Chapitre 1 : Proche de la mort

8 minutes de lecture

Arcadie évoluait dans la couche crasseuse à l’odeur fétide du monde souterrain. Mélasse boueuse jusqu’au genou, elle avançait avec difficulté. Les habitants de la Nouvelle-Paris auraient juré sur leur famille que plus personne ne descendait dans les lutèces, nom donné aux sous terrain construits sur les vestiges de la ville. Les Nouveaux-Parisiens auraient aussi tous assuré qu’aucun de leur ancêtre n’avait participé à la révolution de 3053 visant à ébranler le pouvoir récemment acquis de la couronne. La France, où ce qu’il en restait, avait effectivement osé remettre la royauté à la tête du pays alors qu’il aurait fallu la leur couper. Tout ce qu’il y a à retenir est que les Nouveaux-Parisiens promettent beaucoup, parfois à raison, souvent à tort.

Pulseur sur le visage, Arcadie cherchait autour d’elle le moindre indice de ce qu'elle voulait trouver dans ce foutu enfer. Le plafond de fer surplombant les lutèces et où la nouvelle ville reposait rendait l’endroit dénué de lumière. La nécessité d’y retourner avait donc poussé certains ingénieurs du marché noir à vendre des objets spécialement conçus pour ce lieu. Le pulseur d’Arcadie, un casque envoyant des ondes sonores basse fréquence permettait alors d’afficher devant elle une image de son environnement. La vision était saccadée, sans couleur et sans détail, mais en général cela lui suffisait à remarquer les dangers de l’endroit. Les lutèces étaient en effet peu accueillantes, en dehors des émanations toxiques de la mélasse, il y avait aussi les criminels fuyant la persécution de la ville. Mais, ce qui lui faisait le plus peur, c’était les goulins, des créatures en partie construites de ferrailles et à moitié de chair, nées des expériences sur les intelligences artificielles il y a plusieurs siècles.

Ils se déplaceraient de manière brute, rapide et discrète. Violents, en voir un signifiait qu’il était souvent déjà trop tard. Le seul moyen de les repérer était le bruit de l’eau, un clapotis parfaitement régulier, à un intervalle connu de tous les fouille-merdes de Lutèce, 0,2 seconde. Exactement le chiffre qui s’affichait sur l’écran d’Arcadie accompagné d’un message : Alerte, intervalle sonore défini détecté à 50 mètres. « Merde ! Merde, merde… » pensa-t-elle en essayant tant bien que mal de trouver un endroit pour se cacher. Dans son casque s'affichait une carcasse de voiture à sa gauche, le côté de la voie à sa droite. Elle prit une grande respiration avant de courir. Les secondes pour parvenir à l’une des ruines bordant la rue furent longues et le son se rapprochait d’elle de plus en plus vite. Les distances affichées sur les pulseurs étaient souvent mal compréhensibles pour un cerveau non habitué. Alors quand Arcadie se dirigea en direction de ce qui ressemblait à un ancien hôtel parisien, un bruit sourd retentit lorsqu’elle arriva. Elle venait de se prendre la porte, en pleine face, et le clapotis s’arrêta d’un seul coup, pour revenir, bien plus rapidement. Elle avait été repérée. La main sur la poignée elle la tourna, la porte était condamnée, elle allait mourir ici.

Tout d’un coup, deux mains lui attrapèrent les cheveux et la soulevèrent alors qu’une pince grinçante et mécanique lui arracha l’une de ses bottes. Étouffant un léger cri en sentant ses racines presque se décoller de sa tête, elle leva ses yeux vers le haut. Sur l’écran de son casque, trois figures humanoïdes se dessinaient. Les secondes qui suivirent furent floues, la douleur et la panique lui firent peut-être perdre conscience ou eurent au moins raison de sa concentration. Elle sentit une aiguille s’enfoncer dans son bras alors qu’une porte coulissait juste devant elle et malgré le casque, la lumière qu’elle n’avait pas observée depuis trois jours l’aveugla. Les deux mains tenant jusque là ses cheveux la jetèrent vers celle-ci.

- « Hé ! Oh ! On reprend connaissance là ! » Hurla une voix masculine venant d’un des humains.

