Chapitre 32
Des éclats, des impacts, des cris, tant d’œuvres d’art fracassées sur le sol et les murs, autant qu’il faut pour déchaîner la colère des deux adolescents. Qui aurait cru que ce n’est pas le temps qui détruirait la pauvre Maison de Porcelaine, elle aurait pu se dégrader et s’éteindre en paix sur les trois ou quatre prochaines décennies.
Aujourd’hui, pire que de la cendre de cigarette ou la respiration nauséabonde d’un délinquant, ce sont des taches de sang qui souillent son parquet.
Le nez d’Agathe coule abondamment, c’est à cause de cette théière ornée de fleurs bleues et de quelques tintes turquoises sur les extrémités des pétales. Regretté service à thé. Les bras de la jeune filles comportent aussi des entailles, passées au travers de sa veste, la recoudre ne sera pas compliqué mais récupérer les taches marrons, elle n’y pense pas. Cette veste ne sera plus la même, quel dommage. En revanche, celle de Dylan n’a que ce qu’elle mérite.
Un œil au beurre noir salit le visage du garçon, ainsi qu’une tache verte sur la base de son nez, ossature légèrement décalée.
Ça n’en finit pas.
Cette dispute conjugale avant l’heure leur cause de plus en plus de dégâts, les épuise, des remords et regrets inondent leur esprit, et finalement, le clochers sonne Dix Sept fois depuis le village et à l’intérieur de la forêt. Le dernier est un coup de tonnerre.
Agathe se penche en avant, les mains posées sur ses cuisses, ses poumons sont en alertes pourtant elle a l’habitude de l’exercice. Il lui faut plus de temps, la jeune femme se met à genoux, un corps visqueux et rougeâtre s’extrait de sa bouche. De nouvelles souillures…
Dylan est debout à trois mètres d’elle, il avait un verre blanc et brillant dans la main droite. Sa respiration peine également à se calmer. Son emprise cède et le verre éclate par terre. Agathe le regarde tristement, et innocemment en pensant que si elle y passait plusieurs après-midi avec Mercure, ils pourraient récoler tous les morceaux. Innocemment.
« Aller Agathe, ça suffit… Donne moi les lettres, on ne va pas se faire du mal pour ça. » Une quantité sans nombre de nom d’oiseau lui vient, rien ne sort, Agathe tente tant bien que mal de suivre ses principes. Elle hoche la tête de droite à gauche lentement, les yeux rivés sur les lettres jaunes au sol, elles ont été tachées pendant la guerre.
« Non. Je préfère qu’on se fasse du mal, pour qu’il n’arrive rien à Mercure.
— Tu m’énerves Agathe. »
Dylan pourrait s’emporter une nouvelle fois, la flamme n’était pas tout à fait éteinte, puis, lui aussi se met à genoux au sol, le dernier souffle est passé.
Ils ont tout cassé.
Pendant que le temps passe, la pluie se réduit à un voile silencieux et univoque. Elle tapote sur le toit de la Maison de Porcelaine et s’infiltre dans les coins. Agathe observe les pieds du piano qui trempent dans une petite flaque grise, le Docteur Harris devra le réopérer, il manque quelques touches maintenant, plus de musique avant un bon moment.
Agathe essuie sa bouche, elle fait le premier mouvement depuis de longues minutes. Une fois sur ses deux jambes, elle ramasse les lettres que Dylan observe avec envie. Les autres sont toujours dans le tiroir ouvert, Agathe n’en oublie pas une seule, qu’elle plie le plus possible et insert dans une poche intérieure de sa veste. Ensuite, dans un désagréable grincement couplé à l’écrasement du bois humide, Agathe ouvre en grand la porte. L’extérieur est gris et sans lumière, la pluie est en train de ruiner le sol. Des flaques se sont formées, des cailloux sont déjà en train de patauger dedans et l’herbe se noie.
Elle n’est pas retenue. Sans un mot de plus, Agathe s’en va, la pluie lui tombe dessus.
Dylan ne restera pas longtemps seul, il n’est pas chez lui ici, même si la trace de son amour a tout détruit.
Il n’en est plus. La trace de la haine en revanche, s’étend sur d’avantage de place, dans le trou béant qui s’est creusé aujourd’hui. Il peut y placer toute la vengeance dont il rêve.
***
Après un très long et lent trajet, Agathe arrive chez elle. La pluie la rend lourde et ses cheveux lui tombent sur le visage. Si ça ne la pas gênée pendant sa marche, elle n’ose pas dépasser le tapis de l’entrée dans cet état. Agathe retire ses chaussures, elles passeront la nuit dehors et peut-être qu’un retour inespéré du soleil les feront sécher. Avant même d’avoir eu le temps de se déshabillé de sa veste, Monsieur Ford cour dans le couloir.
« Agathe ! J’étais inquiet avec le temps qu’il fait… Ho ! » La pluie fait couler le sang mais il reste quelques amas collés sous son nez et sur ses lèvres. Son père se met immédiatement en colère.
« Qui t’as fait ça ! Je vais lui en toucher un mot !
— Papa, il ne faut pas que le Docteur Willem revienne. Il est dangereux pour Mercure, il ne faut pas qu’ils se revoient. » La jeune fille fouille dans sa poche mouillée toutes les lettres qu’elle a embarqué pour les donner à son père. Elle lui laisse le soin de les déplier, par chance, l’encre n’a presque pas bavé. L’attention de Monsieur Ford se porte immédiatement sur les destinataires de ces lettres, sans même les lire il comprend la gravité de cet échange.
Agathe ne reste pas avec lui pour la lecture. Monsieur Ford s’asseoir à la table de la salle à manger et dispose chaque papier dans l’ordre en suivant les dates indiquées. C’est malheureux, mais c’était prévisible. Mercure a même eu beaucoup de chance de ne pas avoir été confronté à ce problème bien avant. L’indifférence des habitants de Dryade lui a porté chance. Mais aujourd’hui, le principal danger est un adolescent avide de vengeance, rien ne retiendra Dylan d’aller rapporter que Mercure se cache chez les Ford. Il faut que l’hiver se termine vite.
En attendant de savoir quoi faire, Agathe est allongée près de son amoureux, pleine de peur et d’anxiété. Il ne peut pas la consoler, elle en a besoin.
« Réveille-toi vite, Mercure, tout va mal et j’ai peur... » Quand elle est près de lui, même l’hiver, elle ressent de la chaleur qui circule sur sa peau, dans son visage, au creux de ses mains. C’était évident, il y a bien des moments ou cette chaleur n’est pas nocif. Agathe s’y sent bien. Ça la rassure un peu.
Agathe ne s’endort pas, elle n’y arrive pas. Mais elle reste près de deux heures avec Mercure. Pour le repas, rien ne lui donne envie, le visage morose elle se force à manger un morceau de pain, puis ira se coucher sans se laver. Les draps maintenant humides et odorants ne la gênent même pas. Encore une fois, impossible de dormir, elle se tourne deux, trois, quatre fois dans son lit sans cligner une seule fois des paupières. Son esprit est occupé. Dylan… Quand il aura tout balancé sur internet ou on ne sait où, que se passera t-il après ?
Le premier jour du Printemps est dans un mois. Le réveil de Mercure n’est jamais exactement à cette date, et il peut prendre plusieurs jours. Il dépend du temps et de la température, c’est la seule fois de l’année ou Mercure n’est pas à l’origine de la couleur du ciel.
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