Chapitre 46
C’est ici, où la beauté n’a pas perduré.
Cet ancien passage couvert est épargné de peu par la poussière rouge. Mais les murs en pierres et mini architectures n’ont pas survécus à la guerre. Des débris de vitraux et de carrelage sont étalés sur le sol, par endroit, des morceaux de verre tiennent encore sur les façades de commerces. Le papier des affiches artistiques a moisie, ne reste que des pâtes de papiers séchés par terre. Mercure n’a pas eu le temps très longtemps de goûter à la beauté de cet endroit, déjà évacué par la population il y a longtemps, il se souvient du soleil qui passait par les vitres colorées. Femir aurait du être épargné.
Aujourd’hui tout est gris, très foncé, ou même très sombre. Les pas résonnent dans toute la galerie, Mercure et Dylan se suivent au son, que produit l’autre.
« Pourquoi tu m’emmènes ici Mercure, tu penses pouvoir te cacher ? » Hurle Dylan pour être entendu, il ne respecte rien, et le rouquin se sent coupable de l’y avoir introduit.
« Ils me pardonneront pour ça... » Murmure Mercure en passant par dessus un muret de moins d’un mètre, la vitrine à disparue.
L’avantage que Mercure possède par rapport à Dylan, c’est qu’ici encore, il ne voit ces lieux qu’au travers de ses souvenirs. Dylan observe une ruine couverte, tandis que Mercure avance dans une splendide galerie pleines de commerces et d’endroit dissimulés qu’il connaît par cœur. Il vient d’entrer dans une boutique de guitares et d’accessoire de rock. Des amplis, des pédales à effets, des photographies en noir et blanc mises à l’honneur sur les murs. Toutes les guitares sont des Gibson, d’un rouge flamboyant, elles sont toutes neuves et peut-être que les cordes n’ont encore jamais été tirées. Ce modèle, à droite, date de 1960, Mercure l’a vu ailleurs quelques part ou dans le journal. Un tourne disque fait danser la lumière sur ce meuble en bois brillant. Il y a aussi tout un tas de vinyles exposés partout dans la boutiques, les tintes oranges, rouges et marrons réchauffent considérablement ce commerce.
Les vinyles y étaient peut-être, les guitares électriques probablement pas, même si elles ont toutes l’air vintage… la mémoire de Mercure dysfonctionne.
Alors la plupart des guitares disparaissent.
Mercure pense qu’il doit s’éloigner d’ici, il se précipité vers une porte en bois qu’il doit presque enfoncer pour pouvoir passer. Des écorces et échardes s’effondrent. Derrière cette porte se trouvent des écrans cathodiques d’ordinateur, des claviers, tous à des prix luxueux indiqué par des petites étiquettes jaunes. Au milieu de tous ces produits trônent deux machines à écrire, les touches sont en métal.
« Enfin… le premier ordinateur personnel Kenbak-1 est vendu au début de l’année 1971, je l’avais lu dans le journal, il n’y avait pas d’ordinateur avant la guerre, Mercure réveille-toi. » Se dit-il en avançant entre les Macintosh et Micral N. Il quitte tout aussi vite ce commerce. Il ne pouvait pas y avoir d’ordinateur, ce n’est pas possible, ce n’est pas possible… il se le répète à plusieurs reprises. Pour confirmer ses dires il plonge sa tête dans ses mains, debout, devant l’entrée du commerce. Le carrelage alterne entre le noir et le banc, c’est l’allée principale de la galerie.
« Rappelle-toi, la première fois que t’es retrouvé devant un ordinateur. Rappelle-toi. » Mercure fait défiler des dizaines d’année de souvenirs, sur toute sa vie, ce n’est pas grand-chose, trente ou quarante ans. Puis entre tout cela, il revoit la devanture du commerce. S’il n’est pas capable de se souvenir exactement de l’aspect de cette galerie dans son état originel, il se retrouvera démunie face à Dylan, n’importe où dans un champ de ruine.
Les années Quatre Vingt Dix. Les année Quatre Vingt. Les années Soixante Dix.
Il se revoit taper sur une machine à écrire, celle que le patron d’Amélie lui avait offerte dans l’espoir de la séduire avec des promotions trimestrielles. C’était une courte histoire sur l’hiver, une pure invention, une science fiction totale.
Il y a toujours des ordinateurs dans la vitrine.
Il se revoit rédiger des lettres, il annonçait son départ à sa belle famille, à sa fiancé. L’encre de son stylo plume n’arrêtait pas de baver et il se sentait honteux de ne pas se servir correctement de ce cadeau, celui que lui avait offert son beau père. Tant d’efforts pour lui prouver qu’il était le gendre idéal. A la poubelle.
Il y a toujours des ordinateurs dans la vitrine.
Il se revoit remplir un formulaire, où il devait renseigner son âge, sa taille, son poids, ses compétences de lecture et de compréhension des consignes. On lui demandait clairement s’il serait docile aux ordres qu’on lui donnerait.
Il y a toujours des ordinateurs dans la vitrine.
