Des jours meilleurs

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J’ai découvert une grotte pas très loin de chez moi, tout au fond d’un ravin isolé.

Je n’en ai parlé à personne. Même si mes parents disent que j’ai la tête sur les épaules pour un gamin de douze ans, je sais que leur confiance a ses limites. Ils me laissent explorer seul la campagne alentour depuis si peu... Je ne voudrais surtout pas les faire revenir sur leur décision !

Mon père a été muté dans la région en janvier. Il a pris son temps pour nous dénicher une villa à son goût, bien protégée et à l’écart du bourg. Ma mère, mes deux sœurs et moi l'avons rejoint cet été.

En voyant pour la première fois ma nouvelle demeure au cœur des vignes, j’ai compris que j'allais enfin réaliser mes rêves d'aventure.

J’adore la géographie et les récits de voyageurs.

Quand nous vivions en ville, au dernier étage d’un bâtiment donnant sur une voie très fréquentée, je me contentais de laisser mon imagination vagabonder sur la ligne d’horizon. Du monde extérieur je ne connaissais rien, en dehors du chemin pour me rendre à l’école voisine.

Interdiction m’était faite de quitter la cour commune de notre immeuble. Mon père nous répétait assez que la ville entière était devenue un coupe-gorge, qu’elle était sale et grouillante d’étrangers. Il demandait régulièrement sa mutation auprès de l’administration... qui a fini par l’entendre !

Je n’ai pas encore de vrais amis dans ma nouvelle vie, seulement des camarades de jeu.

Les jeunes du bourg forment des bandes rivales que j’évite soigneusement. Celle de la rivière, par exemple. Ses membres passent leur temps libre sur les berges, à racketter les autres enfants qui passent par là, ou à trafiquer avec des adultes aux intentions louches.

Résultat, on ne peut même pas aller se baigner sans risquer d’être pris à partie.

Quand j’en ai parlé à mes parents, l’autre soir à table, mon père s’est aussitôt emporté contre ces métèques qui poussent leurs enfants au vol et à la prostitution. Je ne connaissais pas ce dernier mot, ma grande sœur me l’a donc expliqué un peu plus tard en rougissant. Un vilain mot !

Récemment je me suis rapproché des enfants d’un vigneron voisin, des frères tranquilles et besogneux. On se retrouve parfois quand ils ont fini de prêter main forte à leur père. On discute de tout et de rien, on nargue gentiment les chiens du boulanger, on flâne en restant loin de la rivière ou de la place de la poste où sévissent aussi des voyous.

J’ai failli leur parler de ma grotte. Après réflexion, je me suis dit qu’ils seraient incapables de garder le secret. Ils sont beaucoup trop sages !

Et puis, j’aimerais d’abord explorer complètement ma découverte avant d’en ébruiter l’existence.

Son ouverture est dissimulée dans les épines. Je ne l’aurais jamais remarquée, si je n’avais pas tenté d’attraper un gros lézard qui se dorait sur une pierre juste à côté. Elle est à peine assez large pour laisser passer un adulte.

Je me suis faufilé dedans en glissant sur les fesses. La pente est raide au début, ensuite le sol devient plat et on peut se mettre debout. J’ai fait une dizaine de pas sous terre avant de m’arrêter afin que mes yeux s’habituent à l’obscurité. Grâce à la faible lueur qui baignait l’entrée, j’ai pu entrevoir des dessins bizarres sur les parois, comme des animaux ou des silhouettes humaines.

J’ai d’abord cru que la grotte servait de repère à des jeunes du coin ou pire, de refuge pour ces marginaux dont parle beaucoup mon père. Mais tout me prouvait que personne n’avait visité cet endroit depuis des années. Des toiles d’araignées encombraient le passage, des chauves-souris pendaient au plafond, une épaisse couche de poussière recouvrait le sol...

Je compte y retourner dès demain matin. Cette fois, je prendrai avec moi une corde ainsi que la grosse lampe de mon père. Il ne faut surtout pas qu’il l'apprenne, cette lampe lui a coûté une fortune ! Ma mère et mes sœurs seront aux préparatifs de mariage de je ne sais quelle voisine, ainsi elles ne me verront pas partir.

Ah oui, et ça tombe bien : l’école sera fermée ! Le maître a dû s'absenter en urgence, tout comme mon père.

Je crois que c’est en rapport avec les nouvelles alarmantes qui nous sont parvenues de Rome. La cité a été incendiée par des extrémistes qui vivent dans les catacombes. Des rumeurs disent même que leurs alliés barbares sont aux portes du Latium.

Ces fanatiques me font peur. Mon père raconte qu’ils préfèrent être jetés aux lions plutôt que de se conformer à la loi et qu’ils incitent les honnêtes gens à la sédition !

Il dit aussi que ces Romains convertis sont des traîtres qui complotent avec les pérégrins. Parmi ces derniers, les Celtes sont les pires, selon lui. Mes sœurs sont maintenant terrorisées quand des colporteurs gaulois se présentent au portail de la villa, avec leur camelote puante et leur accent horrible. Heureusement, tous nos esclaves sont grecs, ça rassure ma mère qui n'est pourtant pas snob.

Ma grotte tombe vraiment bien. Je pense qu’elle pourrait nous servir en cas d’invasion.

Nous pourrions y vivre en attendant des jours meilleurs.

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