La boîte

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Sire Martin se réveilla ce matin avec l'intime conviction que sa dernière heure était proche. Il lui fallait se résoudre à dévoiler son secret avant que l'heure fatale n'arrive. Il fit convoquer aussitôt ses cinq enfants à son chevet.

L'aîné , Alfonse, fidèle à son habitude, se précipita chez son père dès qu'il reçut le message. Il se tenait devant le lit, s'épongeant le front où la sueur perlait, avec son mouchoir, n'osant briser le silence. Sa maigre silhouette vêtue de noir se fondait dans les ombres de la chambre aux rideaux clos.

Jocelyn et Joffrey, le rejoignirent peu après. Aussi bruyants qu'une volée d'étourneaux. Ils entourèrent leur père, l'un miroir de l'autre de chaque coté du lit, l'accablant de phrases à demi esquissées.

Sire Martin se redressa péniblement sur ses oreillers, calma les jumeaux en posant ses mains calleuses sur leurs têtes.

- Je vais attendre que vous soyez tous réunis, lança-t-il d'une voix rapeuse.

Alice, toute rosie par sa course - elle habitait en face - la jolie cape de voyage ornée de la broche que son père lui avait offerte pour ses dix-huit ans drapant encore ses épaules, s'avança à son tour, pour effleurer la main de son père d'un baiser.

Bon dernier, Gustave arriva enfin de son pas nonchalant, et prit soin de refermer soigneusement la porte, les condamnant tous à respirer sans répit les relents âcres de la maladie.

Promenant le regard sur chacun d'entre eux, pour s'assurer qu'ils étaient bien tous là, le vieil homme toussa pour s'éclaircir la voix.

- Mes chers enfants, je vous ai réunis une ultime fois autour de moi pour vous dévoiler un grand secret. Ça a été pour moi la clef de ma réussite. Mais ne craignez rien quant à ma fortune, je vous laisse à tous de quoi vivre sans souci pendant de nombreuses années.

Une quinte de toux l'interrompit. Il porta à sa bouche un mouchoir maculé de taches sombres.

- Alice, ma chérie, reprit-il, prends la clef de mon coffre, ici, dans ma table de chevet, et va me rapporter la petite boîte d'ébène que tu y trouveras.

La jeune fille, consciente du regard de ses frères posé sur elle, prit la clef et se dirigea d'un pas digne et mesur jusqu'au coffre, dissimulé derrière le portrait de leur défunte et distinguée mère. Elle le déverrouilla en forçant un peu sur le mécanisme récalcitrant, ouvrit la lourde porte et distingua au fond de la cavité ainsi révélée, une petite boite noire. Religieusement, elle la prit d'une main, un peu surprise par le poids d'une si petite chose, se ravisa et plongea les deux mains pour récupérer le coffret.

L'objet etait lisse, patiné par le temps, à peine sentait-on le relief discret d'anciens ornements.

Alice, la boîte contre son coeur revint vers son père et lui tendit.

-Voilà, mes très chers enfants, le secret de ma réussite. Dans ma jeunesse, avant de devenir le marchand aisé que je suis , j'étais marin. J'ai voyagé dans les contrées les plus lointaines et les plus exotiques.

Il s'interrompit, le temps de reprendre sa respiration. À chaque inspiration, on entendait une sifflante qui se superposait à sa voix.

- Il se trouve qu'un jour, mon bateau a sombré corps et bien, et je suis revenu à moi dans une hutte faite de branchages et de feuilles. J'étais sévèrement blessé, un bras et une jambe brisée et de multiples lacérations sur tout le corps. Une femme m'a soigné. Pendant plus de trois mois, elle a veillé sur moi. Et je peux vous le dire maintenant, elle s'est assurée que chacun de mes désirs soit satisfait. J'appris quelques mots de son dialecte et elle t quelques-uns des miens. Alors que je recommençais juste à marcher et à explorer les alentours, je fus piqué par un serpent venimeux. J'allais mourir. Anéatinao , mon exotique infirmière était désespérée de ne rien pouvoir faire pour moi. Elle fit venir un sorcier de sa tribu. Un tout petit homme vêtu uniquement d'une ceinture tressée ornée de crânes d' animaux. Il m'examina et secoua tristement la tête et sortit de la hutte.

Le vieil homme, fatigué de cette longue tirade, exigea un peu d'eau. Alfonse se précipita et revint avec un plateau sur lequel la cuisinière avait disposé un bol de bouillon, du vin et de l'eau. Alice restait au pied du lit, fascinée par l'étrange petite boîte noire. Un des jumeaux aida son père à se redresser pendant que l'autre le faisait boire. Gustave contemplait la scène en se grattant l'oreille. Après de nouvelles quintes de toux , sire Martin reprit d'une voix rauque.

