Renouvelables
On me demande souvent, à moi, l’ingénieur en physique nucléaire, ce que je pense des énergies renouvelables. J’en ai déjà dit quelques mots en rappelant que l’énergie nucléaire est l’énergie qui tue le moins au kilowattheure produit. Est-ce à dire qu’il ne faut pas de renouvelables ? Loin de moi cette idée, tant le nucléaire reste complexe, coûteux et totalement terrifiant à bien des égards. Maintenant, les renouvelables sont-elles crédibles ?
Oui.
Tout n’est qu’une question de volonté.
Et, donc, de budget.
Avec de la volonté, il est possible de sortir le monde entier de sa dépendance aux énergies fossiles et nucléaires. Et avec de la volonté, le coût va s’effondrer. Il a déjà commencé. Le rapport Négawatt, adversaire clair du nucléaire, propose des idées. On peut vouloir le disqualifier, tant il est évident qu’il est idéologiquement orienté – car il œuvre pour un lobby.
Mais le nucléaire et le pétrole ont aussi évidemment leurs lobbies.
Entre le solaire thermique, le solaire photovoltaïque, l’éolien offshore et l’hydrolien, il y a de nombreuses possibilités à exploiter. Rien qu’avec le solaire photovoltaïque, le potentiel est immense : à chaque seconde, le soleil fusionne six cents millions de tonnes de noyaux d’hydrogène en cinq cents quatre-vingt-seize millions de tonnes de noyaux d’hélium. Les quatre millions de tonnes « manquantes », qui ont « disparu » lors de la fusion, forment le fameux « défaut de masse » dont j’ai déjà parlé. Ces quatre millions de tonnes sont directement converties en énergie au ratio du carré de la vitesse de la lumière dans le vide, rayonnant ainsi depuis une surface à six mille degrés Celsius la valeur astronomique de quatre cents mille milliards de kilowatts dans l’espace, dont cent soixante-treize pétawatts atteignent la Terre. L’atmosphère terrestre en réfléchit et en absorbe une grande partie, selon des phénomènes physiques complexes, notamment météorologiques, variables dans le temps et dans l’espace, mais il peut être considéré qu’environ deux cents soixante-dix watts par mètre carré atteignent la surface de la Terre en moyenne – et cent quarante en France.
La puissance moyenne correspondant à la consommation totale d’énergie annuelle de la France étant d’environ zéro virgule dix-huit térawatt, le rendement des panneaux solaires photovoltaïques étant de l’ordre de vingt pourcents (jusqu’à soixante pourcents pour les panneaux solaires thermiques), et la surface des agglomérations en France étant de dix mille six cents kilomètre carrés, cela fait une puissance électrique productible de trois virgules vingt-quatre térawatts – soit dix-huit fois plus que nécessaire. Le raisonnement doit pouvoir se faire à l’échelle mondiale. Alors, bien sûr, il ne s’agit là que de calculs de coin de table et de moyennes annuelles, laissant de côté les pics de puissance rencontrés en hiver, mais le potentiel est là, et il est absolument colossal.
On me fera remarquer que mettre des panneaux solaires sur l’intégralité des surfaces urbanisées relève du délire le plus pur. Je rétorquerais qu’on n’est pas obligé de couvrir de panneaux l’intégralité de cette surface, mais seulement un dix-huitième pour ceux qui suivent. Et quand bien même : on pourrait installer des panneaux ailleurs en installant de gigantesques usines photovoltaïques. Je ne dis pas que la surface ne manque pas, mais on ne me fera pas croire non plus que l’on est en total manque de ce côté-là. Et puis, je vous le demande : quel est l’avenir le plus délirant, celui où l’on choisit de construire des centaines de réacteurs nucléaires à neutrons rapides refroidis au sodium liquide dont on sait qu’il est hautement explosif, ou celui où l’on installe de larges surfaces de panneaux solaires ?
Et puis, je ne parle pas que de la France.
En fait, je me fiche de la France.
C’est la planète qui compte.