Il se revoit griffonner une carte dans la précipitation et le bruit sourd de l’éclat d’un obus. Il devait prendre en charge une opération en péril, mais aussi la vie de ses camarades d’infanterie dont la plupart était blessés, ou mort. La destination avait changé. le groupe encore vivant et possédant tous, ou presque, tous leurs membres, devaient rejoindre Femir.
Il y a toujours des ordinateurs dans la vitrine.
Il se revoit attraper avec hargne un des magnifiques stylos plume, en fracassant la vitrine, pour l’enfoncer en plein dans l’œil droit de son ennemie. Le soldat adverse se mit à hurler, reculant de quelques pas en relevant la tête. Mercure était délivré de son emprise, il put s’enfuir en passant par la vitrine, renversant au passage plusieurs emballes couvrant les stylos.
Mercure se retourne en ouvrant les yeux. Ce ne sont pas des ordinateurs, se sont des stylos plumes d’une marque prestigieuse.
Ses souvenirs remettent enfin en place visuellement les éléments de cette vitrine. Les autres finissent par s’unir à la cohérence globale de sa mémoire. Et ce ne sont pas non plus des Gibson dans la boutique d’à côté, ce sont des lyres, des saxophones, des boites à musique, des postes de radios Teleco ou Radialva, qui sont exposés.
Tout est tel quel. A une chose près, c’était bien la réalité. Des obus étaient en train de détruire beaucoup de commerces. Mercure sait où il se trouve.
« Mercure ! » Crie Dylan en essayant de le frapper, il l’a déjà retrouvé. Mais ce n’est pas grave, Mercure n’essayait pas de se cacher. Le rouquin esquive habilement la lame du couteau qui tente de lui couper au visage, il lui suffit de se baisser à temps. Ensuite, il peut enlacer complètement le corps de Dylan et le plaquer contre le mur le plus proche. Ce n’est pas un mur, c’est une vitre. Elle éclate complètement, et les deux hommes s’échouent à l’intérieur de la boutique de confiserie. Pour le maintenir au sol, Mercure offre un puissant coup de poing au visage de Dylan.
« Ah ! » le nez est cassé. Irrémédiablement cassé. Pendant que Dylan se frotte le visage et s’étale du sang partout sur la peau, le rouquin lève la tête et observe autour de lui, tous les meubles et étagères qui rangent des bonbons colorés dans des pots en verre, des chocolats, des sucettes rondes emballées de jolis nœuds papillons. Plusieurs contenants sont fracassés eux aussi, les couleurs et le sucres vomissent par terre, les soldats ne faisaient attention à rien.
Dylan attrape le col de Mercure et le tire vers lui brusquement, le rouquin est obligé de plaquer les deux mains sur le sol, de part et d’autre de son agresseur.
« Que tu sois malin ou pas, Mercure, je frapperai plus fort que toi. C’est la loi du plus fort. Si tu me casses le nez, je briserais ton crane mille fois. Et avoir lu de grandioses littératures ne le réparera pas. Tu n’auras pas de tombe, et je viendrais piétiner la terre morte dans laquelle tu te sera décomposé. Tu sera seul, mais ce n’est pas grave, n’est ce pas ? Puisque tu auras été un gentil garçon qui ne fait de mal à personne. » Mercure n’écoute pas, il a les yeux rivés sur une commode au font de la boutique, petite et sans prétention, elle dépasse derrière le comptoir en bois.
« J’aurais gagné, Mercure, j’aurais gagné ! »
La poignée du premier tiroir est jaune luisante, des éclats forment des petits creux noirs dessus. La serrure juste au dessus empêchait l’ouverture, mais après avoir frappé dessus à plusieurs reprises, le tiroir s’était ouvert, oui, c’était facile, et tout ceci dans un unique but. Mercure s’en souvient, après une ou deux difficultés, observer les quatre coins du tiroir et entendre le crissement du rouage. « Cache tout à l’intérieur Mercure, on les détruira s’il faut. Mais ne te reproche rien, surtout, n’oublie pas que c’était un accident. » Mercure expire fébrilement quand il entend les instructions de son caporal chef.
« Écoute-moi quand je te parle !
— J’ai très bien comprit, merci. » Réplique froidement le rouquin en se libérant. Maintenant sur ses deux jambes, il marche vers la commode. Dylan se redresse à son tour, du sang tombe encore de son nez. Comme si le sol n’était pas assez taché comme ça. Il fait demi-tour et cherche autour de lui où il a pu échapper le poignard, le couteau est forcément tombé quand ils ont traversé la vitre.
Mercure tire sur la poignée luisante du tiroir.
A quelques mètres de là, le brun sourit, il est satisfait lorsqu’il retrouve l’arme qui lui fait se sentir puissant, entre les débris de verre rougies. Il passe ses doigts sur la lame en une intime caresse avec la violence, et lorsqu’il se rend enfin de nouveau disponible, Mercure pointe un Colt de 1911 sur son crane.
« Je sais m’en servir, Dylan. »
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