Chapitre 24 : Orgueil et Surdosage
Après tous ces efforts physiques, le repas, préparé par les bons soins de Florence avant qu'elle ne prenne congé, sonne comme une bénédiction. Mon ventre crie famine alors que je lance le micro-onde. Quand je me retourne, Robin est là, dans l'embrasure de la porte, simplement vêtu d'un boxer bleu marine dont l'élastique entoure parfaitement ses hanches taillées à la perfection. Je suis tellement occupée à reluquer mon bel Apollon, que j'en oublie tout ce que je suis en train de faire.
— Arrête de mordre cette pauvre lèvre, ou bien, je vais devoir lancer le round five sur ce plan de travail, prévient le beau brun, d'une voix enjôleuse.
Avec grâce et élégance, il se positionne derrière moi et pose ses mains de part et d'autre de mon petit corps tout frêle. Tant de charme devrait être interdit.
— D'autant plus que ce petit kimono me donne tout un tas d'idées salaces, souffle-t-il à mon oreille. Surtout quand on sait que tu n'as rien dessous.
Ma peau réagit immédiatement à ses paroles. Mais comment fait-il ? Encore une fois, je me fais violence pour ne pas céder.
— Le repas ne va pas tarder à être prêt, l'informé-je doucement.
— Tu es le meilleur repas qu'il soit, chuchote-t-il sensuellement, son souffle sur mon cou, avant de finalement y planter un doux baiser.
Et il disait que, moi, je ne suis jamais rassasiée ?
Une petite bosse se fait sentir au niveau de mes reins, alors qu'il appuie son torse contre mon dos pour continuer sa promenade de bisous. Bien que je sois tentée de céder à l'appel que me lance ma déesse intérieure, je cherche un subterfuge pour calmer les ardeurs de mon bel amant. J'ai faim moi ! Ou plutôt mon estomac, soyons d'accord. Je suis finalement sauvée par le "ding" du micro-onde.
— C'est prêt ! m'exclamé-je en me retournant, l'obligeant ainsi à stopper son ascension vers ma nuque.
— Laisse-moi d'abord te manger, toi, ronchonne-t-il, tel un enfant qu'on a privé de goûter. Je suis sûr qu'il n'existe rien d'égal au goût si doux de ton corps en extase.
Wow, la chaleur remonte d'un coup.
"Vite, ouvrez les fenêtres et sortez les jets d'eau" alerte ma conscience.
— C'est que tu n'as jamais goûté à la cuisine de Florence, plaisanté-je en me libérant de lui rapidement, ce qui le surprend.
J'espère réellement que la distance physique fera redescendre la tension sexuelle qui règne dans la pièce.
— C'est sûrement pour ça, en effet, me taquine-t-il, alors que j'entreprends de dresser la table.
Le repas se déroule dans un calme olympien. Robin, qui ne tarie pas d'éloge sur le succulent couscous de Florence, ne cesse de me défier du regard. Un petit jeu finit par se mettre en place : c'est à celui qui réussira à déstabiliser l'autre. Voyant que je suis une concurrente hors pair, il brise le silence.
— Alors prête pour la reprise de demain, s'intéresse-t-il, en portant une nouvelle cuillère de semoule à sa bouche.
Avec tout ce qu'il s'est passé cet après-midi, j'ai complètement zappé le boulot. J'aurais mille fois préféré qu'il ne me rappelle pas à ce mauvais coup du destin. Pour la peine, je décide de jouer un peu avec les nerfs du brun.
— Justement, je pensais à Marina tout à l'heure en te faisant l'amour et...
Son teint livide et sa tête dégoûtée m'empêchent de finir ma phrase et de garder mon sérieux plus longtemps. Je pars dans un fou rire à m'en tordre le bide. Après cinq bonnes minutes, et une crampe à l'abdomen, je réussis à poursuivre.
