Ouverture dans 10 minutes - Temps : 5 minutes
C'en était trop. Clairement on se foutait de sa gueule. Elle se redressa, jeta la boite à la poubelle et partit chercher un gros pull dans sa garde-robe. Il lui fallait de l'air. Elle avait déjà son programme en tête : téléphoner au boulot, se faire porter pâle. Aller prendre son café au coin de la rue et s'assoir au parc avant d'éplucher méthodiquement ses contacts afin de les appeler pour les cuisiner. Il y a des limites aux farces !
Elle se rendit compte qu'elle était occupée à faire défiler l'ensemble de ses pulls dans un mouvement répétitif, tout en tournant les mêmes idées en boucle dans sa tête. Stop ! Elle empoigna le premier disponible, l'enfila et sorti de la chambre, direction : la hall, sa veste et après, l'air libre !
Elle traversa d'une traite la cuisine, jetant un œil machinal vers le salon par dessus l'îlot - une boite - puis continua vers...
Elle s'arrêta, glacée. Qu'avait-elle vu ?
Sa poitrine se serra, elle se tourna lentement vers le salon. Ses yeux n'osant pas tout à fait la voir, mais elle l'avait pourtant déjà bien vue. Elle était là. Bien plus grande que les deux autres, posée en biais sur le coin de la table du salon...
Sa respiration se fit haletante, elle suffoquait. Son cœur envoyait des vagues enflammées dans tout son corps. Tatonnante, elle fit le tour de l'îlot sans oser directement la regarder, ses doigts s'enfonçèrent dans le dossier du sofa. Quand elle fut prête, elle fixa directement l'intruse. C'était bien une nouvelle boite noire, mais qui n'était pas là il y a encore quelques minutes ! Ses jambes l'abandonnèrent soudain et elle s'affala derrière le canapé.
Couchée sur le sol, elle se répétait "Ce n'est pas possible, ce n'est pas possible" mentalement. Un monstre aurait pu tout autant être au milieu de son salon, ça lui aurait fait le même effet.
Il y avait quelqu'un chez elle. C'était la seule solution, la seule explication logique. À cette idée son angoisse laissa place à une autre réaction, électrisante. La terreur lui insuffla une nouvelle énergie. Elle s'accroupit ; toujours à l'arrière de son fauteuil, dont la douceur du tissu semblait presque indécente face à l'horreur qu'elle vivait. S'aidant de ses doigts, crispés sur le dossier, elle laissa progressivement émerger son visage au-dessus des appuie-têtes en velours.
L'immense colis en carton sombre semblait la regarder de haut, méprisant. Et vu l'état dans lequel elle était, il pouvait bien la toiser !
On aurait dit que la toute première boîte avait triplé de volume. Elle avait à présent le volume d’un micro-onde, qu'on lui aurait livré par surprise.
Elle se releva très précautionneusement pour éviter d’émettre le moindre son. Où pouvait se planquer le "livreur" ? Pas dans le salon, il n'y avait pas de quoi se cacher. Pas dans sa chambre, puisqu'elle venait d'en sortir. La cuisine n'offrait aucune planque et elle la voyait d'ici. Si l'invité avait filé par la porte d'entrée, elle l'aurait de toute façon entendu. Restait la salle de bain...
Très doucement, sans geste brusque, elle contourna à nouveau l'ilot et parti trouver un autre couteau dans son tiroir (zut, les deux meilleurs étaient restés dans le coin du salon). Un couteau à éplucher ferait le travail... Elle se rapprocha de la salle de bain.
— Je suis armée ! Osa-t-elle, comme si elle tenait une grosse mitrailleuse. Aucune réponse. Elle soupira, tentant de se dire que le seul moyen pour qu'il puisse y avoir quelqu'un chez elle supposait que son invité se soit planqué dans sa chambre, au moment où elle prenait sa douche, puis se serait vite glissé dans la salle d'eau, en portant cette énorme boîte, avant de... Non, rien de tout cela ne tenait la route. Il ne pouvait pas y avoir vraiment quelqu'un !
Du bout des doigts elle poussa la porte de la salle de bain. Un fond de brume humide résiduelle s'échappa (foutu extracteur qui ne marchait pas bien) et s'ouvrit sur une pièce bien vide. Elle souffla, elle était maintenant certaine qu'il n'y avait personne. Mais son anxiété en était décuplée, car il était maintenant évident que la boite était soit apparue toute seule dans son salon, soit qu'elle venait de sombrer dans la folie !
Elle regarda son four, le fidèle gardien du temps. Combien de temps était passé depuis le message concernant la TV ? Oh et puis flute. Elle longea l’îlot et retrouva le salon, elle ne souhaitait pas vraiment s’approcher de l’objet sur la table, mais il lui fallait prendre la télécommande qui était… Juste à côté. Avec une infinie prudence, comme si l'objet décelait quelque chose de monstrueux, capable de sauter comme un petit diablotin sortirait de sa boite, elle glissa sur son sofa pour l’éviter et parvint à saisir le boitier de commande. Elle ramena ses jambes et se mis à l’extrémité du canapé, le plus éloigné possible de la chose.
La TV s’alluma. Elle chercha la chaine sept, elle ne savait plus trop ce qu’elle concernait. Elle découvrit les actualités. Le journaliste, avec des airs concupiscents, dialoguait avec une journaliste sur le terrain. Un thème rasoir du genre politique, songea-t-elle, le genre qu’elle zappait vite fait. Mais elle se retint. Les cinq minutes devaient être proches. Et la curiosité l’emportait lentement sur la frayeur.
L'excitation se mêlait à la terreur, comme si elle était au seuil de la fin du monde, mais que sa vie ne changeait pas d'un pouce ; que la folie venait s'insérer dans le commun, recouvrant insidieusement le normal, l'air de rien, sans gros impact, même très doucement, mais en s'installant néanmoins. Elle se dit que si quelqu'un rentrait chez elle et la voyait à côté de sa boite, entièrement crispée sur sa télécommande, avec le visage probablement aussi blanc que les murs, il la prendrait pour une aliénée.
Elle s'efforça de retracer les choses depuis hier soir. Même avant... Mais qu'avait-elle fait avant ? D'où venait-elle ? Elle ne parvenait pas à s'en rappeler. Son dernier souvenir était son arrivée dans l'appartement, l'appel téléphonique. Mais que lui avait dit l'ami au téléphone, qui était-ce ?
La tête lui tourna, elle n'avait plus de souvenirs du jour d'avant. Ni de ceux qui précédaient ! Elle se frappa la tête à répétition, c'était un cauchemar ! Une démence !
Elle saisit ses cheveux, les tira très fort, jusqu'à sentir la douleur. Elle était atroce, mais ça faisait du bien. Quelques maigres boucles restaient coincées entre ses doigts. Elle devait se calmer. Souffler.
Son téléphone ! Où était-il passé ? Il n'était plus d'application d'essayer de se débrouiller seule dans un moment pareil ! Alors elle appela sa mère.
Tonalité répétitive, téléphone éteint.
Son père. Même chose.
Fab'frère - tant pis pour les insultes et la rage, ici c'était force majeure ! - occupé aussi !
C'est alors que le journaliste changea de sujet.
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