Chapitre 17 : Proposition et Souvenirs
La discussion avec Tanya a commencé par l'incident de vendredi dernier. Passé l'état de choc et les multiples questions, elle a fini par monopoliser la parole.
Cela fait maintenant une heure que je l'écoute sagement jacasser à l'autre bout du combiné. Entre ses premiers jours chaotiques dans son service et ses ébats amoureux avec un certain Marc, qui est l'ami d'un de ses cousins, je rattrape tout un feuilleton télévisé à elle seule. Et dire qu'à la base, je l'appelais pour lui parler de ma semaine, la conversation a vite dévié sur sa petite personne.
— J'avais un rencard avec l'interne de mon service, lancé-je brusquement, espérant regagner son attention alors qu'elle se plaignait une nouvelle fois de ses collègues.
Un silence plombant s'installe entre nous. Je me réjouis intérieurement d'avoir réussi à couper le sifflet de ma meilleure amie, c'est tellement rare.
— Roxane Touerya, je ne te savais pas aussi dévergondée, me taquine-t-elle de sa voix aiguë qu'elle prend à chaque fois qu'elle est sur-excitée. Raconte-moi tout. Comment est-il ?
Une vraie femme celle-ci. Elle adore parler, mais par-dessus tout, elle adore les potins.
— Il est moche, petit, gros et boutonneux.
J'éclate de rire alors que j'imagine sa tête à l'autre bout du téléphone.
— Tu sais que tu peux être un peu bête parfois, s'indigne-t-elle presque offusquée que je me sois jouée d'elle.
Je lui fais un condensé de tout ce qui s'est passé depuis une semaine, en m'attardant, bien sûr, sur le fameux baiser.
— Enfin, on a finalement décidé d'être seulement ami pour éviter tous les problèmes que l'on peut rencontrer lorsque l'on est un couple dans un hôpital.
— Bichette, laisse-moi te dire que deux personnes qui s'embrassent ne restent pas seulement amies.
Elle appuie particulièrement sur les deux derniers mots de la phrase. Intérieurement, je sais qu'elle a raison, mais le plus gros souci n'est clairement pas celui-là.
— Il faut surtout que j'arrive à dissiper le doute chez mes collègues. Je ne veux pas être la cible de ragots aussi faux que croustillants.
Elle semble réfléchir avant de finalement se lancer.
— Organise une fête, propose-t-elle simplement. Tu invites tes trois collègues, ton interne et quelques potes. Je m'occupe de séduire Robin et tes collègues n'y verront que du feu.
Je ne suis pas naïve. Je savais pertinemment qu'à partir du moment où j'avais prononcé les mots « interne » et « canon », Tanya serait conquise. En même temps, je dois admettre que son idée n'est pas totalement saugrenue et mon père est absent ce week-end pour des raisons professionnelles.
— Je marche, annoncé-je fièrement.
Nous peaufinons les détails, je raccroche et je lance les invitations par message. J'en profite pour convier Liam que je n'ai pas vu depuis la fameuse virée shopping. On part donc sur une petite soirée à sept.
En moins d'un quart d'heure, tout le monde a répondu présent, sauf Robin. Il suffit de penser à lui pour que mon téléphone m'annonce une notification.
Robin :
« En bon ami que je suis, je serai là bien évidemment. »
À la réception de son message, mon cœur s'accélère. Je prends conscience du fait qu'il a répondu favorablement et de ce que cela va impliquer. Afin de cacher la nervosité qui s'installe en moi, je joue la carte de l'humour.
Roxane :
« C'est très honorable de ta part de m'octroyer un peu de ton temps. »
Robin :
« Je ne voudrais pas être le seul homme à être privé de la vison de toi dans l'une de tes jolies robes. » Il accompagne sa réponse d'un smiley qui tire la langue.
Roxane :
« Dommage, pour toi, j'ai prévu de porter un pantalon de jogging.»
