Chapitre 38

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Trois, quatre, cinq personnes hier se sont aventurées à Dryade. Aujourd’hui, six pour le moment, dont deux médecins. Et les habitants, à présent très fier du trésor qu’ils abritent, ne cessent de se vanter de Mercure. De nouvelles rumeurs fleurissent frénétiquement sur les réseaux, mais il n’existe encore aucune photo, bien heureusement. Et Agathe y veille particulièrement.

Ce n’était pas l’été dont elle rêvait, enfermée chez elle avec Mercure. Ce n’est pas grave, ils sont ensemble, et ils se sont promis de ne jamais se quitter pendant cette période compliquée.

Pendant cette calme après-midi, Agathe et Mercure sont en train de lire les plans de navigation de Monsieur Ford, allongés par terre sur le parquet chaud. Un paquet de chocolat se vide progressivement, au prix de taches sur les doigts et autour de la bouche. Cette carte qu’ils étudient situe la Baie de Femir et toute la côte maritime jusqu’à vingt kilomètres au Nord. Agathe adore son rôle de professeur, elle explique avec justesse comment lire les cartes marines, à commencer par les couleurs. Les zones blanches sont les grandes profondeurs, le bleu, les faibles profondeurs. Elle pointe également du doigt les petits points roses, ce sont les phares, il y en a deux sur la carte. Mercure écoute très attentivement, même s’il n’est pas sur de tout retenir.

« J’ai déjà été dans celui-ci, avec Papa. Il n’est qu’à douze kilomètres de la côte. Je l’aime bien, tout le sol est en mosaïque, et quand il y a du soleil tout l’intérieur ressemble à un arc-en-ciel. Il y aussi des murs carrelés qu’avec du bleu, c’est super joli ! Papa m’a expliqué qu’il y avait une chambre ou pièce secrète mais la porte est complètement verrouillée, et les grades-côtes n’ont pas la clef. J’aimerais tellement savoir ce qu’il y a dedans. » Agathe continue ses explications, à présent, elle parle des lettres et abréviations indiquées sur la carte, des niveaux d’altitudes des rochers recensés,...

Mercure n’écoute plus du tout, il essaie d’imaginer la mosaïque du phare et le soleil qui se propage à l’intérieur. Peut-être même que certaines vitres sont colorées elles aussi, Mercure adore le vitrail. Comme une seconde Maison de Porcelaine, mais au milieu de la mer.

Le Phare Mosaïque.



***



Monsieur Ford frappe à la porte. C’est au moment où le ciel se voile. Mais cette fois, il n’entre pas immédiatement, il attend qu’on lui autorise. C’est peut-être parce qu’Agathe a grandi, et qu’elle n’est plus la petite fille qui joue dans sa chambre avec ses copains et copines. Ce n’est plus aux petites figurines qu’elle joue.

Une ombre passe, et plusieurs oiseaux s’envolent.

Il s’écoule une minute entière avant qu’Agathe ne lui permette d’entrer, alors que ses yeux étaient rivés sur la poignée. Celle-ci tourne vers la droite.

Monsieur Ford est debout, et il ne bouge pas. Il ne sourit pas. Il ne parle pas.

C’est un visage qu’Agathe n’a vu qu’une seule fois dans sa vie, c’était après que le facteur soit passé à la maison, et qu’il ait déposé une lettre de la police. Monsieur Ford avait dû annoncer à sa fille qu’on ne retrouverait jamais sa maman.


Le calme est plein d’angoisse. Agathe ne veut pas savoir, mais s’il ne se passe rien son cœur va exploser. Monsieur Ford lève le bras droit, dans sa main les clefs de la Studebaker. Il les tend à sa fille.

Agathe respire plus fort, sa poitrine l’élève plusieurs fois, il y a une décision compliquée à prendre, quelque chose de compliqué à accepter.

Sur le trousseau il n’y a pas qu’une seule clef.

Agathe serre les poings.

« Ils vont bientôt arriver. Tous ces gens, ils prennent très au sérieux les rumeurs sur Internet. Ils ont des informations historiques, des données, des preuves. Ils ont des autorisations pour fouiller la maison. » Monsieur Ford marque un arrêt, cette fois il observe le sol. Une respiration plus tard , il retrouve le courage de parler.

« Ils ont vu tes dessins sur internet, les portraits dans tes carnets, et ils ont trouvé une photo. »

Agathe se lève immédiatement, attrape son sac et se met à le remplir des cartes marines, de ses carnets, tous ceux qui sont susceptibles de contenir le moindre dessin de Mercure, et de ses effets personnels les plus importants. L’agitation ne plaît pas à Mercure, mais lorsqu’il croise le regard de Monsieur Ford il comprend que tout ceci est nécessaire.

Lorsqu’elle est prête, Agathe enfile son sac à dos. Il n’est pas bien rempli. Au moment où elle attrape les clefs à pleines mains, elle se serre toute entière contre son père. Pour elle, il n’y aura sans doute aucune conséquence, elle reverra son père sans problème, on ne lui fera rien de mal. Pourtant, les fibres de son cœur changent, se décomposent et se recomposent.

Monsieur Ford embrasse le front de sa fille. Agathe se libère, elle attrape la main de Mercure et l’entraîne avec elle vers le couloir. Ils ne passeront pas par la porte principale, hors de question qu’on les voit sortir ensemble. Cruelle nécessité.

Mercure n’a rien à emmener avec lui, il n’a jamais rien traîné derrière lui au fil du temps. Il a toujours pensé que ses souvenirs lui suffiraient, là encore, quelle dure réalité. Tout ceci disparaîtra un jour.

Alors qu’Agathe le tire avec elle, Mercure voit le temps passer lentement, c’est bien la première fois, que sa vie est menacée, qu’il en a conscience, que le monde lui fait peur. C’est aussi assez inédit, le goût du regret, et s’il ne revenait jamais dans cette maison ? Dryade était enfin devenue « chez lui ». Que ce soit le terrier ou sa chambre chez les Ford, il ne veut pas quitter ce confort-là. Les fleurs n’ont jamais autant fleuries.

Devant la porte de la buanderie, où il fait noir, l’ampoule ne fonctionne plus, Agathe attrape son voile de dentelle noir qui était accroché sur la porte manteau. Un porte-manteau qui sert en réalité à accrocher tout ce dont ils ne se servent qu’une ou deux fois par an. Elle recouvre Mercure avec pour cacher son visage. Il devra s’en servir comme d’un manteau ou d’une capuche le temps de traverser le village. Ils n’ont aucune idée de qui les attend dehors, si ce sont les habitants soudainement heureux d’héberger Mercure parmi eux, des adolescents avec une curiosité malsaine, ou bien une bande de médecins avides de découvertes. Agathe soulève le voile et embrasse Mercure.


Nous sommes le 29 Juin. Il ne s’agit plus que de sauver Mercure.

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