Et si toute la ceinture des tropiques devenait photovoltaïque, ça irait quand même beaucoup mieux, et là, ceux qui me disent qu’on ne peut pas sont des menteurs pathologiques.
Le véritable problème d’ordre technologique est le stockage de cette énergie produite par les panneaux photovoltaïques. On a longtemps dit qu’on ne savait pas faire.
C’est vrai.
Enfin, oui et non.
On ne sait pas stocker cette énergie dans des immenses batteries débitant dans un réseau immense – mais on sait le faire dans des plus petites batteries débitant dans des réseaux plus petits. Mais il faut produire suffisamment de batteries de ce type, à un coût raisonnable, et savoir recycler les énormes quantités de matériaux parfois toxiques présents dans ces batteries (le lithium par exemple). Et il faut s’assurer que l’on ne manquera pas de terres rares, ces ressources doivent être rationalisées et si possible extraites sans ensevelir des enfants esclaves dans des mines insalubres.
Il y a donc un potentiel énorme, mais des défis technologiques, écologiques, humains et financiers colossaux à relever.
Aucun dirigeant politique ne semble vouloir réellement s’y atteler. Mais, on le sait : nos politiques sont démagogiques et impuissants, corrompus et indolents, faussement intéressés par l’intérêt général, égoïstes et arrogants. Au final, nos politiques sont totalement insignifiants. Dès lors, que faire ? J’ai toujours pensé, au vu de l’état de nos politiques publiques, qu’il n’était pas possible d’avancer.
Et puis, Elon Musk est arrivé.
Cet homme peut sembler totalement dingue.
Il l’est.
Réellement.
Mais pas que : jusqu’ici, même s’il y a toujours eu des retards qu’il ne faut pas nier, il a toujours fait ce qu’il avait annoncé, peu importe le degré de délire de ses annonces, et ses réussites techniques et économiques semblent aujourd’hui défier l’entendement.
Il est le seul à avoir su lancer une nouvelle marque automobile en plus de quatre-vingt-dix ans aux États-Unis, Tesla, une marque qui pèse plus de quarante milliards de dollars de capitalisation boursière début 2017, en produisant une voiture électrique qui est non seulement la meilleure voiture électrique du monde, mais la meilleure voiture du monde tout court. Alors, oui, Tesla est encore déficitaire, et peut-être que l’entreprise disparaîtra à court ou à moyen terme – je ne sais pas. Ce qui est sûr, c’est que Tesla restera un achèvement technologique et une leçon d’audace et de courage philosophique et économique.
Elon Musk a également fondé SpaceX, une société de lancement spatial privée qui a accompli ce que jusqu’ici seuls des états étaient parvenus à faire – et SpaceX est même allé encore plus loin que ce que les états étaient parvenus à faire. J’en ai déjà parlé : la société d’Elon Musk a développé, à toute vitesse et à des coûts défiant toute concurrence – certains éléments ont vu leurs coûts diminués par cent –, un lanceur spatial capable de revenir sur Terre. Ce dont tout ingénieur aérospatial avait rêvé, ce que toutes les sociétés aérospatiales tenaient pour insensé, eh bien : SpaceX l’a fait. SpaceX a lancé avec succès le Falcon Heavy, la plus puissante fusée du monde actuellement sur le marché – et la moins coûteuse. Elon Musk a le chic pour associer les opposés. La cadence de tir atteinte par la société est infernale, ils peuvent lancer six fusées en quatre semaines, soit quatre virgule cinq fois plus qu’Arianespace à la grande époque avec une Ariane 4 toutes les trois semaines. Et pour beaucoup moins cher.
Et tout ce qu’il veut, c’est aller sur Mars.
S’il gagne de l’argent avec SpaceX, ce n’est pas pour accroître sa fortune personnelle, déjà ahurissante.
Non.
C’est pour aller sur Mars.
Pour faire de l’homme une espèce « multiplanétaire », comme il le dit. Certains disent qu’il ne vise pas la note de bas de page dans les livres d’Histoire mais les étoiles ; je crois que c’est vrai et faux à la fois. Je pense qu’il se fout d’être dans les livres d’Histoire, mais il est clair que quand certains petits hommes pensent à être président tous les matins en se rasant, lui pense à coloniser Mars tous les jours en pissant.
