Chapitre 16
Cette jeune fille, on ne l’arrête plus. Ce matin elle court jusque chez elle pour récupérer son carnet de dessins, puis un oreiller un peu plus confortable au passage. Elle a dormi dans la chambre de la clinique qui se trouve juste à côté de celle de son ami, mais la literie n’est pas à son goût. Son coussin était dur comme de l’acier et les couettes ridiculement plates. Elle ne pouvait pas dormir avec Mercure à cause de la chaleur, sinon, elle se serait volontairement glissée avec lui dans son lit. C’est peut-être un peu aussi parce qu’il reste en soin et qu’il ne faut pas lui faire mal.
Agathe n’a pas demandé l’avis de son père pour pouvoir dormir ailleurs qu’à la maison, Monsieur Ford comprend la situation et il s’est demandé ce qu’il aurait fait à la place de sa fille. Adolescent un peu rebelle, il n’aurait sûrement pas écouté ses parents et se serait précipité rejoindre la femme qu’il aimait. De toute façon rien d’autre n’interdit la jeune femme de dormir où elle veut si aucun danger ne la menace. Monsieur Ford est même plutôt satisfait que sa fille ait une occupation plutôt que de rester seule à la maison pendant que lui travaille toute la journée pour remettre son atelier en état, et au moins, Mercure ne se sent pas seul dans cette épreuve.
Pendant qu’Agathe est partie, Mercure savoure le soleil qui lui caresse le visage. Il se sent étrangement bien, au chaud, dans ce qui lui parait être un nid de plume, et il ne ressent pas du tout les machines contrôlant ses signes vitaux. Le jeune homme décide de lever sa main gauche pour observer les pétales de fleurs jaunes qui recouvrent sa peau, il se sent habillé avec.
« Ho... C’est grâce à vous. » Murmure-t-il avec intimité, son regard est quasi amoureux.
Ensuite, Mercure observe l’intérieur de la chambre d’hôpital, sans bouger un poil de plus, seulement en tournant la tête d’un côté à l’autre. La chambre est très sobre, ses murs sont blancs, les rideaux également, ils comportent aussi de minuscules motifs qu’on ne peut pas discerner à moins de se rapprocher et de se coller le nez dessus, et la fenêtre est bien assez grande pour inonder la pièce de beau temps. Quelques armoires sous clefs avec des compartiments vitrés longent les murs, tout est parfaitement ordonné et rangé. Seule la table de chevet destinée au patient a été décalée pour laisser la place au matériel du Docteur Willem et à sa table en métal roulante. La petite lampe se retrouve par terre aux pieds du lit. Près de la porte d’entrée de la chambre, sur la droite, il y a une porte en qui mène sans doute aux toilettes de la chambre, un robinet et peut-être même une douche si c’est assez grand. Ou si ce n’est pas dans cette chambre, ce doit être dans d’autres, sinon ce matin Agathe n’aurait pas eu cet aspect sublime et frais comme à chaque fois.
Mercure referme les yeux, il se sent comme un enfant qui refuserait de se lever pour profiter encore un instant de son lit douillet. Ou bien une agréable sieste en pleine après-midi. A la différence qu’aucun parent n’est présent pour lui demander de se lever ou non, et qu’il sait qu’il devra rester allongé encore au moins un jour ou deux selon le Docteur Willem.
Encore une fois le jeune homme tourne la tête vers le mur, au sol, pour voir le tableau d’Agathe parfaitement intact. La beauté de cette toile le laisse sans voix, mais aussi de le savoir ici et en sécurité.
Mercure se souvient, à une époque, avoir observé de grands peintres fabriquer leurs œuvres et leurs idées par coups de pinceaux furieux et de couleurs aux odeurs agressives, et plusieurs centaines d’années après, voir ces mêmes œuvres dans des musées prestigieux. Mais à chaque fois, ils étaient mal interprétés, sur idéalisés, ou ridiculisés.
Il a même en mémoire un après-midi au bord d’un fleuve qui passait en plein dans le centre d’une grande capitale du Nord, et un vieil ami peignait le décor en y rajoutant tout un tas d’éléments que Mercure ne voyait pas du tout.
« Pourquoi rajouter tous ces animaux partout ? Et remplacer tous les passants et les gens qui déjeunent en terrasses ? Est-ce une critique sociale ?
--Tu sais quoi ? J’en ai aucune putain d’idée. »
Il n’est pas obligatoire de trouver du sens partout, ou d’en créer absolument. C’est ce qu’à apprit Mercure au fil des ans, et même s’il a essayé de ne pas y penser, il trouve tout de même un sens merveilleux au tableau d’Agathe, il était trop précieux, il ne pouvait pas disparaître. Il mérite plus que les autres de se retrouver dans cent ou deux cents ans dans un musée, ce serait la pièce d’honneur, celle pour laquelle les gens se déplaceraient des quatre coins du monde pour l’admirer. Ce serait les prémices et l’ouverture des rêves d’Agathe qui aura fait le tour du monde avec sa voile et son splendide bateau.
