Chapitre 1

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Chapitre 1 :

Le bruit des pas dans les escaliers, le frottement des vêtements contre son oreille, son souffle erratique, puis en fond les heurts et les cris, tous ces bruits paraissaient disproportionnés pour Gabrielle. Ils étaient douloureux, faisant poindre un mal de tête si puissant qu'elle devait se couvrir les oreilles pour tenter d'étouffer le brouhaha ambiant. Elle savait, malgré tout, que ça n'allait qu'empirer. Après avoir remonté un escalier interminable, l'homme les fit traverser plusieurs pièces. Cela sentait la fumée, le sang, la poussière, la mort.

Puis enfin, de l'épaule, il poussa une porte, la dernière.

Il y eu la fraicheur de l'air, le vent, l'humidité.

L'homme la déposa dans l'herbe alors que d'autres approchaient.

« J'y crois pas... s'exclama un des hommes non loin.

- Je l'ai trouvée dans les geôles.

- Il y avait une femme enfermée là-dessous?

- Ouais... Y avait bien d'autres personnes, mais que des hommes, ils étaient quasi tous morts. On a fini le travail. De toute façon, celle-là est dans un piteux état...

- Elle est vraiment jeune  … Depuis combien de temps vous êt… »

Un des hommes avait commencé à lui poser une question, mais un autre lui donna une coup le faisant taire.

Gabrielle avait juste ouvert les yeux pour lever la tête vers le ciel. Si elle tremblait ce n'était pas uniquement parce qu'elle avait peur, et si elle pleurait ce n'était pas que de douleur: elle était dehors et le ciel au dessus de sa tête s'étendait dans son immensité de velours noir, piqueté d'étoiles étincelantes, et de sa lune à peine naissante. Sur sa peau, la caresse de la légère lumière de l'astre de la nuit était comme un chant: vibrant, intense, indéfinissable… Elle pouvait ressentir jusque dans chacune des fibres de son corps quelque chose de sa vie d'avant se réveiller. 

« Ils l'ont enfermée si profondément, que la lumière de la lune ne pouvait plus l'atteindre, souffla un des hommes. 

- Putain…

- Ils ont eu ce qu'ils méritaient… Des monstres… 

A nouveau, l'homme qui l'avait fait sortir de sa prison s'avança pour s'accroupir devant elle. Mais sonnée, à terre, Gabrielle peinait à le regarder.

- Vous êtes restée combien de temps là dessous? demanda t-il d'une voix calme. 

- Je …Je ..»

Mais rien de plus ne pu sortir d'entre ses lèvres. Parce que rien ne lui venait à l'esprit. Il n'y avait que cette lumière, que cette lune, et la fraîcheur de la terre et de l'herbe sous ses mains. L'homme resta quelques secondes et une fois de plus s'approcha d'elle pour la sentir. Elle eut un mouvement de recul. 

« Elle sent la décoction de pavot, on a du droguer son eau ou sa nourriture pour la maintenir dans un état de conscience altérée. 

Un autre homme s'approcha, grand apportant quelque chose et le donnant à son vis à vis.

- Elle n'a pas l'air en pleine forme, mais on a dû prendre suffisamment soin d'elle pour la laisser s'affaiblir, sans la tuer. 

Le premier voulut toucher son visage pour examiner ses yeux, mais Gabrielle tenta de l'empêcher, sans un mouvement aussi maladroit qu'inutile. 

- Elle est anémie. Elle a aussi sûrement le scorbut… et vu l'état de sa peau, de la gale, ou des infections. 

Pendant qu'il parlait, il passa sur la tête de Gabrielle ce qu'on lui avait amené : un drap. Il lui ajusta, cachant ses cheveux, et son corps. Une volée de souvenirs éclata dans sa tête, semblable à une éclaboussure de peinture. Il fallait qu'elle se cache, mais ce drap ne pouvait l'aider à masquer son visage.

- Le temps que le pavot arrête de faire effet, on devrait la mettre à l'abri. Elle va souffrir de manque… L'homme soupira avant de reprendre la parole. Sa captivité doit se compter en années. 

- C'est aussi ce que je pensais. Au début, on reste combatif, puis désespéré. Même si elle est droguée, là, elle est juste éteinte. 

