Chapitre 27
Les semaines passent, et finalement, la chaleur disparaît peu à peu, Mercure s’endort plus tôt le soir, il n’a toujours pas trouvé comment occuper ses journées mieux que ces derniers temps. Personne n’a voulu de son aide alors quand il n’était pas avec Agathe, il restait à la Maison de Porcelaine pour jouer sur le piano, ou dépoussiérer inlassablement les objets d’art miniature.
Mercure n’aime pas cette période creuse, il faut s’habiller plus chaudement, de moins en moins de personnes se promènent dans les rues, la luminosité est moins prononcé, il à même plu pendant plusieurs jours d’affilés.
Des rumeurs ont circulé dans Dryade, sur les fabuleuses, ou monstrueuses capacités de guérisons de Mercure. On en parle jamais devant lui, toujours lors de chuchotement désagréables et de regards étrangers. On ne lui pose pas de question et surtout on ne lui demande pas de le refaire même si ça dérange et ça démange les lèvres. Mercure à décidé de ne plus le faire, de ne plus en parler. De se restreindre, de se priver pour éviter de ressembler d’avantage à ce garçon étrange qu’on ne prend pas la peine de comprendre.
Ce Dimanche, tout le monde est assis tranquillement dans le canapé pour regarder la télévision. C’est une émission que Monsieur Ford et Agathe ont l’habitude de regarder ensemble, elle traite de la pâtisserie et leur donne l’eau à la bouche. En même temps, ils grignotent des petites boules de chocolats colorées, le paquet est disposé entre Agathe et son père. Mercure n’y touche pas, ça ne lui donne pas vraiment envie. Agathe est allongée contre lui et il profite de la chaleur qui passe entre eux. Il pourrait s’endormir.
Il le sent, il pourrait s’endormir.
Cependant, pour faire plaisir à Agathe, il se concentre sur l’émission, elle n’a pas l’air récente du tout, un grain visuel est bien installé sur l’image et les voix qui documentent l’émission ont l’air vieilles.
La télévision déplaît à Mercure.
Il se souvient de très longues après-midi dans le canapé entre Amélie et son père, à regarder d’interminables films de guerre dans lesquelles les explosions incessantes lui montaient à la tête. L’image en noir et blanc et les mauvais contrastes, bien qu’incroyables pour l’époque, l’obligeaient à se concentrer. Il ne trouvait rien de réel ou d’acceptable dans ces films, ou n’importe quelle autre émissions d’ailleurs. Qui se comporte et gesticule autant que ce présentateur de jeu télévisé ? Qui parle aussi aisément devant un public inexistant ? Qui s’habille comme ça ? Qui peut gagner une reconnaissance nationale rien qu’en faisant une blague scriptée, parler d’une telle ou telle façon à ses invités ? Mercure sait très bien que la moindre de ces blagues stupides de présentateur émises à table lui aurait valu une gifle de la part du père d’Amélie. La vie réelle n’a rien de drôle. Apporter un petit sourire stupide n’y changera rien.
Le son sourd faisait grésiller ses oreilles et ses yeux fixés sur l’écran brouillaient tout ce qui se trouvait autour de la télévision. Et des heures, des heures à observer fixement le mouvement saccadés de la guerre en gris, à faire résonner les cris et les coups de feu dans la tête de Mercure, sans que rien d’autre n’existe pour l’en sortir.
Son cerveau aurait pu couler par ses oreilles.
Mercure détourne le regard vers la fenêtre, il fait gris, rien ne se passe dehors, il pense que plus rien d’intéressant ne se passera pour lui, ou qu’il ne pourra tout simplement pas y assister, et autant ne plus y penser.
« Agathe, je suis fatigué, je crois que je vais aller dormir. » Murmure t-il à la jeune fille tout en caressant son épaule. Avec surprise, Agathe observe sa montre, ce n’est pas du tout dans les habitudes de Mercure d’aller dormir à une heure pareille.
« Mais il n’est que quinze heure, et... »
Finalement, elle comprend ce qu’il vient de lui dire. Sa tête est en train de changer, de la tristesse s’installe sur son visage. L’émission n’a plus d’importante.
« Mercure, déjà… ? » Le rouquin évite le regard d’Agathe, un sentiment de culpabilité l’envahi, ce long moment sans se voir fera du mal à son amoureuse, tandis que lui ne verra rien passer. Plusieurs questions tournent dans son esprit et l’angoisse, et si il allait se passer comme des couples éloignés ? Au début, le manque la tiraillera, puis elle n’y pensera plus autant et ses sentiments finiront pas s’évanouir. Mercure à peur de l’affaiblissement de l’amour d’Agathe, il ne pourra pourtant rien y faire.
« Je t’accompagne. » Lui assure la jeune femme en se levant avec lui. En les voyant se diriger vers la chambre du rouquin, Monsieur Ford se doute de quelque chose, il décide de suivre le mouvement lui aussi. Il ne s’attend à rien d’intime et c’est avec regrets à son tour qu’il observe Mercure s’installer dans son nid de couvertures. Agathe lui enfile la couette par dessus, allume les différentes petites lumières jaunes disposées aux murs et sur les étagères de livres. L’atmosphère est tranquille, calme, Mercure pourra s’endormir en toute tranquillité dans ce chaud cocon qu’on lui a confectionné.
« Tu es sur que tu n’auras pas faim ? Que tu n’auras pas froid ? Que tu n’auras pas peur d’être seul ?
— Agathe, tout se passera très bien. Nous viendrons vérifier régulièrement que rien ne perturbe son sommeil. Et puis, il le fait chaque année, il est habitué. » Le réconfort de son père ne suffit pas vraiment. Laisser Mercure tout seul volontairement ne la réjouit pas du tout, elle ne veut pas se mettre à imiter les villageois et leur attitude déplorables.
« Tout ira bien Agathe, je suis sur que l’hiver passera vite. Je penserai à toi dans mon sommeil. Je ne cesserai de me répéter à quelle point je t’aime. » C’est un mensonge. Aussi loin qu’il se souvienne, Mercure n’a jamais rêvé pendant une hibernation. Ce n’est qu’un laps de temps qui disparaît de sa vie, dans lequel il fait noir.
« Il faut le laisser tranquille maintenant Agathe. » Monsieur Ford passe un pied dans le couloir, il tente d’inciter sa fille à le suivre, une main est déjà sur la poignée. La jeune femme hoche la tête, puis elle se penche pour embrasser Mercure sur le bord des lèvres, longuement, tendrement. Même en réfléchissant à toute vitesse comment repousser ce moment, rien ne vient, elle doit se résigner. Les mots sont des murmures, comme pour coucher un enfant.
« Quand j’aurais fermé les yeux, je ne serais plus là.
— Passe un très bon sommeil Mercure, fais de beaux rêves.
— A bientôt Agathe. »
Comme prévu, Mercure ferme les yeux, chaudement blotti contre un oreiller et plusieurs de ses fleurs favorites qui brillent à la lumière. Puis il s’endort, sa respiration se fait plus calme et plus discrète, il est immobile pour l’instant mais se retournera peut-être dans plusieurs jours.
Il se réveillera au printemps.
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