Maïak
Aujourd’hui, tout le monde connaît Fukushima et Tchernobyl. Personne n’en connaît vraiment ni les détails ni les conséquences, mais tout le monde s’en fait une idée ; chacun sait que quelque chose de terrible y est arrivé. Mais en 1958, personne ne connaissait rien de tout ça, car rien de tout ça n’avait encore eu lieu. On avait peur de l’hiver nucléaire, on parlait d’Hiroshima et de la superbombe à hydrogène, mais personne ne se souciait réellement de ce qui pourrait arriver à un réacteur, et encore moins à une usine de retraitement. Et pourtant. En 1958, non seulement un accident nucléaire industriel catastrophique était possible, mais en plus il avait en réalité déjà eu lieu.
Une explosion terrible avait en effet secoué le complexe nucléaire de Maïak le 29 septembre 1957, près de Kychtym, en Russie. Mais comme c’était arrivé au fin fond de l’Oural, et que la radioactivité était restée piégée sur l’immense territoire de l’URSS, et que tout était tenu au secret, personne n’en avait entendu parler – sauf, bien évidemment, les services secrets américains qui s’étaient empressés de ne rien dire pour que l’opinion publique ne s’émeuve pas du danger également présent en occident. L’usine de Maïak avait entre autres buts de retraiter le combustible usagé des réacteurs pour en extraire un plutonium de qualité militaire afin de construire des armes nucléaires. Construite à la va-vite par des ingénieurs inexpérimentés et dans un état d’esprit peu tourné vers l’environnement, les populations et la sécurité, l’usine de Maïak ne brillait pas par sa sûreté. Le système de refroidissement des cuves de solutions de produits de fission tomba en panne, provoquant un échauffement qui mena à l’explosion de déchets de nitrate d’ammonium. L’explosion, qui dégagea environ zéro virgule une kilotonne de TNT, détruisit les cuves, projetant en l’air la dalle en béton de cent soixante tonnes qui les recouvrait. Un nuage radioactif s’échappa alors dans l’atmosphère vers le nord-est de l’usine, sur une distance de trois cents cinquante kilomètres, recouvrant huit cents kilomètres carrés de césium 137 et de strontium 90, dont l’activité est estimée jusqu’à mille huit cents cinquante pétabecquerels – soit environ quatorze pourcents de Tchernobyl. Le gouvernement russe ne fit bien évidemment rien, ou presque : il attendit une semaine entière pour vaguement commencer à faire évacuer quelques villages par-ci par-là, et sans donner la moindre explication aux populations rendues folles par le mal qui les rongeait. Certains avaient perdu d’énormes lambeaux de peau sur les bras, d’autres n’avaient tout simplement plus de visage. À cause du secret et de l’absence d’étude sérieuse réalisée dans les temps, nous ne saurons jamais combien de personnes sont mortes à cause de l’accident de Maïak. Certains avancent des chiffres de l’ordre de deux cents cancers mortels. La radioactivité fut quelque peu traitée par excavation, regroupement et enterrement des terres irradiées. Aujourd’hui, l’accident est classé au niveau six sur l’échelle de l’INES, qui en compte sept, et les enfants continuent de se baigner dans les eaux contaminées de ces contrées éloignées.
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