Il me répond par un smiley avec la bouche en "o", ce à quoi je réponds par un smiley qui pleure de rire.
Après cela, je balance mon téléphone sur le lit sans même attendre de réponse. Je suis épuisée et mon corps réclame sa dose de repos. En un rien de temps, je sombre dans un sommeil profond.
Lorsque le réveil sonne, je suis tellement fatiguée que j'ai l'impression de n'avoir dormi que très peu. Avant de me lever, je vérifie ma messagerie et je fais un tour sur les réseaux sociaux. Je fais glisser toutes les publications qui s'affichent sur le mur d'actualité de Facebook, quand un changement de statut retient mon attention :
— Quoi ? Liam est en couple, lis-je à voix haute, en me redressant d'un bond. Mais pourquoi ne me l'a-t-il pas dit ?
Ce n'est pas la surprise qui me manque et une pointe de tristesse vient se faire sentir alors que je prends conscience que je l'ai tellement délaissé ces derniers temps, qu'il ne se confie même plus à moi pour ce genre de détails important.
Il est tôt, et mon ami n'est peut-être pas encore réveillé, mais je ne peux m'empêcher de faire la première chose qui me vient en tête : l'appeler ! Puis je prends conscience qu'il n'est que cinq heure du matin et je me contente d'un sms. Face à la page blanche, aucune inspiration ne me vient. Je commence à écrire tout un tas de choses que j'efface aussitôt. Comment, par des mots, faire comprendre à mon ami que je suis là, qu'il peut compter sur moi et tout me dire sans passer pour une curieuse qui raplique à la première information croustillante qu'elle peut pêcher ? Bizarrement, je me dis que ces trois mois en psychiatrie vont peut-être m'aider à mettre de l'ordre dans mes propres troubles. J'ai bien conscience d'être bloquée entre l'âge "adulte" que m'incombe mon âge et "l'adolescence" qui se manifeste dans mes réaction puérile. Je me fatigue moi-même.
Finalement, je me contente d'un " Coucou Liam, comment tu vas ?", histoire d'enclancher la conversation et je verrais bien la tournure qu'elle prendra.
Une fois le message envoyé, je retourne sur ma page Facebook. C'est alors qu'une notification s'affiche et que je tombe sur une demande d'ami récente.
« Robin Echurti ».
Tiens donc !
Je clique sur son profil, sans pour autant accepter la proposition, afin d'assouvir un peu ma curiosité naissante. Évidemment à part sa photo principale, tout le reste est privé et donc je n'apprends rien d'essentiel.
En remontant son fil d'actualité, je m'attarde sur sa photo de profil. Il est debout, dos à l'objectif, les bras ouverts face à un paysage montagneux d'un vert printanier. Un beau coucher de soleil apporte des couleurs orangées et un contraste de luminosité.
Cette photo n'est pas sans me rappeler un cliché similaire que ma mère avait pris de moi il y a plusieurs années. Nous étions partis skier tous les trois et une des remontées mécaniques donnait sur une chaîne de montagne qui se perdait à perte de vue. Ce jour-là, le soleil rayonnait, les skieurs arrivaient de partout et ma mère avait souhaité immortaliser cet instant. Bien que mon père ne cessait de lui répéter que l'endroit n'était pas le plus adapté, aux vues de toute la foule qui passait, ma mère avait tenu à immortaliser l'instant à cet endroit précis. Du plus loin que je m'en souvienne, ma mère finissait toujours par faire céder mon père. À cet instant, nous étions loin de nous douter que quelques jours plus tard on apprendrait sa maladie.
Je laisse l'invitation de Robin en attente et pars à la recherche de cette fameuse photo dans mes albums souvenirs. Comme je suis une maniaque du rangement, tout est minutieusement trié. Ainsi, il ne me faut que quelques minutes pour la retrouver. J'allume mon ordinateur, scanne le cliché et entreprends de la poster sur Facebook. Au moment de choisir une légende, je reste figée devant mon ordinateur. Que mettre qui rendrait justice à ce si beau souvenir ? J'opte finalement pour une phrase directement adressée.