- Je veux même pas savoir ce que ça peut faire de penser qu'on sortira plus jamais de ce genre d'endroit sans pouvoir mettre fin à ses jours. 

Le premier se releva, laissant Gabrielle toujours tanguante, appuyée sur ses mains.

- Arrête … J'en suis malade rien que de l'imaginer.

- Bon... on doit faire quoi ?

- Il faut la mettre en sécurité, trouver de qui il pourrait s’agir. Ça peut pas être juste, enfin, personne... Une femme... il siffla. Tu te rends compte ?

Le silence entre les deux hommes s'installa pendant quelques secondes.

- Le dernière que j'ai vu c'était y a quoi... Deux ans ? C'était l'épouse d'un noble.

- T'as vérifié qu'elle avait pas de cicatrice ? Demanda soudainement l'homme debout.

Il se pencha alors pour observer sa main gauche, sans la toucher. Puis il jura et jeta sa tête en arrière.

- Quoi ? Elle a la cicatrice ?

- Ouais...

- C'est pas vrai... soupira l'homme, se mettant à faire les cents pas.

- Bon, on va la mettre dans le carrosse avec le butin. Cachez-là bien. Il faut sécuriser deux fois plus notre chemin du retour. A pieds on en a pas eu pour très longtemps, mais maintenant que nous sommes chargés, ça va être une autre histoire.

- Il faut lui trouver de l'eau pour le trajet, au moins. Et que quelqu'un lui retire ses chaines.»

Ils semblèrent d'accord et discutèrent encore quelques instants, préparant la marche à suivre pour les heures qui leur restaient avant le lever du soleil. 

Mais Gabrielle n'écoutait plus, elle saturait. Il se passait bien trop de choses, le monde entier semblait si dense, si chargé de bruits, de sensations...

Elle était dehors et c'est tout ce qui importait. 

*

Coincée entre des sacs de légumes et les monceaux de rapines, Gabrielle avait été installée sur la banquette d'un carrosse tiré par un cheval de trait noir imposant. On lui demanda de ne pas faire de bruit, et de se cacher sous un lourd tissu en toile au cas où ils croiseraient du monde. Qu'importait les raisons de ces ordres, tout ce qu'elle voulait c'est qu'on ne ferme pas un des rideaux pour qu'elle puisse regarder dehors. Le chemin cahoteux la secouait, la bringuebalant de gauche à droite.

Le voyage dura, dura… Autour d'elle et de son moyen de transport, plusieurs hommes l 'escortaient, parfois à cheval, chargés de quelques sacs de butins ou d'autres hommes parfois blessés. Le sommeil l'emporta une fois ou deux, sans qu'elle ne puisse savoir combien de temps cela durait à chaque fois. Un œil par dessus la toile qui recouvrait tout le reste de son corps, elle était prête à se cacher à la moindre alerte. Le paysage changeait peu, une forêt dense et sombre, d'arbres immenses au feuillage fourni. L'odeur d'humus, de fougère, d'écorce, de mousse l'enivrait, faisant naître une émotion désarmante en elle. La tête penchée, elle regardait le ciel, cherchant la caresse délicate de la lumière de la lune. Au travers de ses paupières fermées, un kaléidoscopes de couleurs dansaient, les esprits de la forêt semblaient l'approcher, tenter de lui parler. Mais elle ne comprenait pas, son attention s'étiolait en la faisant sombrer dans un demi-sommeil. 

Ce fut sans compter sur son corps qui commençait à se rebeller. Son estomac se mit à la faire souffrir. Se repliant de plus en plus sur elle-même pour tenter de gérer, elle s'enfonçait dans le carrosse, le nez dans la toile d'un sac de carottes. La sueur se mit à couler d'abord le long de son dos, puis sur la poitrine et le front. Mais la douleur semblait ne pas avoir de limite, elle avait l'impression que son estomac se tordait littéralement dans des spasmes violents, de plus en plus intenses. Et plus la douleur montait, plus elle se contractait, et plus elle se crispait, plus la douleur montait, plus elle transpirait. Son esprit se réveillait lentement, comme si elle tentait de sortir d'un bourbier, se débattant dans la mélasse sans efficacité. Qu'est-ce qui était en train de se passer? 