— Tu crois vraiment que j'ai eu le temps de penser à quoi que ce soit ? corrigé-je, toujours en riant. J'ai été bien trop occupé à gérer tes sautes d'humeur et ta libido.
— Je suis heureux de constater que tous ces événements n'ont rien enlevé à ton humour légendaire, me pique-t-il avec son air faussement vexé. Si madame est aussi joueuse au boulot qu'au cours de cet après-midi, ça va être l'éclate totale. J'ai déjà hâte de m'isoler dans les vestiaires, avec toi.
"Wow, Quoi ?" s'interroge ma conscience vivement.
Sa dernière phrase me fait tout de suite beaucoup moins rire.
— Il est hors de question qu'il se passe quoi que ce soit dans le service.
Mon ton sec casse l'ambiance. En moins d'une seconde, je vois Robin passer du rire à la frustration. Cela n'annonce rien de bon.
— Alors c'est à ça que va se résumer notre histoire ? lance-t-il amèrement. À de bonnes parties de jambes en l'air à l'abri des regards.
J'ai l'impression d'entendre une escorte blessée dans son orgueil. Il savait pourtant à quoi s'attendre. Je vois rouge.
— Tu t'attendais à quoi ? À ce qu'on annonce à toute l'équipe que l'on couche ensemble le week-end ? Tu sais pertinemment que l'on ne peut pas tranquillement roucouler dans le service sans s'attendre à de lourdes conséquences. Tu connaissais mon opinion à ce sujet depuis le début.
Je me lève précipitamment, emportant mon assiette encore pleine avec moi. Je la balance dans l'évier, sans prendre la peine de la vider dans la poubelle au préalable.
— Donc le sujet est clos ? m'interroge-t-il sèchement, toujours attablé.
Je me contente d'un signe approbateur de tête.
Il se lève brusquement, manquant de justesse de faire tomber sa chaise. Son regard emplit de colère, me fait limite peur.
— Tu sais quoi, Roxane ? J'en ai ma claque ! Tu décides de tout depuis le début. Je fais de mon mieux pour te comprendre, pour m'adapter, mais aucune discussion n'est jamais possible avec toi. Bien sûr qu'il n'était pas question de baptiser toutes les pièces du service, mais je ne souhaite pas non plus me résumer à être ton gentil coup du soir. Si tu n'es pas prête à assumer ce qu'il se passe entre nous, autant en finir dès maintenant. Mais laisse-moi te dire qu'à trop te soucier du regard des autres, tu finiras vieille fille.
Il quitte la pièce et se précipite à toute vitesse dans ma chambre. À peine deux minutes plus tard, il claque la porte d'entrée sans même un mot à mon égard, me laissant interdite dans la cuisine.
Je noie ma peine dans le rangement et le ménage, me répétant que c'est certainement mieux ainsi. Aucune larme ne vient, et pourtant, ce n'est pas la tristesse qui me manque. Cette relation était vouée à l'échec avant même son commencement. Je me sens honteuse d'y avoir cru l'espace de quelques heures. C'est sûrement ce qui me rend le plus triste.
Voilà comment clôturer un week-end qui avait déjà mal commencé.
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Les deux jours de boulot suivants, je ne suis que l'ombre de moi-même. J'arpente les couloirs du service tel un automate programmé et je me contente de faire tout ce que l'on me demande, sans broncher.
J'ai pris le parti d'esquisser mon plus faux sourire à cette dragonne de Marina, pour ne pas l'avoir dans les basques à longueur de journée. C'est déjà bien assez pesant de croiser Robin tous les jours, alors autant m'éviter les foudres de cette harpie. Du coup, elle se délecte radieusement de son rôle de petit chef et je n'ai aucune envie de la contrer. Je me contente bêtement de dire amen à tout.A Après tout, Lucas m'avait demandé d'apaiser les tensiosn entre nous.
Il est huit heures du matin, et les enfants sont en plein petit-déjeuner, quand Robin déboule comme une furie dans la salle à manger. Ses traits tirés et ses cernes naissantes ne présagent rien de bon.