« Je me souviens d'un temps où tu étais le soleil qui illuminait ma vie. Love You. M. »
Après un coup d'œil rapide sur mon réveil, il est temps que j'active la seconde. Dans un élan de précipitation, je clique sur publier, j'accepte l'invitation de Robin et j'éteins tout pour aller prendre mon petit-déjeuner.
Une fois mon café avalé en moins de deux, j'ai une folle envie de me faire jolie. Ne nous y trompons pas, ce n'est pas forcément pour le beau brun qui arpente les couloirs de mon service, mais plutôt pour mon plaisir propre. Depuis que j'ai commencé à travailler, je me suis clairement laissée aller alors qu'avant ça j'étais du genre à prendre soin de moi.
Je lisse mes longs cheveux blonds et les attache en une queue-de-cheval haute qui a son petit côté rétro. J'unifie mon teint, je trace un trait d'eye-liner aussi fin que je puisse, je mets une légère couche de mascara et me voilà fin prête. Pour la première fois depuis longtemps, je me sens d'humeur à conquérir le monde.
Avant de me mettre en route, je jette un coup d'œil à mon téléphone.
Robin :
« Jolie photo. Tu étais déjà très mignonne quand tu étais petite. »
Il n'est même pas encore six heures du matin, il ne dort donc jamais celui-ci ?
J'ouvre Facebook, via mon téléphone, et constate qu'il y a une quinzaine de notifications.
« Robin a aimé votre photo ».
En fait, au vu du peu de publications que je poste, il a aimé la quasi-totalité de mes publications. Et bah, il a pas perdu de temps. Si j'étais parano, je penserais presque qu'il attendait, perché devant son écran, que j'accepte sa demande d'ami. Bizarrement, cela me fait presque plaisir. Bien évidemment, il est hors de question que je l'admette à Robin. Autant me pendre directement. Au lieu de ça, je décide de le taquiner un peu.
Roxane :
« Plutôt que de jouer aux espions, tu devrais profiter d'avoir la chance de ne pas commencer à six heures du matin, pour dormir encore un peu. En tout cas, moi, c'est ce que je ferais."
Je n'ai pas le temps de verrouiller mon téléphone que je reçois sa réponse.
Robin :
« Impossible, Morphée m'a abandonné depuis une bonne heure. Je me disais justement que j'allais venir plus tôt afin d'avoir mon après-midi de libre. »
Eh, bah, c'est super sympa d'être médecin : tu donnes des ordres et tu bosses quand bon te semble. Bon ok, j'exagère un peu. Mais il faut admettre que le côté " j'adapte mon planning comme je veux" est assez alléchant.
Je ne prends pas le temps de répondre, car, parti comme on est, je pense que cet échange peut durer un moment. Seulement, comme je ne suis pas médecin, je ne peux me permettre d'arriver en retard au travail. Je lance mon portable sur le siège passager et me mets en route.
Heureusement que je n'y suis que pour trois mois, car une heure de route pour me rendre sur mon lieu de travail, je trouve ça bien trop long. Non pas que je n'aime pas conduire, mais c'est tellement plus confortable d'être proche de son lieu d'exercice, ou au moins d'aimer ce que l'on fait au boulot. Autant dire qu'une heure pour servir de plante verte, c'est pas réjouissant comme perspective de journée.
Alors que la voiture poursuit sa trajectoire, mon esprit se met à divaguer. Je repense à la proposition de Tanya concernant mon bel interne et il me parait évident que c'est une belle connerie. J'ignore comment cela va se dérouler, mais je présage déjà une belle catastrophe. Si ce n'était pas dans le but de dissiper les doutes de mes collègues, j'aurais déjà tout arrêté.
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