- J'entendis les bruits d'une dispute à l'extérieur de la hutte. Je reconnus la voix de ma bienfaitrice ainsi que celle du sorcier. Et je plongeais peu à peu dans une paralysie, qui me gagnait jusqu'au visage. Le sorcier revint, entama un rituel, dont je ne perçus pas grand chose si ce n'est qu'il me prit du sang et une poignée de cheveux. Je sombrai dans l'inconscience.

A mon réveil, ma belle amie n'était pas là. Un bol vide était posé à mes côtés. Je sortis, un peu chancelant, et je vis au pied de la petite colline où je vivais ces derniers mois, des hommes, des torches à la main se diriger vivement vers moi. Je fus pris de panique. Que pouvais je faire seul contre une vingtaine de guerriers ? Je rassemblais mes maigres affaires. Et alors que j'allais m'enfuir, le sorcier surgit d'un bosquet d arbres voisins. Il tenait la petite boîte.

En prononçant ces mots, le vieil homme caressait l'objet tendrement.

- Il me l'a mise de force dans les mains et m'indiqua une direction opposée à celles des guerriers. Je n'hésitais pas et m'enfuis le plus rapidement que je le pouvais. J'errais quelque temps dans la jungle et j'eus la chance de trouver un bateau qui faisait relâche dans la première baie que je trouvais.

Sire martin était pâle, sa respiration très bruyante. Ses mains se crispèrent sur la boîte.

-Je ne l'ai jamais ouverte mais je l'ai toujours gardée près de moi. Je pense, mes enfants, que ma chance et mes succès viennent de ce coffret. Mais, et il s'arrêta de parler et dévisagea ses enfants un par un, un seul d'entre vous pourra l'avoir et la garder aussi secrètement que je l'ai fait. Ce n'est pas un caprice de ma part. Lorsque votre mère m'a surpris en train de contempler la boîte, elle n'a eu de cesse de me questionner à ce sujet. Le soir où elle est morte, je l'ai trouvée assise dans son fauteuil, et il indique une chaise à bascule près de la fenêtre, la boîte dans les mains.

Le vieillard s'interrompit à nouveau, quelques larmes roulant sur ses joues parcheminées.

-Alice, ma petite, voudrais tu remettre la boîte dans le coffre ?

Les mains tremblantes, Alice s'avanca , hésita et finit par récupérer la boîte et se précipita enfin pour la remettre à sa place.

- Bien, acquiesça le vieil homme, je me sens las à présent. Je souhaiterai donner ce coffret à celui d'entre vous qui en a le plus besoin. Je voudrais encore y réfléchir un peu.

Il remonta un peu la couverture et petit à petit sa respiration s'apaisa un peu. Puis il fut pris d'une quinte de toux. Puis d'une autre et un peu de sang perla à la commissure des lèvres.Il se redressa , crispa les mains, les porta à la poitrine, son visage déformé par la douleur.Et puis s'affaissa d'un coup, les yeux écarquillés, sur son lit.

Alice poussa un long cri déchirant d'angoisse. Alfonse prit le poignet de son père, puis secoua tristement la tête. Jocelyn fondit en larmes. Joffrey fixait son père incrédule. Gustave regardait la scène impassible.

Puis il prit la parole.

- Et que faisons nous au sujet de cette boîte?

- Je pense, hésita Alfonse, qu'il va de mon devoir d'aîné de la conserver, cachée.

- En, tout cas, moi, dit Alice catégorique, je n'en veux pas.

Les jumeaux se consultèrent du regard. Et Jocelyn prit la parole.

- Nous n'avons aucun secret l'un pour l'autre. Je ne pourrais pas la cacher sans que Joffrey le sache.

Alors, Gustave se lèva. Il se dirigea vers le coffre, l'ouvrit.

De très légers coups semblaient venir de la boîte. Gustave s'arrêta , indécis. Les bruits se firent plus forts. Une étrange musique faite de percussions et de tintements métalliques commenca à envahir la chambre.

Gustave se mordit les lèvres, puis , décidé, attrapa la boite et vint la poser dans les mains de son père. Les autres enfants, toute couleur enfuie de leurs visages, se blottirent les uns contre les autres. Gustave les rejoignit et murmura:

- La boite doit rester avec père.

La musique résonnait de plus en plus forte. Dans un claquement sec, la boîte s'ouvrit. De la vapeur dorée s'en échappa. La silhouette d'une jeune femme se dessina. Elle était seulement vêtue d'un pagne qui lui insérait la taille. Ses cheveux étaient tressées en une coiffure élégante. Elle se pencha sur Martin. Un autre silhouette prit forme. Un jeune homme émergea du corps affaissé du vieillard.

Sous les yeux effarés des enfants de sire Martin , l'homme et la femme s'enlacèrent. Les vapeurs dorées et argentées se mêlerent en tourbillonnant quelques instants puis se dissipèrent. La musique cessa.

Ne restait au fond de la boite, qu'une petite mèche de cheveux brune tressée avec une boucle de cheveux blond.

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