- « Attends Tristan, elle peut même pas nous voir là. » Répondit une voix féminine, sûrement plus vieille que la première.

Arcadie secoua un peu sa tête afin de se donner du courage, puis elle retira son pulseur pour révéler un spectacle qui n’existait que dans les livres d’écoles de la ville haute. Elle se trouvait dans un aérodyne, un véhicule supposé avoir disparu depuis plus de trois siècles. La peur s’empara rapidement de nouveau de son cerveau, comment ces trois personnes avaient pu mettre la main sur un tel truc, c’était l’armée ? Si c’était l’armée, elle était cuite. Se rendre sans autorisation dans les Lutèces équivalait à la peine de mort, ou au bannissement si on avait un peu de chance.

— Merde, mais vous êtes qui ? comment vous avez trouvé un truc pareil, vous êtes de l’armée c’est ça ? Bordel.

La jeune femme se prit la tête dans les mains et en ressortit plusieurs mèches brunes d’une vingtaine de centimètres. La douleur du haut de son crâne la rappela rapidement à la réalité. Un goulin venait tout juste de passer à deux doigts de lui voler sa vie. Puis, trois personnes, un homme sûrement d’un âge similaire au sien, une femme dans la cinquantaine et un homme lui aussi âgé, l’avaient poussé dans un véhicule supposé ne plus exister. Putain, la prochaine fois elle ne s’éloignerait pas tant que ça des tubes de services.

— Merci peut-être non ? On vous a tiré d’un sale endroit, ça aurait pu finir très mal. Ça va pas de vous promenez dans la mélasse comme ça ? Heureusement que Tristan vous a remarquée, sinon vous étiez bonne pour devenir un bout de goulin. »

La jeune fille, sûrement plus jeune qu’elle, avait passé sa tête de ce qui avait l’air du poste de conducteur. Elle la regardait de façon méprisante. Arcadie avait bien raté et l’autre souhaitait lui faire comprendre qu’elle n’était pas en position de poser de questions.

- « Tu branles quoi ici gamine ? »

- « Je, je suis, hum, je suis venue chercher des orbes. »

Elle répondait à l’homme d’une cinquantaine d’années. Sa peau blanche, très pâle, signe de ceux qui n’avaient pas vu le soleil ni les ultra-violets depuis longtemps, et des cheveux rasés dont on pouvait presque deviner la couleur grise.

- « Ouais, ouais comme tout le monde quoi, mais c’est tout, tu viens pas fouiner quoique ce soit d’autre ? T’es minimum à un jour de marche d’un des tuyaux d’évacuation, me raconte pas d’la merde gamine. »

Arcadie serra les dents, si c’était l’armée, elle ne pouvait pas leur dire la vérité, si c’était des Lutéciens une chance sur deux qu’ils la flinguent. Une excuse, il fallait trouver une excuse immédiatement, « Bon, je suis proche du vrai Paris, l’ancien, le vrai, pas le grand. Donc pas loin du centre du grand, vite Arcadie putain, pense, le centre, vers le haut à droite, les archives ! »

- « Les archives ! Je cherchais les archives, mais je me suis perdue. » Elle se rendit rapidement compte de son erreur. Si c’était l’armée, la mort semblerait sûrement une douce solution.

Un rire venant de l’homme brun, brisa le silence qui avait fait suite à sa déclaration. Celui-ci avait l’air d’être au milieu de sa vingtaine, comme elle et si elle avait bien écouté, il se nommait Tristan. Le rire lui fit presque oublier la situation ou elle se trouvait. Elle avait merdé. En apercevant la main du jeune homme, posé sur ce qui ressemblait à un vieux revolver, Arcadie vit sa fin approchée, mais contre toute attente, il la fit redescendre le long de son corps.

La tension retomba rapidement du cœur de la brune. C’était des Lutéciens, des bandits expulsés de la Nouvelle-Paris. Au vu de leur gueule et surtout de la présence d’une fille dont elle se demandait si elle avait atteint la majorité, ils n’avaient sûrement pas été bannis pour des choses qui auraient pu la mettre en danger. Enfin, tant qu’ils ne devinaient pas la vraie raison de sa d’être la.

