Les Médias
- Nous ne pouvons pas être jugés. Cette estrade est trop petite pour deux.
À peine s'étaient-ils levés, que déjà les Médias trouvaient tout à redire pour ne pas passer sur le plateau des accusés.
- Si le Cinéma a tenu, vous tiendrez à deux.
Plutôt fier de sa réplique, le Théâtre cherchait la validation auprès de ses compères, sans grand succès.
Les Médias, eux, montèrent finalement, regardant avec suspicion chacun des Arts attablés, calculant déjà comment contrer chaque critique. Après l'infernal brouhaha qu'avait suscité le passage du Cinéma, l'Architecture avait décrété qu'ils fonctionneraient tour par tour, et qu'elle serait celle indiquant qui pouvait avoir la parole. La Littérature étant la première à lever la main, elle put parler avant tout le monde :
- Vous êtes deux indignes fils de pute, si tant est qu'une mère ait pu enfanter pareils morveux. De plus, vous ne consistez qu'à critiquer les autres, dont la littérature ! Je ne vois pas en quoi cela est un Art !
Ils pouffèrent simplement, et la petite femme monta encore d'un cran de colère. Le binoclard du duo prit la parole :
- Ma chère, vous ne cessez de répéter la même chose. Comme tous ceux qui cachent un secret, vous n'aimez pas que nous, les vrais serviteurs du peuple, nous mettions en lumière vos petites magouilles...
- C'est mon enfant que vous appelez "magouille" ? s'indigna le Dessin.
- Dessin, vous n'avez pas la parole...
Comme un gamin repris par sa mère, il s'excusa auprès de l'Architecture, et la regardant dignement, leva la main. Soupirante, elle lui donna la parole.
- C'est mon enfant que vous appelez "magouille" ?
- Non c'est votre secret que nous appelons magouille.
- Colporteurs de boniments !
- Bande de sacs à merde !
- Cinéma ! Vous n'avez pas la parole !
- M'en branle, moi j'suis exemplaire depuis le début ! Vous êtes des sacs à merde, qui vous faites du pognon en critiquant les oeuvres des autres !
Pour une fois, l'assemblée eut l'air d'accord avec le Septième Art. Les voix s'élevèrent, et l'Architecture, cessant de lutter contre l'immaturité de ses compères, soupira en passant ses mains sur sa tête. Une fois le calme revenu, les Médias ne répondirent qu'une chose en souriant :
- Vous avez beau dire que nous n'existons que pour critiquer ce que vous faites, sans nous, le public ne saurait pas quoi écouter, quoi aller voir ou quoi acheter. Un Humain est un petit être fragile, riche de ses seuls doutes, et sans lumière sur ce qui est bien et ce qui ne l'est pas, il se perd dans l'absurdité du monde, et ne consomme donc rien. C'est nous, qui faisons marcher vos commerces, alors au lieu de vous plaindre, remerciez-nous.
Ils firent peser un lourd silence pendant quelques instants, l'accompagnant de leurs seuls sourires face à la remise en question de tous. Encore une fois, ils avaient réussi à s'en sortir, et purent quitter l'estrade calmement, sans aucune crainte d'être l'Art supprimé.
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