Et voilà ce qu’Elon Musk nous propose pour sortir le monde de son addiction aux énergies fossiles et nucléaires : avec ses sociétés Tesla et Solar City, il propose la captation massive de l’énergie solaire et son stockage tout aussi massif dans un réseau de batteries de fortes capacités distribuées densément sur un réseau intelligent. Musk estime qu’il faudrait produire deux milliards d’unités de ce qu’il appelle le Powerwall et le Powerpack, qui sont des batteries lithium-ion ultra-modernes au design élégant, de respectivement vingt et cent kilowattheures, d’une durée de vie garantie de dix ans et connectées à un réseau massif de panneaux solaires. Cette association permettrait d’alimenter tous les véhicules et bâtiments du monde. Quant au recyclage, un procédé nouveau a été développé, non polluant et abordable économiquement. Les ressources mondiales en lithium sont suffisantes pour la production d’une telle quantité de batteries – il n’y a donc pas d’obstacle de ce côté-là. Le coût reste bien sûr problématique pour l’instant, mais les progrès réalisés par Elon Musk sont fulgurants. Le prix du kilowattheure par kilo de batterie ne cesse de plonger, et ce bien plus vite que ne le pensaient les analystes. D’ici dix ans, le prix sera tombé suffisamment bas pour que l’énergie nécessaire au pic de consommation hivernal français puisse être stockée et restituée quotidiennement pour le prix de votre abonnement internet.
Négligeable ? Non.
Largement faisable ? Oui.
Pour prolonger cette baisse des coûts à marche forcée, pour réaliser son rêve complètement dingue, Elon Musk a décidé avec une audace folle d’inverser la cause et l’effet, de ne pas attendre la demande mais de la provoquer : tous les fabricants disaient que les batteries étaient trop coûteuses car on n’en fabriquait pas assez, et on n’en fabriquait pas assez car elles étaient trop coûteuses. Raisonnement circulaire d’industriels frileux et archaïques typiques. La logique de Musk est totalement inverse : il a dit fuck et il a fait construire dans le désert du Nevada un bâtiment appelé Gigafactory, qui n’est rien moins que la plus grande usine du monde, capable de contenir cent Boeing 747 (ou cinquante milliards de hamsters, comme aime à le souligner Musk avec cet humour délicieusement absurde qui le caractérise). Cette usine ultra moderne, tapissée de panneaux solaires et donc totalement autonome afin de joindre le geste à la parole, produira plus de batteries au lithium que l’ensemble des autres usines du monde. Et, comme si tout cela ne suffisait pas, pour continuer à vous donner une petite idée de ce qui est en train de se passer, sachez que cette usine a été sobrement renommée Gigafactory 1.
Pourquoi ?
Parce qu’Elon Musk a l’intention d’en construire des dizaines, voire des centaines d’autres.
Alors ?
Qu’en penser ?
Elon Musk peut-il véritablement y arriver ?
Je ne sais pas.
Sans totalement y croire, je me dis qu’il est tout de même capable d’y arriver et, surtout, que si une vision doit aujourd’hui être encouragée, c’est la sienne, tellement plus audacieuse, inspirante, optimiste et éclairante que celles de tous nos hommes politiques incompétents.
Faire fonctionner le monde entier au solaire thermique et photovoltaïque est sans doute ambitieux, peut-être même techniquement impossible. Mais une chose est certaine : si on n’essaye pas, on ne risque pas d’y arriver. Les pays nordiques faiblement ensoleillés une bonne moitié de l’année constituent un défi technique ahurissant, mais si on ne parvient pas à rendre l’Afrique totalement photovoltaïque, il faudra que l’on m’explique qui aura volontairement fait capoter le projet, car il n’y a pas de raison objective que cela ne se fasse pas.
Et puis, au risque de me répéter, je préfère un avenir basé sur des batteries au lithium que sur des réacteurs au sodium.
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