Ou bien il mériterait la discrétion et l’intimité, il serait accroché dans le salon ou le bureau d’une modeste maison, il appartiendrait à un descendant d’Agathe qui le garderait précieusement. Il n’aurait peut-être pas une grande valeur monétaire, mais ce serait un riche morceau de patrimoine.
La porte s’ouvre brutalement lorsque Agathe fait son entrée dans la pièce, heureusement que personne d’autre ne se repose dans cette clinique. Elle est tout sourire en lâchant son sac sur le sol et se rapprochant de son ami avec son carnet de croquis en main.
« Regarde ! Je l’ai ramené, j’ai réussi à faire quelques croquis durant cet été. » Agathe s’installe près de Mercure et lui ouvre les premières pages pour qu’il puisse les observer sans se relever, comme un livre ouvert juste au-dessus de leur tête.
Les croquis sont tous en noir ou en rouge, les deux seules couleurs que Agathe avait emmenées avec elle lors de ses semis vacances hors de Dryade, et aucune trace de crayon de papier, la jeune femme dessine directement avec ses stylos. On y voit un jardin récurrent, des fleurs de différentes natures, un chat de temps en temps dans des postures plus improbables les unes que les autres. Sur la quatrième page c’est l’intérieur d’une salle à manger dans laquelle la lumière circule merveilleusement bien.
« Combien as-tu de carnet ? Je n’avais jamais vu celui-là.
— Beaucoup. » Rit Agathe en lui tournant une nouvelle page. Un étang est représenté, avec des poissons nageant tranquillement entre les végétaux, des canards un peu plus loin, elle a même réussi à prendre la pose d’un cygne. Mercure a toujours des étoiles dans les yeux quand il regarde les dessins d’Agathe, elle trouve toujours le sujet le plus intéressant et le représente au mieux. L’eau de cet étang est terriblement efficace, il voit les rayons du soleil se déplacer en tremblement sur l’eau, ce sont ces petites zones laissées complètement blanches, le blanc du papier.
Parfois, Mercure est capable de poser des mots sur ce qu’il voit, et il constate qu’Agathe est très douée techniquement. Même si elle dessine dans ses carnets aux stylos, la jeune femme s’ancre dans un mouvement classicisme étonnant. Surtout quand Agathe décide de créer de toutes pièces ses illustrations, qui ont toujours une cohérence remarquable et une obsession pour la composition parfaite. Le rouquin l’a déjà vu faire à plusieurs reprises, Agathe s’assoit en face d’une table où elle a placé elle-même les éléments qui l’intéressent. Et parfois, le résultat est très différent de ce qu’elle voit, elle y a ajouté la beauté de son imaginaire en inventant des motifs à la nappe, ou bien en multipliant les fleurs d’un vase lui aussi est mis en avant par ses décorations inventées sur la céramique.
« Tout est si beau. Je voudrais les regarder pendant des heures, comme dans une galerie d’art ou un musée, tu mérites cette place là- bas. »
Agathe se retourne sur le ventre, appuyée sur ses deux coudes, il y a des chances pour que cette position lui fasse mal très bientôt, puis, elle entortille ses doigts dans l’élastique du carnet.
« J’aime garder des traces de ce que je vois, où je vais. Et quand je relis mes carnets, je me souviens très bien de tout ça, et même dans quelles conditions je les ai dessinés. » Mercure la regarde droit dans les yeux, elle est très légèrement penchée au-dessus de lui.
« Même si ça peut prendre du temps avoir de dessiner le souvenir parfait. Et puis, j’aime tout dessiner. Même juste dessiner un verre d’eau pourra me faire rappeler à quelle table j’étais, avec qui. Il n’y a qu’une seule chose que je n’aime pas, c’est les autoportraits. C’est beaucoup trop dur, et je les rate à chaque fois, c’est peut-être à cause de moi.
— Tu es resplendissante.
— Je ne trouve jamais les bons contrastes, les bonnes couleurs, les bonnes formes. Et puis je ne sais pas, j’ai l’impression que rien n’est très intéressant sur mon visage, dessiner celui des autres est plus facile. Comme le tien. »
Agathe croise enfin le regard de Mercure, un petit silence plane mais ne dure pas très longtemps, c’est Mercure qui y met fin, le visage d’Agathe est suffisamment proche du sien, alors il relève le cou et pose ses lèvres sur celles d’Agathe, doucement, calmement. Le baiser dure cinq à six secondes avant que le rouquin ne repose sa tête contre l’oreiller, et attende une sorte d’approbation ou de réponse. Agathe n’a pas essayé de s’éloigner et de l’éviter. Elle n’a pas donné l’impression non plus d’attendre que cela se termine, ou d’en être choquée, outrée.
Une respiration supplémentaire, qui vient tout droit depuis son cœur, et Agathe l’embrasse à son tour.
Mercure se sent véritablement heureux. Il se remercie d’avoir osé embrasser la fille qu’il aime, et se félicite de sentir les mains d’Agathe se poser sur son visage tendrement.
Ils n’échangent pas de mot avant très longtemps, préférant apprécier ce moment ensemble où ils n’ont jamais été aussi proches. Les caresses d’Agathe n’ont plus le même goût, elles sont encore meilleures, et sa respiration contre son cou est la plus légère des brises. Son cœur est en train de crépiter.
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