« Armand! Le colis est en mauvais état, lança un homme après s'être approché de la fenêtre. 

Les claquements de sabots d'un cheval s'intensifièrent avant de se maintenir non loin d'elle.

- C'est pas vrai… 

- Ça va être de pire en pire…

- Je ne pensais pas que les effets arriveraient si vite. Prends mon cheval, je vais monter avec elle.»

Gabrielle ne pouvait lever les yeux pour regarder ce qu'il se passait, mais elle comprit que ledit Armand passa par la fenêtre du carrosse pour se glisser à côté d'elle. Enjambant le fourbis qui l'entourait et bloquait la porte, pour se faire une place. Une main froide se posa sur son front, la faisant sursauter.

« Excuse moi… Je vais essayer de te soulager, il faudrait que tu boives ce que je vais te donner, tu es d'accord? 

Mais Gabrielle ne pouvait répondre, seuls des grognements de douleurs provenaient d'elle. Ce n'était pas qu'elle n'avait pas compris la question, c'est qu'elle ne se souvenait plus de la question, et depuis combien de temps on lui avait posé? Était-ce bien à elle qu'on s'adressait? Puis la voix revint, la faisant sursauter comme si elle s'était endormie juste une seconde.

- Ça ne va peut-être pas te plaire… Mais s'il te plait, essaye de boire, sinon je devrais te forcer, il soupira. Et ça, c'est à moi que ça ne pas plaire. 

Gabrielle entendit le bruit lointain d'un flacon en verre. Puis plus rien, son estomac se tordit si violemment qu'elle eut un haut le cœur, lui faisant quitter le peu de conscience qu'elle avait.

- Tiens, bois. 

Elle sentit contre sa bouche le goulot en verre, puis ouvrit les yeux. Tout semblait tanguer, lui donnant encore plus la nausée... A cela, s'ajoutait l'odeur herbacée du contenu de la bouteille. Une puissante amertume envahit sa bouche. Elle tenta de lutter, mais Armand la maintint fermement, l'empêchant de se dégager. 

- Il faut que tu boives ça, c'est un mixture à base d'alcool très fort et de plantes. On le donne aux hommes qui sont blessés au combat. C'est moins violent que le lait de pavot, mais ça fera l'affaire en attendant. Tu es très affaiblie et j'ai peur que le sevrage du pavot ne te tue. Il faut que tu boives ça..» 

De toute façon, elle comprenait qu'elle n'avait pas spécialement le choix, et sa langue semblait réclamer de l'eau, ou tout du moins quelque chose de liquide, même si son estomac ne semblait pas d'accord avec ça...

Alors elle but. Ça l'agressait, l'écoeurait, mais elle ne pouvait pas s'arrêter de boire, avalant de longues gorgées. Mais au lieu de sentir la nausée monter, son estomac se calma et les douleurs qui commençaient à s'infiltrer dans les nerfs de ses bras et ses jambes refluèrent. Armand la lâcha et récupéra la bouteille. Un apaisement intense la gagnait, cette sensation lui rappela l'effet que l'alcool pouvait avoir, engourdissant ses jambes et ses bras, les faisant fourmiller. Puis les plantes prirent le relais. Son cerveau lâcha prise, réclamant un sommeil impérieux.

Armand n'avait pas bougé, et elle s'endormit sur lui

*

Au loin, elle entendait les sabots. 

Puis plus tard, une discussion. Le monde tournait, sans douleur, sans peur et merveilleusement apaisant. 

Le silence se fit. Long, immense. Un silence parfait, sans début et sans fin. Son esprit était vide. Pas de rêves, pas de cauchemars.

*

Une douce chaleur l'emplissait. Et parfois, le feu et la neige sur un lit de métal. Puis, elle repartait.

Chaud, puis froid.

Pourquoi est-ce qu'elle était plongée dans l'eau? 

*

L'effet de la décoction commença s'estomper. Doucement.

Impossible de savoir combien de temps cela avait duré. Impossible de savoir où elle était.

Les bercements du carrosse s'étaient arrêtés. Il faisait de plus en plus froid

A l'extérieur, elle eu la sensation que quelqu'e chose se mit l'appeler, il était temps de se réveiller. De revenir à la vie.

A suivre...

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