Aussi légère qu'un papillon, mon effet boule de neige
Ma mère m'avait interdit d'aller voir ma grand-mère, qui habitait à deux minutes de chez nous. J'étais petite. Bien plus petite que ma mère, et pourtant, lorsque je levai les yeux vers elle, je me sentis immense. Je me sentis grande, et forte. Comme je me définirais bien plus tard, je me sentais d'éternité: je ne mesurais que 5 pommes, et j'avais tout à apprendre, et pourtant, je me sentis à ce moment-là bien plus sage que ma mère qui se penchait vers moi. Je compris pourquoi elle me disait cela; sa mère avait tout un caractère, et si elle avait raison, je savais déjà mettre en perspective qu'elle n'en manquait pas elle-même, pas plus que moi, bien que ma foi était différente de la leur.
Je savais comment prendre ma grand-mère. Elle était généreuse de coeur, et avait la fibre familiale. Ce qui était malheureux, c'est qu'après avoir donné, et ou fait une bonne action, elle aimait s'en vanter à tout-va, et tout rapporter à sa façon. Elle m'aima, et pourtant, comme avec ma mère, ma tante, et plus tard ma cousine, il y avait une frontière entre nous. J'étais acceptée comme l'une des leurs, et pourtant, j'étais toujours juchée de haut sur nos différences.
Mais à 6 ans, je savais défricher mon chemin jusqu'au coeur de ma grand-mère, et trouver en elle ce que j'aimais tellement. Je savais comprendre la raison qui se cachait derrière chaque parole que ma mère me disait, comme chez ma grand-mère. Et je sus faire fi de ce qu'elle m'avait interdit d'aller voir ma grand-mère, y voyant ma faculté de réparer les pots cassés entre elles. C'était là ma force.
Et devant celle qui se dressait devant elle, les yeux de ma grand-mère s'ouvraient tout grands et se remplissaient d'amour, à l'image de l'amour que je lui portais.
Elle vivait comme elle avait toujours vécu, au milieu de ceux qu'elle avait fait grandir. Elle était notre joyau, si précieuse qu'elle était pour chacun de nous, et pourtant, des grands qui m'entouraient, personne ne s'ouvrait devant elle pour l'aider à s'épanouir davantage. Et moi, j'étais peut-être petite, j'étais peut-être d'ailleurs, mais je savais défaire ces pensées dans lesquelles elle vivait pour lui offrir d'autres perspectives.
Ma grand-mère m'invita un soir à souper chez elle. Ma mère me fit toute belle, dans une robe blanche à motif de petites fraises, et deux rubans rouge dans les cheveux. Je me rappelle m'être sentie tellement fière d'être conviée à un souper, un souper tel que mes parents en avaient parfois.
Je n'avais que 5, 6 ou 7 ans, mais il me tardait d'entrer dans ce monde réservé aux adultes. Nous habitions à 7 dans un cinq et demi, mais mon univers s'étendait à tout le quartier, qui m'avait vu naitre et qui savait me bercer, dans un sentiment d'appartenance
Quand je revois cette scène, c'est toujours comme si celle que je suis aujourd'hui aurait été dans la chambre aux côtés de celle que j'étais petite et de ma mère, qui avait environ 37 ans lorsque cela s'est produit. Je me vois adulte s'agenouillant devant l'enfant que j'étais, et pourtant, ce sont ses émotions et ses pensées qui remontent à la surface en moi.
Tandis que ma mère me préparait, elle me nomma le caractère difficile de ma grand-mère, et elle me demanda de ne passer aucune remarque, et démontrer ainsi du respect pour celle qui était notre aïeule. A ce moment-là, quelques étoiles s'éteignirent dans mon regard: ces paroles, qui étaient peut-être anodines pour elle, m'apprirent à cette seconde même à faire fi des problèmes.
Je pourrais me rebeller et m'emporter à propos de tout ce qui s'est ensuivi cette demande de ma mère. Mais je le vois aujourd'hui avec plus de recul, et pour cause, j'ai tant parlé de tout ce qui a ensuivi ce mode de pensée, ces dernières années. Je me suis littéralement débarrassée d'un poids sur mes épaules.
Mais voilà, aujourd'hui, je reviens à celle que je suis. Comme j'ai enseigné à mon fils depuis qu'il est né, ce n'est pas parce que tu es un enfant que tu ne peux pas avoir raison, que tu n'as pas toi-même des choses à enseigner aux grands qui t'entourent.
Je pardonne à ma mère le déni qu'elle m'a enseigné, car elle ne m'a montré que ce qu'elle appliquait pour elle-même. Et tandis que ma grand-mère me manque, elle transperce dans les attitudes de son aînée, et ainsi, je me trouve à la fois devant celle qui m'a élevé, et devant celle qui démontrait le plus d'ouverture à celle que je suis vraiment.
J'ai percé un abcès il y a deux semaines, et un véritable ouragan s'est déchaîné au téléphone. Je n'ai pas tout bien saisi, car la ligne coupait, mais l'essentiel n'était pas d'entendre tout de la hargne qui a fait tout voler en éclats de l'autre côté. Cette situation m'est inconfortable, situation que j'ai intimée comme faisant partie de moi depuis que cette vision des choses s'était imposée à moi.
Je suis ta fille, ta nièce, ta petite-fille ou ta cousine, mais je ne suis pas tout à fait telle que tu me regardes. Tu rapportes tout au travail, comme si c'était l'unique chose qui donnait de la valeur aux êtres, peut-être parce que tu as l'avantage sur moi dans ce domaine. Mais ce désir de rabaisser au lieu de partager une connivence est l'une de tes faiblesses. Ces excuses que tu accordais à ta mère, comme si elle aurait été incapable de changer, t'a empêché toute ta vie de la voir telle que je la voyais. Et pourtant, elle resplendissait lorsque je lui apportais un nouveau regard sur tout... Comme j'aimerais voir cette étincelle crépiter en vous, loin des murs dans lesquels vous vous êtes enfermés, par le droit accordé d'emblée de manifester une telle attitude
Je crains de partager cette vision des choses avec vous, je crains l'attitude que vous pourriez avoir. Une qualité d'ouverture que je savais trouver chez la matriarche, que je ne parviens pas à percer chez mes contemporains... Si seulement vous l'aviez vu... Si seulement vous vouliez voir, entendre, cesser les interdits de parole... Vous verriez comme elle voyait que je recherchais la bonne entente, la connivence et le dialogue franc, sincère, et bien-aimé... Au lieu de la bisbille et du caractère ambiant.
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