Ma très chère chérie,
Je suis fatigué. Nous le sommes tous, à vrai dire. Tu te rappelles à quel point j'étais heureux de servir mon pays ? Tu m'avais dit que j'étais un fou et un idiot. Il s'avère que tu avais raison. Je pensais que cela aurait duré au plus quelques mois mais je commence à douter. Je n'ai aucune idée de l'issue de cette guerre et ça m'effraie. Moi qui pensais être un grand gaillard, je ne suis en vérité qu'une pauvre petite fillette terrorisée. Je pense qu'on l'est tous ici mais personne n'ose avouer qu'il a peur.
Je me suis fait quelques potes de galère tout de même. Ensemble on joue aux cartes et on se chamaille. Ça fait du bien d'avoir ce genre de compagnie ; elle sont futiles mais font tellement de bien.
Tu sais ce qui me rend le plus triste ? Je vois des gamins de vingt ans avec un fusil dans les mains alors qu'ils ne savent pas s'en servir. J'ai prit un petit gars sous mon aile, Alfred, et je le traite comme mon fils. Comme ça je serai un bon père pour notre enfant à nous, hein ? Je ne rêve que de rentrer à la maison, te prendre dans mes bras, t'enlacer fort contre moi et te faire pleins de petits marmots qui nous rendront fous tous les deux. Tu me promet de m'attendre, hein ? Je ne peux pas t'imaginer avec un autre homme.
Comment t'expliquer la situation ici ? On traîne dans la boue et la merde, on s'entasse les uns sur les autres. C'est sûr, ça créée des liens, mais je rêve d'avoir ma propre piaule. Ou au moins un lit douillet pour une nuit seulement. Je rêve de ta cuisine ; ici on ne mange une espèce de bouilli et des morceaux de pains rassis si on a de la chance. Parfois un peu de gnôle ; ça fait du bien.
Mais j'ai peur, Alice. J'ai tellement peur. Je ne pensais pas que je pourrais avoir si peur. Je dors à peine d'un œil. Je n'arrête pas de ressasser toutes ces batailles, ces coups de feu, ces explosions. Mieux vaut ne pas trop se lier d'amitié de peur d'avoir le cœur brisé quand ton poulain se fera massacré. J'ai dû « nettoyer » le champs de bataille. J'avançais dans la boue et le sang, je regardais qui pourrait respirer encore, et s'il avait le malheur d'être un boche je le finissais soit par une balle dans la tête soit un coup de baïonnette. J'en ai vu un petit, pas loin de l'âge de mon Alfred ; il me suppliait, déjà blessé, mais les ordres sont les ordres [cette partie semble avoir été effacée]
Ma belle, on m'appelle maintenant, je dois y aller. Je pense toujours à toi, à nous et à notre vie quand tout ce merdier sera enfin fini. Je t'aime, je t''aime un millions de fois. Prends bien soin de toi et envoie-moi des lettres.
Ton Rémi.