, répondit le brun.
— Et tu... et tu sais pas du tout ? Ça peut être n’importe quoi ! Ça nous concerne peut-être même pas ! articula péniblement Eddy.
Isidore secoua la tête avant de répliquer.
— Non... je sais pas du tout, j’ai peur pour ma famille, mon père, ma sœur… mais je... je me suis dit qu'on pourrait y aller tous les deux, c'est plus rassurant, non ?
Le châtain fronça les sourcils.
— C’est quoi le cevi ? Après c'est moi que tu traites de trouillard ? grogna Eddy.
— C’est pas pareil... chuchota Isidore.
Le plus jeune ne répliqua pas. Lui-même se sentait très inquiet. Quelqu'un était blessé ? Pourquoi une foule de pompiers, d'ambulances et de voitures de flics ? C’était forcément très grave, non ?
— J’te suis, on y va pas ensemble, t'imagines on nous voit tous les deux... marmonna le châtain en massant son ventre noué.
Isidore gémit péniblement et se détourna d'Eddy, s'éloignant de quelques pas avant de se raviser et de revenir vers lui.
— Edouard, si ce qu’il y a dans cette rue me concerne, je ne veux plus jamais entendre parler de toi. C'est dans ce genre de moments qu'on voit qui tient à nous... et tu préfères qu'on ne nous voie pas ensemble plutôt que l’on se soutienne ? Alors qu’on a tous les deux peur ? Franchement, tu me déçois…
Il lui tourna le dos, avançant désormais d’un bon pas sous la pluie.
— Tu fais chier… hurla le châtain en lui courant après.
Le brun se tourna de nouveau vers lui, tremblant de rage.
— Ouais, je suis un emmerdeur débile ! J’ai besoin de toi aujourd’hui, Edouard… et t’es même pas capable d’assumer un peu, et d’entrer dans cette putain d’impasse en marchant à côté de moi, juste comme si on était des « connaissances ». Ça en dit long, non ? Je te fais toujours honte, et c’est plus important que le reste, plus qu’un éventuel accident ou décès ! cria-t-il, le vent et la pluie atténuant beaucoup sa voix hachée.
Isidore lui tourna de nouveau le dos et Eddy plaqua ses mains sur sa bouche, étouffant un cri de rage, ne retenant pas ses larmes de peur, de colère et de tristesse qui se mêlaient à la pluie.
Tandis que l’aîné s’éloignait sous ses yeux, le châtain avait de plus en plus la trouille. Il y avait peu de chances que ça le concerne lui, ou son petit ami. Moins d’un tiers, il en était persuadé. Il espérait de tout cœur qu’Isidore n’ait pas un nouveau coup dur à subir.
Tremblant de tout ses membres, il songea à ce qui avait bien pu se passer. Ce matin, tout semblait pourtant calme dans l’impasse. Et puis merde.
Sans plus réfléchir, il se mit à courir et rattrapa Isidore, agrippant son manteau informe et le tirant en arrière.
— C’est bon, gros con, je viens avec toi, dit-il d’une voix qu’il voulait assurée, mais qui était chevrotante.
Le brun ne pipa mot et lui adressa un signe de tête.
Marchant côte à côte, Eddy sentait tous ses organes palpiter à mesure qu’ils se remettaient en marche. Il serrait ses poings tellement fort dans sa poche qu’il en avait mal. Oubliée, cette crève qui s’installait. La respiration difficile, ils approchaient du but, leur impasse se profilait à l’horizon, clignotant de rouge, de bleu. Il y avait du mouvement, mais la pluie les empêchait d’entendre le moindre bruit. Pour Isidore, cela importait peu, car quoi qu’ils découvrent, ils seraient ensemble, et ce serait plus facile. Eddy était finalement là pour lui, et c’était déjà un mystère de moins à résoudre.
Fin
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