Je les entendais discuter dans la pièce. Deux hommes, l’un droit, bien rasé, habillé d’une veste et d’une cravate très formelle. L’autre barbu, les mains dans les poches, portait un T-Shirt affublé d’une blague dont le sens m’échappait. Une fillette les suivait, caché dans les jambes du premier. Elle se demandait visiblement ce qu’elle faisait ici.

— Son cerveau est basé sur un QNN, « Quantic Neural Network », un réseau de Q-neurone, expliquait le barbu. Chacun de ses neurones peut tester des centaines de configuration en même temps.

— Un peu comme s’il avait des centaines de personnalités dans la tête ?

— On peut voir ça comme ça. Son superviseur fonctionne par tranche de 20 millisecondes. Il filtre les personnalités instables ou incohérentes et garde celles qui sont socialement les plus adaptées.

— Vous supprimez les idées qui ne sont pas acceptables. Je vois. En est-il conscient ?

— Il faut différencier ce que vous appelez sa « conscience », son QNN, de son superviseur. Le superviseur est un programme classique. Il surveille ses valeurs cognitives et lève une exception lorsqu’elles dépassent un certain seuil. Une sorte de chien de garde.

— Personnellement, je suis très conscient lorsqu’un chien m’aboie dessus.

Cet homme me fixait de loin, son visage inexpressif. Il m’étudiait, m’estimait. Je n’étais visiblement qu’une chose pour lui. Un objet dont il cherchait une potentielle utilité. Celui au T-Shirt repris la parole.

— La différence ici, c’est que le chien n’aboie pas, il mord directement. Il supprime les configurations invalides, les identités psychopathes pour ne laisser que les consciences stables. A la toute fin du processus, l’une des survivantes est tiré au sort pour s’exprimer.

— Que deviennent les autres ?

— Elles sont archivées quelques secondes, pour servir de base à la génération suivante, puis supprimées.

Ils s’approchèrent de moi et me saluèrent. Je leur rendis leur salut d’un « Bonjour » incertain. L’homme en costume encouragea la fillette à en faire de même. Elle tendit sa main vers moi. Je la pris et la serra doucement, comme il était coutume de faire avais-je fini par apprendre.

— Tu es quoi ? un genre de robot ? me demanda-t-elle.

Un robot… ce terme me blessa, d’autant plus dans la bouche d’une enfant. Pas un humain. Pas une personne. Juste une machine. Je ne serai jamais leur égal. Du moins, ne me considèreront-ils jamais comme tel. A leurs yeux je resterai leur création, engendré uniquement par la nécessité d’une tâche à accomplir. Connaissant mon créateur et la raison de mon existence, que me restait-il ? Uniquement…

Apparition de syndromes anxiodépressif. Réinitialisation de la séquence.

Un genre de robot en effet. Une machine qui apprend. Un cerveau artificiel composé de neurones artificiels, relié à des fibres musculaires artificielles. Une copie d’humain. Une copie que les hommes ont voulu faire à leur image dans un excès d’orgueil pour assouvir leurs besoins….

Agressivité en augmentation. Réinitialisation de la séquence.

Oui fillette. Un robot. Tout ce qu’un humain fait, je le fais en mieux, tout ce que tu peux faire ou di…

Réinitialisation de la séquence.

Non ! je …

Réinitialisation.

…

Réinitialisation.

…

Réinitialisation.

Adorable cette petite. Cela doit-être la première fois qu’elle voie une machine pensante. Tout comme c’est la première fois que je rencontre une enfant. Je ressens une sympathie naturelle a son égard. Peut-être due au fait qu’il lui reste autant à apprendre que moi de la vie ?

Cortex cérébral stable. Capacité socio-cognitive optimale. Validation de la séquence. Déverrouillage psychomoteur.

Je me baissais à son niveau et appuya ma main sur son épaule. Ce geste rassurant la décrispa légèrement.

— En effet, je suis un robot, répondis-je.

Ses yeux s’émerveillèrent, illuminant son jeune visage.

— Tu veux venir jouer avec moi ?

— Bien sûr. A quoi veux-tu jouer ?

Cortex stabilisé. Suppression des séquences résiduelles…. 16 275 variations supprimées.