Arcadie se détendit un peu et commença à observer l’aérodyne. C’était une merveille technologique, encore aujourd’hui. L’engin brassait l’air de manière presque imperceptible, couplé à une ingénierie magnétique pour se soulever au-dessus des villes, c’était l’un des véhicules les plus impressionnants conçus par l’homme. Il n’y en avait plus aucun dans Nouvelle-Paris, tout le monde prenait le métro construit à la couche 1. Enfin, peut être en restait-il à la couche 5, la ou les nobles demeuraient. Arcadie n’en était pas sûre, où elle habitait, les nouvelles des étages supérieurs étaient généralement emplies d’aberration logique et autres exagérations.

Malgré la relaxation passagère, elle ne pouvait s’empêcher de rester sur ses gardes, si les Lutéciens devinaient la raison de sa vraie présence ici, ce serait la fin pour elle. En vérité, elle était venue chercher son frère, Achille. Celui-ci avait été banni de la ville quatre ans auparavant. Officiellement, pour avoir participé à une réunion en vue d’organiser des manifestations pour obtenir plus de droits aux habitants de la couche 2. Officieusement pour avoir voulu faire tomber certains généraux de l’ordre militaire. Le problème ? Pour arriver à ses fins, Achille avait rejoint volontairement l’armée et jeté lui-même de nombreuses personnes dans les sous-terrains. Arcadie haïssait son frère, il avait balancé leur père et certains de ses amis, tout ça pour échouer. Il n’était pas mieux que tous les autres soldats. Mais elle avait besoin de lui, il était déjà allé dans la couche la plus haute de la ville, le palais royal. Achille avait déjà emprunté les ascenseurs dorés. Tellement peu de personnes atteignables avaient réalisé une telle chose et Arcadie ne pouvait se passer de ces informations pour accomplir son but. Détruire le palais royal.

Le visage d’Arcadie avait dû prendre une teinte rougeâtre d’énervement, car la femme se retourna vers elle. Elle sembla l’observer quelques secondes avant de s’avancer vers elle pour lui parler. Les aérodynes se montraient bien plus grand que dans l’imaginaire Arcadie. On pouvait se lever et même marcher un peu à l’intérieur, celui-là faisait plus ou moins la taille d’une petite chambre, si l’on ne comptait pas le poste de pilotage.

- « Bah ! Fais pas cette tête, ça va aller maintenant, j’aurai pas laissé ses nigauds te faire du mal dans mon Aérodyne de toute façon. » Les cheveux de la femme étaient blancs et frisés et sa peau noire presque autant ridée et terne que celle de l’homme, celle-ci devait aussi se trouver dans sa cinquantième année. Mais, contrairement aux autres, elle dégageait une aura plutôt rassurante.

« T’as l’air exténué, donne-moi ton nom que j’te fasse une puce et repose-toi, y a de la place pour tout le monde ici » reprit-elle.

La fatigue attrapa le corps de la jeune femme d’un seul coup. Elle lutta un peu pour au moins pouvoir répondre à la question. Trois jours à marcher dans la mélasse en dormant d’un seul œil l’avaient épuisé. Elle trouva tout de même cela étrange que le sommeil cherche à l’emporter sans prévenir plutôt que progressivement.

- « Arcadie, mon nom c’est Arca… »

Sans même pouvoir finir, les yeux d’Arcadie se fermèrent et sa conscience bascula dans la torpeur. Elle ne sut si elle était en sécurité ou si elle devait faire de son mieux pour rester éveillée et fuir. Elle essaya de regarder les personnes qui venaient de la sauver, mais ils s’étaient détournés d’elle pour reprendre leur discussion dans un argot qu’elle comprenait difficilement. « Putain

» Pensa-t-elle « La piqûre que j’ai sentie tout à l’heure ». Sur ces dernières pensées qui ne lui furent d’aucune aide pour lutter, elle s’endormit.

Le sommeil qui en suivit fut des plus inquiétants. Le mélange entre l’épuisement de la jeune femme et les produits qu’on lui avait sûrement injectés, eurent un impact étrange avec sa psyché. Des rêves ou le visage de son frère, de son père et des personnes qui venaient de la sauver se succédèrent. Du moins, jusqu’au moment où un choc violent la fit basculer de la couchette.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Livioctopus ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0