— Roxane, il faut qu'on parle ! Dans mon bureau, tout de suite !
Au vu de son humeur massacrante, ça ne pouvait tomber que sur ma pomme. Je le suis machinalement et, à peine ai-je quitté la pièce que j'entends.
— Elle va passer un sale quart d'heure. Il avait l'air vraiment furax. Qu'a-t-elle encore fait comme bourde ?
Je suis touchée par la bienveillance dont fait preuve le dragon humain qui me sert de collègue. Seulement, la posture rigide et fermée de notre interne indique qu'elle n'a pas tout à fait tort.
— Assieds-toi ! ordonne-t-il sèchement, alors que j'entre à peine dans la pièce.
Bien que son air soit grave, j'ose espérer qu'il y a une réelle urgence professionnelle et que toute cette mise en scène n'est pas liée à notre pseudo-histoire. Je prends place, droite comme un « i » et j'attends le verdict.
— Nous avons un souci avec Dimitri, commence-t-il sèchement, en portant un papier à ma connaissance. Ses résultats sanguins ne sont pas bons du tout et montrent un surdosage important de médicaments.
Ma première pensée est purement personnelle.
« Ah donc ce n'était pas une ruse pour un tête-à-tête à la sauvette. »
Puis l'infirmière, qui sommeille profondément en moi depuis que je travaille ici, se réveille.
« Attends, il a dit quoi ? Surdosage ? Roxane, on se bouge et on répond »
— C'est impossible, répliqué-je surprise par cette information improbable. Il n'a que du C** de prescrit.
Le C** est un traitement essentiellement constitué de mélatonine, aussi appelé l'hormone du sommeil. Elle est naturellement produite dans notre organisme, et sert à la régulation du sommeil. Aucun traitement n'est jamais inoffensif, mais bon, celui-ci n'est pas le plus redoutable que l'on puisse donner. S'il y avait un surdosage, notre petit Dimitri ressemblerait à un zombi. Ce n'est donc probablement pas ce médicament qui a engendré ces résultats sanguins.
— Bien, je vois que pour une fois, tu connais tes dossiers sans que je n'ai à te les rappeler, me casse-t-il, les yeux rivés sur son ordinateur ! Quoi qu'il en soit, je vais devoir en référer à Lucas et il va sûrement ouvrir une enquête interne. Au vu des dosages sanguins, il semblerait que la prise de Dimitri soit récurrente, voire même quotidienne, et comme il est chez nous du lundi au vendredi, je ne vais pas te faire de dessin.
Cette nouvelle me souffle, encore plus que le comportement de parfait connard dont fait preuve l'homme qui me fait face. Comment peut-on envisager qu'un service de soins soit responsable d'une telle chose ? C'est inimaginable. Je retourne dans ma tête, les quelques fois où je me suis chargée des médicaments et rien d'anormal ne me revient en tête. Je me sens coupable, sans même que ce soit ma faute. La petite infirmière que je suis a honte pour toute la profession.
— Je vais en parler aux collègues, l'informé-je simplement.
— Inutile, je vais de ce pas dans le bureau de Lucas pour demander une réunion d'urgence pendant les transmissions inter-équipe de midi. Tu peux disposer.
Je me lève sans protester, soulagée de ne pas avoir à informer moi-même Marina et le reste de l'équipe. Ce tête-à-tête, aussi glacial qu'un été en antarctique, me laisse un goût amer. Au-delà de mes divergences avec Robin, le fait que l'incident concerne l'un de mes référés me peine. Pauvre Dimitri, mais qu'est-ce qu'on t'a fait ?
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Note de l'auteure :
C**= nom raccourci d'un somnifère. Je prends le parti de ne pas mettre les noms exacts pour les médicaments, car le but n'est pas que cela devienne une encyclopédie médicale. Je nommerai alors la première lettre suivie de **.
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