La fille abat-jour
Tiens, on dirait le dessus de lit de ma grand-mère. Enfin la chambre entière de ma grand-mère, dessus de lit, rideaux, coussins. Fleurs.
Je suis surpris de penser à ce décor désuet et finalement un peu rassurant, projeté dans une époque que je relie à mon enfance. La chambre dont je ne passais pas le seuil, meubles en bois sombre entrevus par l'entrebâillement de la porte, le lit impeccable tout paré d'un volant tombant au sol, des napperons brodés sur une commode à trois tiroirs, des cadres dorés emprisonnant des visages couleur sépia, le grand miroir au mur piqué de taches noires çà et là. Et ce silence relatif, un tic-tac discret et lancinant venant d'une petite horloge sous cloche de verre dont le balancier rotatif me fascinait.
Donc elle entre dans la pièce et je pense à tout ça.
Elle porte une robe incroyable, plutôt courte et qui volante un peu sur ses cuisses. Sa ceinture en cuir fauve est trop grande en apparence, un bout assez long pend mollement sur sa hanche. L'encolure de la robe se termine par deux fins lacets bleus, extrémités ornées d'une sorte de pompon de fils effilochés comme sur des embrases de rideaux. Comme ils ne sont pas noués, l'échancrure dégage son cou et le haut de sa poitrine. Ca bâille un peu, ça plisse, ça godaille, la dentelle de son soutien-gorge apparaît parfois.
Et pour finir, l'ensemble se décline en un semis de fleurs roses sur un fond bleu profond.
Elle entre dans la pièce et bouge sans se soucier de moi. Blouson en cuir balancé sur une chaise. Sac tombé à ses pieds. Bottines en daim bleu toutes froissées autour de ses chevilles.
La dégaine de cette fille. Je pense ça. Et à la chambre de ma grand-mère.
- T'as vu ? Elle tourne sur elle-même dans ses petites bottes en peau bleue. La robe s'envole gracieusement autour de ses jambes. Comme un abat-jour fleuri.
Je ne vais pas lui dire parce qu'elle va me demander si j'ai fumé un truc.
Je me lève et l'attire vers moi. Des mèches de son chignon dégoulinent sur sa nuque et j'y pose mes lèvres. Je remonte une main sur ses fesses, sous la robe au tissu parsemé de fleurs aux couleurs d'antan. Les images et les souvenirs n'ont plus aucun sens. Ses bras autour de mon cou. Son corps.
J'aime cette fille abat-jour. Et c'est tout.
Et je me demande pourquoi certaines lampes s'habillent comme des filles.
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