Chapitre 07
Pris d’empathie, le Docteur Willem prend la décision de rester quelques jours à Dryade malgré la chaleur étouffante, afin de porter compagnie à Mercure qui reste terriblement seul sans sa famille adoptive.
Le jeune homme lui a expliqué que la famille Ford était la seule qui acceptait de passer du temps avec lui, surtout Agathe. Le Docteur à d’ailleurs bien comprit que cette jeune fille avait tapé en plein dans le cœur de Mercure, mais que sa timidité et son comportement introverti l’empêchent de se déclarer. « Ce n’est pas un problème, pense le Docteur, ils auront tout le temps de l’univers. »
Passer du temps et s’occuper dans un village aussi désert que Dryade n’est vraiment pas évident, le Docteur Willem à l’impression que les conversations tournent toujours autour des mêmes sujets, qu’ils se rendent dans les mêmes endroits. Et même si Mercure les trouve très agréables, comme le jardin des fleurs en face de la très jolie devanture d’une bibliothèque, la chaleur gâche tout pour le Docteur.
« Comme il n’y a personne, je peux entrer et lire tous les livres que je veux. La dernière fois j’ai oublié de ranger la pile que j’ai choisie, il va falloir que je les remette en place avant que le libraire rentre. »
Si c’est au moins une bonne nouvelle à sa solitude, tant mieux pourlui.
Le Docteur remarque très vite que quelque chose de biologique ne tourne pas rond avec ce garçon. Au début, il pense à une plaisanterie, Mercure court s’allonger avant que le soleil ne prenne congé chaque soir, qu’importe où il se trouve, ce garçon est partout chez lui, et nulle part à la fois.
Mais ce n’est pas une blague.
Même après diverses auscultations et examens avec les moyens du bord, le Docteur Willem ne trouve pas la moindre explication à cette irrésistible envie de dormir au coucher du soleil, ni pourquoi il est impossible de le réveiller avant l’aube. Mercure semble emprisonné dans un coma programmé chaque nuit de sa vie.
« Peut-être fait-il trop froid la nuit. Quand l’hiver arrive, je dois hiverner, et je ne peux pas me réveiller avant l’arrivée du Printemps. » Encore une absurdité à laquelle le Docteur Willem est obligé de croire.
« L’hiver dernier, Monsieur Ford m’a invité chez lui. Il a aménagé une chambre exprès pour moi et je m’y suis senti bien. C’était agréable parce qu’il m’a donné plusieurs oreillers et couvertures qui m’ont tenu bien au chaud, il a ramené plusieurs fleurs de chez moi et les a dispersés partout dans la chambre, mais aussi parce que je savais qu’Agathe était dans la même maison. C’était comme si nous avions passé l’hiver ensemble pour la première fois. » Le visage du rouquin est rougissant, ce sont des souvenirs inexistants, mais qu’il garde précieusement en mémoire.
« Tu passeras l’hiver prochain avec eux ?
— Oui, j’espère. Monsieur Ford n’a pas désinstallé ma chambre la dernière fois. » Mercure s’allonge par terre, sur le grand tapis circulaire du premier étage de la bibliothèque, la tête posée sur le côté. La lecture de son livre ne doit pas être spécialement agréable dans une position pareille, mais il ne lit pas, il pense à Agathe et sa chambre presque à côté de la sienne. Le Docteur Willem, lui, est installé dans le fauteuil qu’ils ont déplacé jusqu’au salon dont les murs sont tapissés de livres en tous genres. Un ouvrage de médecine est ouvert sur ses genoux, les jambes croisées, le Docteur fume sa pipe. Lui non plus ne peut pas lire, il tente tant bien que mal de discerner Mercure et ses bien étranges beautés biologiques que le reste du monde semble avoir mis à l’écart. Afin de redresser l’ambiance, il décide de lire à haute voix le paragraphe qu’il avait entamé.
« Il y a environ cinq cents ans de notre ère, en 1498 le corps meurtri d’un chef de nation des pays du nord fut utilisé pour la science, permettant de réaliser la première dissection du cœur humain. Les morceaux ont été tous illustrés et expliqués par des schémas réalistes, dans un ouvrage bien connu qui porte le nom de « La Chaire Humaine. », rédigé par le Docteur DERWENT, et son assistante Mademoiselle BERARDIS. On souligne que le jeune médecin n’avait qu’une petite vingtaine d’années lorsqu’il a réalisé cette opération inédite.
— Oui je m’en souviens, c’était passé dans le journal. »
La pipe du Docteur Willem lui échappe, et tombe au sol sans qu’il n’essaie de la rattraper. Mercure tourne la page de son livre.
« Le lendemain, Mademoiselle Berardis revendiquait qu’elle avait pris l’initiative elle même de pratiquer cette opération, et la presse avait adoré mettre en avant publiquement la querelle des deux amants. Elle avait dévoilé sans remord que le Docteur Derwent trompait sa fiancée. Après je ne me souviens plus de ce qui était écrit dans le journal, mais je crois que le Docteur Derwent était devenu fou de colère. C’est drôle, les livres d’histoire ne retiennent pas cette bagarre publique, et ont décidés que le Docteur était le seul héros innovant de la dissection. On ne sait toujours pas qui a vraiment écrit La Chaire humaine. » Mercure ajoute tout ceci comme s’il l’avait lu hier dans un article, mais rien de ce qu’il dit n’existe où que ce soit.
« Il y a cinq cents ans, Mercure.
— Oui, je n’ai gardé aucun des journaux, ce n’était pas si intéressant que ça finalement. »
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